Burkina Faso: Les frappes de drones contre des civils constituent des crimes de guerre apparents

communiqué de presse

Les autorités devraient diligenter une enquête impartiale sur les attaques aériennes menées par l'armée, et indemniser les victimes et les familles

  • Depuis août 2023, trois frappes de drones militaires qui, selon le gouvernement, visaient des combattants islamistes au Burkina Faso, ont tué des civils sur deux marchés bondés et lors d'un enterrement.
  • L'armée burkinabè a utilisé l'une des armes les plus précises de son arsenal pour attaquer de larges groupes de personnes, causant de nombreuses pertes de vies civiles en violation des lois de la guerre.
  • Le gouvernement devrait rapidement diligenter une enquête impartiale sur ces crimes de guerre apparents, traduire les responsables en justice, et fournir un soutien adéquat aux victimes et à leurs familles.

(Nairobi) - Trois frappes de drones militaires du Burkina Faso qui, selon le gouvernement, visaient des combattants islamistes, ont tué au moins 60 civils et en ont blessé des dizaines d'autres au Burkina Faso et au Mali entre août et novembre 2023, en touchant deux marchés bondés et un enterrement auquel assistaient de nombreuses personnes, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Les frappes de drones ont violé les lois de la guerre qui interdisent les attaques ne faisant pas de distinction entre civils et cibles militaires, et constituent des crimes de guerre apparents. Le gouvernement burkinabè devrait rapidement diligenter des enquêtes indépendantes, impartiales et transparentes sur ces attaques, traduire les responsables en justice et indemniser convenablement les victimes et leurs familles.

« L'armée burkinabè a utilisé l'une des armes les plus précises de son arsenal pour attaquer de larges groupes de personnes, causant de nombreuses pertes en vies civiles en violation des lois de la guerre » a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse principale sur le Sahel à Human Rights Watch. « Le gouvernement burkinabè devrait enquêter de toute urgence et de manière impartiale sur ces crimes de guerre apparents, demander des comptes aux responsables et fournir un soutien adéquat aux victimes et à leurs familles. »

De septembre à novembre, Human Rights Watch a mené des entretiens par téléphone et/ou sur place avec 30 personnes, dont 23 témoins de ces frappes et 7 membres d'organisations non gouvernementales nationales et internationales. Human Rights Watch a également analysé 11 photographies et une vidéo qui ont été directement envoyées à ses chercheurs par des témoins et qui montrent des personnes blessées et les séquelles des frappes, ainsi que 3 vidéos mises en ligne qui montrent les attaques des drones ainsi que des images satellite des trois sites. Le 20 décembre, Human Rights Watch a envoyé une lettre au ministre de la Justice burkinabè pour partager ses conclusions et demander des réponses à des questions spécifiques. Human Rights Watch n'a pas reçu de réponse.

L'armée burkinabè a mené les attaques avec des drones Bayraktar TB2 de fabrication turque, acquis en 2022. Ces véhicules aériens de combat pilotés à distance peuvent surveiller, cibler avec précision et lancer jusqu'à quatre bombes MAM-L guidées par laser. Human Rights Watch a documenté les pertes en vies humaines et les dommages causés par les effets de détonation et de fragmentation résultant de l'utilisation de ces munitions téléguidées sur des groupes de personnes concentrées au même endroit.

Les médias contrôlés par le gouvernement ont déclaré que les trois attaques avaient tué des combattants islamistes, sans aucune mention des victimes civiles.

Le 3 août, la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB), la chaîne de télévision nationale du Burkina Faso contrôlée par le gouvernement, a fait état d'une opération aérienne réussie exécutée « sur la base de renseignements » concernant un groupe de combattants islamistes qui préparaient « plusieurs attaques d' envergure » à Bouro, dans la région du Sahel, et a diffusé une vidéo d'une munition guidée frappant des dizaines de personnes et d'animaux dans une clairière. En s'appuyant sur cette vidéo, Human Rights Watch a géolocalisé le site de l'attaque à environ 135 mètres de la limite nord du village de Bouro.

