Afrique: L'homophobie actuelle et coloniale révélée par «Le Code de la peur» d'Appolain Siewe au Fipadoc

interview

Ce film présenté au Festival international du documentaire (Fipadoc) est un acte de courage et de bravoure. Avec Le Code de la peur, le réalisateur camerounais Appolain Siewe révèle à la fois l'héritage colonial de l'homophobie et la terrible répression actuelle des homosexuels qui sévissent dans son pays de naissance. À travers de multiples cas d'homosexuels persécutés et tués, mais aussi d'explications et d'analyses de professeurs, scientifiques, prêtres et activistes des droits de l'homme, Siewe dresse un portrait impressionnant de la société camerounaise. Et il pose les bases de nombreux débats futurs possibles. Entretien.

RFI : Quand un réalisateur camerounais fait un documentaire sur l'homosexualité et l'homophobie dans son pays, beaucoup de gens vont penser qu'il s'agit d'un homosexuel camerounais qui a fui son pays et qui a envie de raconter son histoire. Or, ce n'est absolument pas le cas. Pourquoi avez-vous tourné ce film ?

Appolain Siewe : C'est une question qui revient constamment. Avant d'arriver en Allemagne, je ne savais pas ce que c'est l'homosexualité. Étant en Allemagne comme jeune étudiant, j'habitais à Berlin près de Winterfeldplatz et Nollendorfplatz, le centre de la communauté homosexuelle, connu dans le monde entier.

La première fois où j'ai vu deux hommes s'embrasser dans la rue en Allemagne, c'était un choc pour moi. Je me suis dit : c'est quoi ça ? Pourquoi cela ? Ce n'est pas normal ! Je sortais de l'Afrique avec une éducation homophobe venant de mes parents. Donc c'était un choc. En même temps, j'étais confronté au racisme allemand : tu t'assois dans le métro et des gens ne veulent pas s'asseoir à côté de toi. C'était dans les années 1997. À l'époque, je vivais tellement de choses : des gens qui me voyaient dans la rue changeaient de côté... En revanche, il y avait des personnes qui avaient l'air d'être sympas envers moi et qui me souriaient au visage.

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C'étaient des hommes qui étaient avec des hommes. C'est là où je me suis demandé : qui sont ces personnes qui sont sympathiques vis-à-vis de ma personne ? À cet instant, j'ai commencé à me poser des questions. Et j'ai cherché à comprendre l'homosexualité. En même temps, j'ai appris, à travers les journaux et les réseaux sociaux, que les homosexuels au Cameroun étaient maltraités, tués, marginalisés. Je me suis demandé, comment se fait-il que ces gens-là soient marginalisés au Cameroun alors qu'ici, à Berlin, ce sont eux qui sont sympathiques vis-à-vis de ma personne ? Cette idée m'a hanté l'esprit durant tant d'années.

Je me rappelle, quand j'ai envoyé ma candidature pour entrer à l'école de film à Potsdam, j'avais fait une interview avec un homosexuel. Il s'appelait Christophe, c'était l'ami de ma copine allemande. Je voulais savoir ce qui l'amenait à être homosexuel, parce que pour moi, Africain, l'homosexualité était tabou. Jusqu'à aujourd'hui, je suis hétérosexuel, mais cela m'a tellement fasciné, jusqu'à la réalisation de ce film.

Ce qui a déclenché aussi votre décision de rentrer au Cameroun pour faire ce film, c'était un crime abominable, un journaliste homosexuel torturé et battu à mort, parce qu'il luttait pour la reconnaissance des droits des homosexuels.

Quand j'ai lu sur internet l'histoire tragique d'Eric Lembembe, je me suis dit : pourquoi peut-on tuer quelqu'un au Cameroun juste à cause de son orientation sexuelle ? Avant d'aller au Cameroun, j'ai fait beaucoup d'appels tant bien avec mes parents qu'avec d'autres personnes, pour leur demander ce qui se passe au pays.

