Ile Maurice: L'optimisme économique soumis aux urgences des catastrophes nationales

Si le Premier ministre, Pravind Jugnauth, comptait capitaliser sur une première annonce électorale au début de l'année avec l'augmentation de la pension à Rs 13 500 pour les retraités âgés de 75 ans et plus, couplée avec d'autres prévues au courant de l'année à l'approche de l'échéance électorale, c'est qu'il est mal parti, Belal ayant remis les pendules à l'heure, plongeant le pays en ce lundi 15 janvier dans un spectacle de profonde désolation. Le feel-good factor qu'il attendait est parti comme le torrent d'eau qui s'est déchaîné à Port- Louis et ailleurs à travers le pays, dans le sillage du passage de ce premier cyclone de l'année.

On saura, à la faveur d'une commission d'enquête ou d'une enquête judiciaire, si les autorités décident évidemment d'y avoir recours, s'il y a eu négligence criminelle au sommet de l'État, comme l'opposition et certains observateurs veulent le faire croire. Pour autant, des questions se posent sur la décision de laisser ouvrir les bureaux du privé et des ministères en ce lundi fatidique alors que les risques d'une dégradation du temps avec une intensification du cyclone Belal étaient réels, selon les services météorologiques, contestés d'ailleurs par les membres du National Emergency Operations Command (NEOC).

Le reste on le sait : fermeture forcée des bureaux avec l'alerte 3, ce qui a vu un cafouillage monstre, un embouteillage indescriptible sur certaines routes avec des voitures quittant difficilement la capitale face à la montée vertigineuse d'eau en raison des drains éternellement bouchés. Résultat : des hordes de voitures flottantes sur plusieurs mètres, dont plus d'une certaine sérieusement endommagées, avec leurs occupants traumatisés à vie, certains voyant la mort en face et deux personnes emportées par les inondations déferlantes.

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Les images des voitures inondées, chahutées par des torrents d'eau , des citoyens et des policiers tentant de sauver des vies et le front de mer de Port-Louis se transformant en dépotoir ont fait le tour du monde, suscitant critiques et railleries face à l'île soeur qui a su résister aux rafales de Belal tout en évitant des drames avec le confinement de sa population.

Pour le moment, le directeur de la station météo, Ram Dhurmea, à qui le gouvernement voudrait faire porter le chapeau en lui demandant de «step down» refuse d'être le «bouc émissaire» parfait, décidé à se livrer à une bataille juridique pour laver son honneur et clouer au pilori celui ou ceux qui ont fauté dans cette affaire.

Entre-temps, le gouvernement tente de calmer les esprits et contenir la colère avec un plan d'aide de Rs 1 milliard pour les propriétaires de véhicules inondés ainsi que les planteurs, éleveurs et autres cultivateurs de légumes qui ont tout perdu. Seraitce suffisant pour faire oublier le traumatisme de ces personnes qui ont ramassé toutes les économies d'une vie pour investir dans une voiture et qui se voient tout perdre même si, à terme, elles vont être compensées par l'État ?

Les experts du Fonds monétaire international (FMI), à Maurice récemment pour engager des consultations avec les principaux stakeholders dans le cadre des consultations pour le prochain Article IV, auront certainement à «factor in» les dégâts économiques de Belal dans leurs hypothèses de croissance et le niveau d'endettement du pays. Encore qu'après Belal, il y a déjà Candice, et d'autres encore, qui constitue déjà une menace sérieuse pour le pays, en alerte, cette semaine.

Cependant, au Trésor public, on tente de relativiser les conséquences économiques de l'application de ce plan d'aide et l'impact sur les principaux indicateurs économiques, dont la croissance estimée à 6,5 % du Produit intérieur brut (PIB) en 2024 et l'inflation qui a atteint 7 % en décembre dernier. «Il est évident qu'il y aura une poussée inflationniste avec les prix des légumes qui ont massivement augmenté dans le sillage de ce cyclone mais nous n'anticipons pas une dégradation du taux de croissance. L'impact sera négligeable. En revanche, pour ne pas alourdir la dette publique face au montant de Rs 1 milliard déboursé, nous allons réallouer des fonds», souligne-t-on dans l'entourage du ministre des Finances. Et d'ajouter qu'en période de crise, il y a toujours des opportunités à saisir pour les opérateurs économiques. Par ailleurs, vu que cette catastrophe naturelle est intervenue en début d'année, l'entourage du ministre explique que le gouvernement a encore du temps pour se rattraper.