Des témoins ont déclaré que l'attaque avait touché le marché hebdomadaire du jeudi à Bouro. Human Rights Watch a examiné une image satellite enregistrée cinq mois plus tôt, le jeudi 2 mars, montrant des personnes et des animaux rassemblés au même endroit. Des habitants ont déclaré qu'au moins 28 hommes avaient été tués le 3 août, et que de nombreux autres avaient été blessés.

Des témoins ont déclaré que le Jama'at Nasr al-Islam wal Muslimin (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, GSIM), lié à Al-Qaïda, contrôlait Bouro et les zones des environs. Trois survivants ont déclaré que quatre motos conduites par des « djihadistes », ou combattants islamistes, avaient pénétré dans le marché au moment de l'attaque, alors que des centaines de civils s'y trouvaient. Sur la vidéo, quelques secondes avant l'attaque, on peut voir trois motos se diriger en direction du site de l'attaque à 30 mètres à l'ouest. Les individus sur ces motos correspondent généralement aux descriptions données par les survivants.

« Le marché était rempli de civils lorsque le drone a frappé », a déclaré un homme de 25 ans. « Des gens de toute la région viennent au marché pour acheter et vendre des animaux. »

Le 24 septembre, la RTB a diffusé une vidéo d'un drone militaire burkinabè qui montre l'attaque d'un village non identifié dans la région du Nord lors d'un reportage sur les opérations militaires contre les groupes armés islamistes. Le journaliste qui commente la séquence vidéo a déclaré que des « vecteurs aériens » avaient détecté 18 motos venant de la frontière malienne et se dirigeaient vers Koumbri, et qu'ils les avaient « frappées avec succès » pendant qu'elles avaient « marqué un arrêt dans un village ».

Bellingcat, un collectif indépendant de chercheurs qui utilisent des informations disponibles en sources ouvertes, s'est servi de la vidéo pour géolocaliser le site de l'attaque en l'identifiant comme correspondant au village de Bidi. La vidéo montre des hommes qui conduisent au moins six motos sur une route non goudronnée. La vidéo fait ensuite un gros plan de l'enceinte située à environ 45 mètres. Au moins deux hommes se trouvent à l'entrée de l'enceinte juste avant l'attaque, et des dizaines d'autres s'enfuient après l'attaque. La vidéo ne permet pas d'identifier combien de temps s'est écoulé entre l'arrivée des hommes à moto et l'attaque de l'enceinte.

Le reportage de la RTB diffère des récits des personnes interrogées, qui ont déclaré qu'une centaine de personnes assistaient aux funérailles d'une femme de Bidi et qu'il n'y avait pas de combattants islamistes dans l'enceinte à ce moment-là. Les survivants ont déclaré que 24 hommes et un garçon avaient été tués et que 17 autres personnes avaient été blessées, toutes civiles. Les forces du GSIM assiègent Bidi depuis 2021.

« Ce jour-là, nous assistions à des funérailles et nous n'avons vu aucun combattant dans les environs », a déclaré un témoin âgé de 45 ans. « La frappe n'était qu'une terrible erreur. »

Le 18 novembre, un drone militaire burkinabè a frappé un marché bondé de l'autre côté de la frontière, au Mali, près de la ville de Boulkessi, tuant au moins sept hommes et en blessant au moins cinq autres. Des témoins ont déclaré que plusieurs combattants armés du GSIM se trouvaient sur le marché, mais que « presque toutes les personnes présentes [au moment de la frappe] étaient des civils ».