Au Cameroun, les actes homosexuels sont considérés comme un délit et punis par la loi, avec jusqu'à six ans de prison. Dans la société camerounaise, c'est souvent même plus qu'un tabou, parce que juste d'évoquer le mot « homosexualité » est déjà pratiquement considéré comme un crime. Votre père a refusé de vous voir et de vous parler quand vous avez voulu aborder avec lui le sujet de l'homosexualité pour votre film.

Je dois avouer, je n'aime pas beaucoup cette question, parce que ça me fait toujours rappeler mon père qui est décédé sans que je ne l'aie plus jamais vu. Et si je regrette d'avoir mis une partie dans le film, c'est cette partie familiale. J'avais de très bonnes relations avec mon père. Il était un peu comme un ami, quelqu'un qui me connaissait parfaitement. Au début, il a été très dur avec moi, mais il savait que c'est comme ça que je suis. J'aime des trucs difficiles, qui dépassent l'entendement de la personne normale au Cameroun. Il n'y a pas beaucoup de Camerounais qui pouvaient se hasarder à faire un truc pareil. Mon père était pour moi un exemple, mais il a été très dur. Il m'a dit : « écoute, pense à autre chose ». Et il m'a dit un truc comme : « ces gens-là sont pires que des animaux ».

Cette partie très intense et très intime de votre film permet à comprendre l'enracinement extrêmement profond de l'homophobie dans la société camerounaise. Le constat de votre film est sans appel : la haine contre les homosexuels a beaucoup augmenté au Cameroun. Comment expliquez-vous cela ?

C'est difficile de répondre à cette question. Tout ce que je peux dire, c'est que l'Église joue un rôle capital, un rôle important dans la montée de l'homophobie dans la société camerounaise, comme en Afrique en général. Le christianisme, l'islam et beaucoup d'autres religions ont un impact sur la société. Par exemple, quand les prêtres prêchent d'une façon erronée la Bible en citant des textes comme Sodome et Gomorrhe chaque jour à l'église. Quand les fidèles entendent ça, ils pensent que Dieu aussi a détesté les homosexuels et les a envoyés en pâture. Et il y a la politique. Parce que, pour écarter la population des vrais enjeux politiques, il faut qu'on leur parle de l'homosexualité. Ce n'est pas seulement au Cameroun. En Afrique, pour avoir des voix des électeurs, il faut montrer que vous êtes homophobe. Ainsi, vous avez plus de voix que l'autre candidat qui n'est pas homophobe. Tout cela pousse la montée de l'homophobie autant qu'au Cameroun qu'en Afrique.

 

Dans votre documentaire, les gens qui condamnent l'homosexualité avancent surtout deux arguments. Le premier est la justification religieuse qui va toujours rester assujettie aux différentes interprétations du Coran ou de la Bible. Mais, il y a un deuxième argument qui consiste à être contre l'homosexualité en affirmant que cela n'a jamais fait partie de la culture africaine et n'a jamais existé en Afrique. Pour eux, l'homosexualité a été importée par les Blancs, par les colonisateurs. Vous interrogez dans votre film beaucoup d'experts, des sociologues, ethnologues, historiens, prêtres catholiques et protestants, psychologues, avocats, activistes des droits de l'homme qui se sont occupés de cette question. Et la plupart disent clairement que ce dernier argument est tout simplement faux.

L'ignorance joue un rôle important. Le Camerounais lambda ne fait pas de recherches pour savoir que l'homosexualité appartient aussi à la culture africaine, comme elle appartient à la culture européenne ou grecque. Mais même certains professeurs d'université utilisent cet argument. Et quand on discute avec eux, ils disent : « l'homosexualité n'a jamais été une normalité en Afrique. Elle a toujours été là, mais elle n'a jamais été une normalité. Donc on ne peut pas prendre un cas d'exception pour faire la normalité ». Par contre, il y a d'autres experts disant que dans une région du Cameroun, à Bafia, l'homosexualité était tellement une normalité qu'il était plus noble d'être un homosexuel que d'être un hétérosexuel. Dans le film, il y a ces points de vue contradictoires. Maintenant, cherchez à savoir quelle est la réalité. Je n'ai fait que mon travail de documentariste. J'ai laissé parler les gens pour que chacun puisse en tirer sa propre leçon.