Sans doute oui. Mais la colère d'une frange importante de la population face à l'incapacité du pouvoir en place de se préparer face aux urgences de la crise climatique, alors même que les «flash floods» de 2013 n'auraient pas servi de leçon aux gouvernements qui se sont succédé, est déjà palpable. Vassen Kauppaymuthoo, océanographe et ingénieur en environnement, a raison d'insister, dans une récente interview de presse, sur le fait qu'à Maurice «nous sommes doublement obligés de nous préparer parce que nous figurons parmi 50 pays les plus exposés aux aspects du changement climatique en tant que pays insulaire». Et de rappeler que «nous ne sommes plus en situation de changement climatique, nous sommes en situation d'urgence catastrophique climatique».

Excès de précaution

Le leader de l'alliance gouvernementale, qui croyait voir s'ouvrir un boulevard devant lui avec des cadeaux électoraux à distribuer à tour de bras, aura à faire face dans les jours à venir à une population exaspérée. Sa gestion, fortement décriée, de Belal a fait se réveiller les membres de l'entente de l'opposition, plus particulièrement son leader, Navin Ramgoolam, qui est descendu sur le terrain pour l'attaquer frontalement sur les inondations causées par Belal avec les milliards déversés dans les drains, devenus aujourd'hui un business lucratif pour des agents politiques.

Comme le chat échaudé qui craint l'eau froide, le gouvernement s'est montré extrêmement précautionneux hier, en jouant le risque zéro pour donner un jour de congé forcé aux fonctionnaires et demandant que Business Mauritius fasse la même démarche pour les employés du privé, avec toutefois la seule différence que ces derniers sont appelés à télétravailler. N'empêche que le manque à gagner pour le pays sera financièrement lourd. Les économistes chiffrent un jour d'inactivité à Rs 1,5 milliard. Avec les deux jours de congé de la semaine dernière et celui de mardi, on se rapproche de Rs 4,5 milliards. Un chiffre que certains contestent vu qu'il fait abstraction de certains services essentiels du privé et des secteurs qui privilégient le télétravail chez leurs employés.

Par ailleurs, ces dernières semaines, le gouvernement a surfé sur la consécration du Ram Mandir à Ayodhya en Inde, assisté abondamment par la MBC et les organisations socioculturelles. Sans pour autant minimiser la grandeur de la divinité Ram dans l'épopée hindoue et la charge émotionnelle pour la communauté hindoue liée à cet évènement lundi dans l'Uttar Pradesh, on ne peut occulter qu'il y a davantage que de la ferveur religieuse dans la consécration de ce temple. En Inde, Narendra Modi souhaite faire de ce nouveau lieu de culte et de pèlerinage le coeur de sa campagne électorale en vue des prochaines élections générales pour rassembler la communauté hindoue. À Maurice, certains observateurs dressent un parallèle, soutenant toutefois la nécessité que la politique et la religion se fassent dans deux plateformes distinctes, même si en période électorale, la tentation chez certains dirigeants est forte de mélanger les deux.

Quoi qu'il en soit, la réalité de Belal et de Candice et peut-être d'autres catastrophes naturelles doit nous rappeler l'urgence d'avoir les pieds bien sur terre...

Article IV consultations: Belal bouscule l'agenda de la délégation du FMI

La délégation du FMI n'aura pas bouclé toutes les consultations avec les principaux stakeholders au terme de sa visite de deux semaines pour préparer l'édition 2024 d'Article IV qui doit théoriquement être publié en mai/ juin prochain. Belal a joué au trouble-fête, forçant les experts à poursuivre le reste de leurs consultations virtuellement, après avoir quitté le pays à la fin de la semaine dernière. Dirigée par Mariana Colacelli, haut cadre du FMI, la mission a ouvert les consultations avec le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, et ses techniciens ainsi qu'avec le gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, une manière de bien cerner les enjeux fiscaux et monétaires du pays.

Mais aussi de se rendre compte si les recommandations établies dans le dernier Article IV ont été appliquées. Parallèlement, la délégation du FMI a rencontré le leader de l'opposition, Xavier- Luc Duval, qui a partagé avec les experts ses craintes sur la gestion économique du pays. Il est fort à parier que Mariana Colacelli et son équipe ont dû rechercher des précisions auprès de Harvesh Seegolam sur le niveau de ses réserves qui a plus d'une fois fait l'objet de critiques, mais aussi sur la valeur de la roupie face aux devises étrangères.

Elle aura aussi abordé les difficultés pour des commerçants de trouver des devises étrangères, dont le dollar, pour financer leurs factures malgré les interventions de la BoM sur le forex. Et quid du désengagement de la Banque centrale du capital de la Mauritius Investment Corporation ? Comme on peut s'y attendre, les conséquences économiques du passage de Belal, avec le plan d'aide de Rs 1 milliard décaissé, seront analysées et pris en considération par les experts du FMI dans ses hypothèses de la croissance, de la dette publique et de l'inflation.

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