Les survivants des trois frappes ont décrit des scènes particulièrement horribles. « Les corps étaient noircis et carbonisés », a déclaré un survivant de l'attaque de Bidi âgé de 42 ans. « Nous avons eu du mal à les identifier car les corps étaient déchiquetés ». Un homme qui a perdu son frère de 32 ans dans l'attaque de Bouro a déclaré : « Son corps a été entièrement détruit. Son estomac a complètement disparu. J'ai dû mettre les morceaux du corps dans un sac en plastique pour les transporter pour l'enterrement ». Un homme de 30 ans, blessé lors de la frappe au Mali, a déclaré : « Des éclats [du drone] m'ont touché à l'estomac. J'ai failli mourir parce que mes intestins allaient sortir. ... J'ai attrapé la partie blessée et j'ai rampé ... pour m'éloigner de la zone. »

Les lois de la guerre applicables au conflit armé au Burkina Faso interdit les attaques qui prennent pour cible les civils et biens civils, qui ne distinguent pas entre civils et combattants, ou dont on peut s'attendre qu'elles causent aux civils ou à leurs biens des dommages disproportionnés par rapport à tout avantage militaire attendu. Les attaques indiscriminées comprennent les attaques qui ne sont pas dirigées contre un objectif militaire spécifique ou qui utilisent une méthode ou des moyens de combat dont les effets ne peuvent pas être limités comme il se doit.

Les violations des lois de la guerre commises avec une intention criminelle, c'est-à-dire délibérément ou par imprudence, constituent des crimes de guerre. L'utilisation d'armes très précises comme les drones Bayraktar TB2 équipés de bombes guidées au laser suggère fortement que les marchés et les funérailles étaient les cibles visées.

« L'armée burkinabè a procédé à plusieurs reprises à des frappes de drones dans des zones très fréquentées, sans guère se préoccuper des dommages causés aux civils », a déclaré Ilaria Allegrozzi. « Les gouvernements qui transfèrent au Burkina Faso des armes que l'armée utilise avec un mépris flagrant pour la vie des civils prennent le risque de se rendre complices de crimes de guerre. »

Comptes-rendus détaillés des abus, autres détails sur ces attaques

Les noms des personnes interrogées n'ont pas été divulgués pour garantir leur protection.

Le conflit au Burkina Faso

Les forces du Burkina Faso luttent contre l'insurrection du GSIM et de l'État islamique dans le Grand Sahara depuis que les groupes armés sont entrés dans le pays depuis le Mali en 2016. Ces deux groupes armés contrôlent de larges pans du territoire et ont attaqué des civils et des forces de sécurité. Selon l'Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), un projet de collecte de données ventilées, d'analyse et de cartographie des crises, la violence liée à ce conflit a entraîné la mort d'au moins 7 600 personnes dans plus de 2 000 incidents pour la seule année 2023. Ces violences ont contraint 2,1 millions de personnes à quitter leur foyer et entraîné la fermeture de plus de 6 100 écoles depuis 2021. Selon l'Africa Center for Strategic Studies, un organisme de recherche du département américain de la Défense, la violence et l'instabilité ont augmenté depuis les deux coups d'état militaires en janvier et en septembre 2022.

Human Rights Watch a documenté à plusieurs reprises de graves abus commis par les forces de sécurité burkinabè et les milices pro-gouvernementales au cours d'opérations de contre-insurrection, notamment des exécutions sommaires, des actes de torture et des disparitions forcées. En août 2022, les médias ont rapporté que l'armée burkinabè avait reconnu avoir tué des civils au cours d'une opération antiterroriste près du village de Pognoa, dans la région de l'Est, dont 37 civils dans ce que les médias locaux ont indiqué être une attaque de drone.

Les groupes islamistes armés ont également commis de graves violations des lois de la guerre assimilables à des crimes de guerre, notamment des exécutions sommaires, des enlèvements et des pillages. Ils ont assiégé au moins 46 localités au Burkina Faso et aggravé la famine et les maladies parmi les civils et les personnes déplacées en bloquant la délivrance des produits de première nécessité comme la nourriture et l'aide humanitaire.

Bouro, région du Sahel, 3 août

Le 3 août, une attaque de drone burkinabè sur un marché bondé de Bouro, dans la région du Sahel, a tué au moins 28 hommes et en a blessé beaucoup d'autres.

Des témoins ont déclaré avoir vu un drone de couleur blanche survoler le marché à deux reprises vers 9 heures, puis larguer au moins une bombe qui a touché le marché.