Vous êtes né au Cameroun, mais ensuite vous avez passé la moitié de votre vie en Allemagne, un pays qui était l'ancien colonisateur du Cameroun. Dans votre film, vous démontrez qu'il y a un lien entre l'histoire coloniale et la perception de l'homosexualité au Cameroun.

Le Cameroun était une colonie allemande entre 1884 et 1916. Comme le dit un de mes protagonistes dans le film, c'est à cet instant que les Allemands ont apporté les premières lois homophobes au Cameroun. À la même époque, en Allemagne, les homosexuels étaient marginalisés, on essayait de les transformer, les soigner, parce qu'on supposait en Allemagne que les homosexuels sont des malades et qu'on doit les traiter.

Ce sont des lois allemandes de cette époque, que le colon allemand a transportées - comme beaucoup d'autres lois de la constitution camerounaise - dans les colonies. Ils ont pris les mêmes lois qui existaient en Allemagne pour les appliquer dans les colonies, notamment au Cameroun et au Togo, pour leur dire : « écoutez, l'homosexualité, c'est quelque chose de mauvais, on ne veut plus cela ».

Et ce sont les Allemands qui ont commencé à apprendre aux femmes ce que leur Bible leur dit. Comment il faut coucher avec son homme : il faut regarder en l'air pour que le Saint-Esprit descende sur elle, pour qu'elle puisse enceinter quand elle fait l'amour avec son homme. Voilà la relation entre l'Allemagne et le Cameroun en ce qui concerne l'homosexualité.

Je ne sais pas, si les Allemands n'avaient pas fait cela, si le Cameroun était aujourd'hui aussi homophobe. Quand l'Allemagne a revu sa loi contre l'homosexualité, elle n'a pas encouragé le Cameroun à bannir cette loi et cette manière de penser de l'homosexualité. Jusqu'à nos jours, l'Allemagne n'a pas regretté cela. Elle n'a pas demandé les excuses à ses anciennes colonies. Pourtant, par exemple, l'Angleterre l'a fait. Elle a dit que les anciennes lois homophobes dans ses colonies étaient des lois venues de l'Angleterre.

Dans votre film, Alice Nkom, première femme avocate au Cameroun et très engagée dans la défense des homosexuels, affirme que l'État du Cameroun se comporte plus comme un agresseur qu'un protecteur envers les homosexuels. Voyez-vous quelque part une lueur d'espoir d'un changement possible ?

Je ne sais pas si je suis à 100 % de cet avis-là. Je pense que le Cameroun est comme tout autre pays, qui, selon le temps, peut changer certaines positions. Même le président de la République a dit de donner un peu de temps aux Camerounais. Peut-être un jour ils pourront changer. Il y a d'autres Camerounais qui sont très sceptiques. Moi, ma position, c'est que je vis en Allemagne et je pense que de plus en plus de Camerounais vont vivre en Europe. Je ne serais sûrement pas le dernier à avoir une autre pensée par rapport à l'homosexualité ou à l'homophobie en Afrique. Il faut donner du temps à l'Afrique, au Cameroun. Les Camerounais pourront comprendre un jour que l'homosexualité appartient à leur culture et que ça fait partie de leur culture.

Avez-vous prévu ou il est même envisageable de projeter un jour votre film Le code de la peur au Cameroun ?

C'est au programme. Je le veux vraiment, mais je suis encore en train de chercher des voies et des moyens pour le faire. J'espère que cela ne durera pas longtemps. Je veux le montrer, pas seulement au Cameroun, mais aussi dans d'autres pays africains, parce que je sais que le Cameroun n'est pas un cas unique. Beaucoup de pays africains n'ont pas une autre position que le Cameroun.

 

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