Un homme de 56 ans qui a perdu un frère dans l'attaque a déclaré :

La frappe a touché notre marché hebdomadaire. Chaque semaine, nous nous y rendons pour acheter de la nourriture pour nous et pour notre bétail, et pour vendre nos animaux. Le marché est situé à la périphérie du village et se tient toujours à l'extérieur. De nombreuses personnes le fréquentent, qui viennent aussi du Mali. ... Le drone était blanc et nous a survolés deux fois d'est en ouest et la troisième fois, il nous a attaqués. Tout ce que nous avons entendu, c'est fiouuuuu... boum !... Le bruit de la bombe qui tombe.

Des témoins ont déclaré qu'une forte explosion s'était produite, suivie d'une épaisse fumée noire.

« C'était difficile de respirer », a déclaré un homme de 25 ans. « J'ai perdu connaissance.... Mes parents m'ont versé de l'eau dessus et je me suis réveillé en toussant et j'ai encore toussé pendant un certain temps. J'avais de la fièvre. »

Des témoins ont déclaré que les blessés avaient été secourus par leurs proches et soignés par des « infirmières de campagne » membres du GSIM ou qui collaborent avec ce groupe. Ils ont également indiqué qu'après la frappe, un groupe de combattants islamistes s'était précipité dans la zone pour organiser les secours.

« J'ai vu de nombreux blessés », a déclaré un homme de 38 ans. « Certains avaient des blessures très graves, comme si leurs corps étaient brisés, comme s'ils avaient été coupés avec un couteau ou une lame. ... Comme il n'y a pas d'hôpital ou de centre de santé à Bouro, ils ont été soignés par les infirmières de campagne qui s'occupent habituellement des djihadistes. ... [Et] les djihadistes étaient aussi là pour coordonner. »

Human Rights Watch a obtenu une liste compilée par des survivants, dont les informations ont été confirmées par deux autorités locales, avec les noms des 28 hommes tués, âgés de 18 à 62 ans. Toutefois, les survivants ont déclaré qu'ils pensaient que le nombre de morts était en fait beaucoup plus élevé. « Il y avait des centaines de personnes sur le marché au moment de l'attaque », a déclaré un homme de 45 ans. « Nous avons compté 70 morts, mais nous n'en avons identifié que 28. Les autres corps étaient méconnaissables. »

Des témoins ont indiqué que des corps étaient éparpillés dans la zone du marché, dont beaucoup étaient déchiquetés, fracassés ou brûlés. Un homme de 25 ans a déclaré :

J'ai perdu mon cousin, père de 10 enfants. ... Il a été grièvement blessé au cou et à l'abdomen ... et il a perdu beaucoup de sang. Son corps a été déchiqueté. Nous l'avons enterré le lendemain. Tous les enterrements ont eu lieu le lendemain de la frappe. ... Certains corps n'ont même pas pu être emportés car ils étaient déchiquetés ou totalement brûlés. ... Les enterrements ont eu lieu de différentes manières et dans différents endroits parce que les gens craignaient une autre frappe et ne voulaient pas se regrouper une nouvelle fois.

Human Rights Watch a analysé deux vidéos de Bouro qui, selon la personne qui les a prises, ont été filmées deux mois après la frappe. Les vidéos montrent des centaines d'os éparpillés sur tout le site. Human Rights Watch a consulté le Groupe indépendant d'experts médico-légaux pour déterminer si les os étaient d'origine humaine ; toutefois, en raison de la qualité de l'image et du type de restes capturés dans la vidéo, Human Rights Watch n'a pas été en mesure de déterminer si les os étaient d'origine humaine ou s'ils appartenaient à d'autres mammifères. En s'appuyant sur ces vidéos et sur les images de drone diffusées par la RTB, Human Rights Watch a fait correspondre les arbres, les routes et les zones brûlées par l'attaque avec des images satellite et a géolocalisé le site de l'attaque à environ 100 mètres au-dessus de la limite nord de Bouro, qui correspond à l'endroit où, selon les habitants, se trouvait le marché du jeudi. Une image satellite du 2 mars, un jeudi, cinq mois avant l'attaque, montre des personnes et des animaux rassemblés au même endroit.

Les survivants ont fait part de leur frustration à l'égard des forces de sécurité burkinabè et d'autres autorités, et ont déclaré qu'ils n'avaient pas porté plainte par crainte de représailles.

Un survivant a déclaré :

Aucune famille n'a porté plainte, auprès de qui allez-vous porter plainte ? Il n'y a pas d'autorité administrative ici ... et notre région est considérée par les autorités comme une zone djihadiste. ... Nous craignons même d'aller à l'hôpital et de dire que nous avons été blessés par un drone.

Un autre survivant a déclaré :

Les islamistes contrôlent notre région, ils contrôlent tout. Il n'y a pas d'autorité ici. ... Après la frappe, aucune autorité n'est venue nous voir. Ils nous considèrent comme des terroristes. ... Nous perdons de plus en plus espoir de voir l'État revenir [ici]. L'abus est tel que notre déception est totale. ... S'ils avaient visé des terroristes, nous pourrions comprendre, mais ils ont visé un marché bondé avec de nombreux civils.

Bidi, région Nord, 21 septembre

Une frappe aérienne de l'armée burkinabè a touché une enceinte privée où au moins 100 personnes assistaient aux funérailles d'une femme à Dabéré, un quartier du village de Bidi, dans la région du Nord, le 21 septembre vers 9 heures. Un drone a largué au moins une munition sur l'enceinte, tuant au moins 24 hommes et un garçon, et blessant 17 autres hommes, selon 10 témoins.

Les témoins ont décrit un drone de couleur blanche qui volait au-dessus de leurs têtes. Une explosion soudaine et l'effet de souffle ont engendré l'effondrement d'une tente où plusieurs dizaines de personnes étaient assises et priaient, et ont détruit une maison voisine. Une analyse faite par Human Rights Watch d'une vidéo de l'attaque a révélé des ombres qui corroborent la chronologie établie par les témoins.

Un agriculteur de 54 ans qui a assisté à l'attaque a déclaré :

[Le drone] était blanc et faisait un léger bruit. Je m'approchais du lieu des funérailles lorsque j'ai entendu l'explosion. ... Elle a touché la tente où les anciens et les sages étaient assis et priaient pour la vieille femme décédée. L'explosion a été si forte et si bruyante que le sol a tremblé et que je suis tombé. J'ai vu beaucoup de fumée noire ... et j'ai senti une odeur de poudre. C'était le chaos. Les gens criaient et couraient. Chacun cherchait ses parents et ses amis ou s'enfuyait. J'ai vu de nombreux corps qui jonchaient le sol, éparpillés, certains déchiquetés... des parties de corps, comme des organes. C'était horrible.

D'autres témoins ont également indiqué que les corps des personnes tuées étaient déchiquetés et presque méconnaissables. « Les corps étaient noirs, brûlés, beaucoup étaient en lambeaux et il n'en restait que des morceaux », a déclaré un homme de 46 ans. « C'était une scène d'horreur. »

Un homme de 46 ans qui a été blessé lors de la frappe a déclaré :

Plus de 100 personnes se sont réunies pour les funérailles. Elles venaient de tous les quartiers de Bidi. Puis il y a eu la frappe et nous avons tous paniqué. Les gens couraient, criaient, essayaient de sauver leurs proches blessés. L'explosion a été très forte. Elle a visé la tente. Tous ceux qui se trouvaient sous la tente sont morts, à l'exception d'un seul qui a été grièvement blessé. Trois murs d'une palissade se sont effondrés et une maison a aussi été partiellement détruite. J'ai été blessé au pied, mon frère à la poitrine et aux côtes. ... J'ai été transporté au Centre hospitalier universitaire de Ouahigouya. D'autres blessés ont été emmenés à Koro.

Des témoins ont indiqué que des proches avaient transporté la plupart des blessés sur des motos vers les centres de santé de Ouahigouya, à 35 kilomètres, et de Koro, à 45 kilomètres. Ils ont aussi déclaré que quelques heures après l'attaque, des soldats du gouvernement étaient arrivés par hélicoptère pour évacuer certains des blessés qui se trouvaient encore sur place.

Human Rights Watch a obtenu une liste compilée par des survivants et des habitants de Bidi avec les noms des 25 personnes tuées, âgées de 13 à 97 ans, et des 17 blessés, âgés de 42 à 80 ans.

Un témoin a déclaré qu'il n'y avait pas de femmes parmi les morts et les blessés « parce qu'elles se trouvaient de l'autre côté de l'enceinte. ... Selon nos traditions, les femmes et les hommes ne se mélangent pas pendant les funérailles ».

Des survivants et des habitants ont déclaré que le GSIM assiégeait Bidi depuis au moins deux ans et que des combattants islamistes venaient souvent dans le village. Mais, selon eux, aucun combattant du GSIM ne se trouvait à l'intérieur de l'enceinte pendant les funérailles.

Un homme de 53 ans a déclaré :

Ils [le GSIM] viennent souvent [au village]. Ils prêchent et essaient de recruter des gens. Ils imposent leurs règles et nous harcèlent. Ils veulent que toutes les femmes soient voilées et s'ils croisent une femme non voilée, ils la battent ou battent son mari. Ils ordonnent à tous les hommes de couper leur pantalon et de se laisser pousser la barbe. Mais le jour de la frappe, aucun homme armé n'était présent aux funérailles. Je n'en ai vu aucun.

Des témoins ont déclaré que la plupart des familles avaient enterré les corps de leurs proches dans leur cour par crainte d'une nouvelle frappe.

Un homme de 42 ans a déclaré :

Nous avions peur d'aller au cimetière et de creuser les tombes. Nous voulions éviter les grands rassemblements car nous pensions que nous pourrions être visés par une nouvelle frappe. J'ai aidé à creuser sept tombes dans le quartier de Dabéré. La plupart des victimes étaient originaires de ce quartier. ... Aucun représentant des autorités n'est venu assister aux enterrements. ... Nous sommes abandonnés par l'État. Pas d'assistance. Aucune compassion. Nous n'avons vu aucune déclaration officielle [sur ce qui s'est passé].

Les survivants et les familles des victimes ont déclaré qu'ils n'avaient pas porté plainte après l'incident par crainte de représailles de la part des autorités et en raison de l'absence de toute autorité à Bidi.

Un survivant a déclaré :

À Bidi, les gens ne se sentent plus appartenir à un État. Le village est assiégé depuis longtemps, il y a des terroristes qui se promènent, qui font pression sur nous, l'armée n'est pas là. ... Il n'y a pas de poste de gendarmerie, pas de commissariat de police, pas de présence d'une quelconque autorité étatique. Cette frappe n'est pas un dérapage. Il est déjà arrivé que les forces de sécurité commettent des crimes. Ce n'est pas la première fois. Ce n'est pas une bavure, c'est systématique. Ce qui s'est passé dans notre village est déplorable.

Boulkessi, région de Mopti, Mali, 18 novembre

Le 18 novembre vers 10 heures, un drone burkinabè a frappé un marché bondé à une dizaine de kilomètres d'un camp de l'armée malienne à Boulkessi, dans la région de Mopti, au Mali, près de la frontière entre le Burkina Faso et le Mali, selon sept témoins. Un drone a largué trois munitions qui ont tué au moins sept hommes et en ont blessé au moins cinq autres.

Dans la soirée, la RTB a indiqué que l'armée burkinabè avait mené des frappes aériennes dans la journée pour mettre fin à une attaque de grande ampleur planifiée par des « terroristes ». Elle a diffusé une vidéo de ce qu'elle a décrit comme trois frappes de drones dans la région du Sahel se trouvant « exactement à la frontière » [avec le Mali] qui ont fait des centaines de victimes, contre ce qu'un journaliste de la RTB a décrit comme une « base logistique » de combattants islamistes. Le début de la vidéo montre au moins trois munitions larguées sur un marché bondé. Human Rights Watch a utilisé cette vidéo et des récits de témoins pour localiser le marché au Mali. Des images satellite prises le 18 novembre à 9h49, heure locale, montrent un grand panache de fumée qui s'élève au-dessus du marché. Des images satellite prises le 3 février 2023 confirment la présence d'un marché au même endroit.

Quatre photographies prises par un survivant à la suite de l'attaque et partagées directement avec Human Rights Watch montrent la terre brûlée, au moins un véhicule incendié, ainsi que de grands sacs alimentaires blancs et des produits fermiers éparpillés sur le sol. L'image satellite à haute résolution du 11 janvier 2024 montre plusieurs grandes traces de brulures sur le marché et des structures qui ont pour la plupart été enlevées.

Des témoins ont déclaré qu'il y avait un certain nombre de combattants du GSIM sur le marché bondé au moment de l'attaque.

Un homme de 30 ans a déclaré :

J'ai quitté Yangassadiou [dans la région de Mopti, au Mali] avec trois collègues. ... Nous vendons notre millet à tout le monde, même aux djihadistes. Nous sommes des commerçants, nous vivons du commerce, donc celui qui vient, nous lui vendons notre millet. ... Il y avait des hommes armés dans les environs. J'ai vu au moins une camionnette avec trois combattants armés à bord qui traversait le marché avant l'attaque. Ces hommes armés appartiennent au GSIM. Ils contrôlent la région.

Un responsable du gouvernement malien à Mondoro, dans la région de Mopti, où certains des blessés ont été évacués, a déclaré qu'après la frappe, il avait contacté des soldats maliens de la base militaire locale pour leur demander ce qui s'était passé sur le marché. Il a déclaré :

Je leur ai dit que les blessés m'avaient indiqué qu'il y avait eu une attaque aérienne sur le marché et que des civils avaient été tués et blessés. Les soldats ont affirmé qu'ils n'avaient rien à voir avec cette attaque aérienne, que c'était l'oeuvre des Burkinabè.

Un homme de 21 ans blessé lors de la frappe a déclaré :

Le marché commençait à se remplir avec beaucoup de monde, uniquement des hommes, pour la plupart des civils. Les femmes n'ont pas le droit de se rendre au marché à cause de la loi islamique imposée par les djihadistes. Vers 10 heures, je n'ai rien vu venir, à part cette bombe qui est tombée sur nous comme une flèche, puis une autre bombe, puis une troisième ... et je n'ai plus rien vu d'autre que de la fumée noire. J'ai été blessé au bras par des éclats [du drone]. J'ai quitté la zone en courant. Les gens couraient dans toutes les directions. ... J'ai aidé mes camarades à sortir du marché malgré ma blessure. ... Malheureusement, l'un d'entre nous est mort en chemin, il avait été blessé à l'estomac.

Human Rights Watch a obtenu une liste compilée par des survivants avec les noms des sept personnes âgées de 20 à 40 ans qui ont tuées lors de cette frappe, et ceux des cinq personnes blessées.

Un homme de 69 ans du village de Kobou, qui a perdu ses fils de 20 et 40 ans dans la frappe, a déclaré :

Mes fils étaient allés au marché pour vendre leurs produits. Ils étaient des commerçants, des civils, pas des combattants. J'étais dans le village quand j'ai entendu la première explosion vers 10 heures. Le village est situé à 29 kilomètres du marché. J'ai entendu trois détonations successives. Vers midi, j'ai vu un homme de l'ethnie Dogon [une ethnie de cette région] sur une moto qui venait de quitter le marché et je lui ai demandé ce qui s'était passé. Il m'a répondu : « Le marché a été bombardé ». Je lui ai immédiatement demandé de m'y conduire. Quand je suis arrivé, j'ai vu plusieurs cadavres sur le sol avec des blessures très profondes et très nettes ... des corps déchiquetés. J'ai aussi vu des morceaux de corps ici et là. J'ai identifié les corps de mes deux enfants et je les ai enterrés sur place, non loin du marché.

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