Maroc: Soutien concocté pour un rattrapage malaisé

C'est parti pour des cours qui se veulent salvateurs

Après une période de grève prolongée qui a secoué le secteur de l'éducation nationale pendant plus de trois mois, le ministère de tutelle a lancé une initiative d'envergure visant à atténuer les conséquences de cette interruption de scolarité sur les élèves des écoles publiques. Des cours de soutien ont été mis en place pour tous les niveaux scolaires afin de récupérer le temps d'apprentissage perdu pendant cette période de grève.

Selon une source du ministère de l'Education nationale, l'objectif principal de ces séances de soutien est de permettre aux élèves du primaire de rattraper les retards accumulés tout en offrant un appui aux élèves se préparant aux examens certificatifs pour l'obtention de l'attestation des cours du primaire, l'attestation du secondaire collégial et du baccalauréat. «La particularité de cette initiative est son caractère continu, s'étendant non seulement aux vacances scolaires actuelles, mais également aux trois prochaines périodes de vacances», explique la même source. Et d'ajouter : «Certains établissements ont entamé des sessions de soutien en soirée avant même le début des vacances officielles, démontrant ainsi l'urgence et l'engagement quant à la récupération du temps d'apprentissage perdu».

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Notre source nous apprend également que «ces cours de soutien sont dispensés par les enseignants de l'établissement lui-même, et non pas par des enseignants externes». «Pour les inciter à participer activement à cette phase de récupération, une compensation sera accordée aux enseignants qui dispenseront ces cours», précise ladite source, tout en reconnaissant les efforts supplémentaires déployés par les enseignants et le personnel administratif.

Pour assurer un suivi efficace à l'échelle régionale et provinciale, des commissions de vigilance seront mises en place et joueront un rôle crucial dans la supervision et la coordination des cours de soutien. En parallèle, la Direction des programmes du ministère de l'Education nationale a diffusé un document de référence sur l'adaptation des programmes scolaires afin de cibler les lacunes éducatives de manière spécifique, en mettant l'accent sur les contenus essentiels et nécessaires pour permettre aux élèves de progresser de manière significative.

Remède efficace ou pansement temporaire ?

Bien que louable, cette initiative soulève des préoccupations quant à sa capacité à combler les lacunes éducatives importantes, sachant que les grèves des enseignants ont entraîné une perte de près de 40% du temps scolaire dans les écoles publiques. La question de savoir si ces cours seront suffisants pour remédier aux retards accumulés reste en suspens.

Mais l'une des principales inquiétudes réside dans la capacité des cours de soutien à fournir une intervention éducative adéquate.

Avec une perte aussi importante du temps scolaire, les lacunes éducatives sont substantielles et variées. Les enseignants, confrontés à des défis multiples, ont la tâche ardue de cibler ces lacunes de manière efficace et efficiente.

Le succès des cours de soutien dépend également de la qualité des ressources et des enseignants impliqués. Les ressources pédagogiques doivent être adaptées aux besoins spécifiques des élèves, et les enseignants doivent être correctement formés pour traiter les différents retards au sein de la classe.

Il est également nécessaire d'évaluer en permanence l'efficacité de ces cours de soutien, d'ajuster les stratégies en fonction des besoins changeants des élèves et de garantir que cette initiative ne devienne pas simplement un pansement temporaire sur une blessure éducative plus profonde. La véritable mesure du succès sera la capacité des cours de soutien à remédier aux lacunes éducatives et à restaurer l'équité quant à l'accès à une éducation de qualité.

Entre promesses et préoccupations

Il est cependant essentiel de reconnaître que même si ces cours offrent un soutien nécessaire, ils ne peuvent jamais pleinement remplacer les heures de classe perdues qui ont laissé des cicatrices profondes sur le plan psychologique des élèves.

Salwa Boukindi : Les conséquences psychologiques de la grève nécessitent une approche plus globale, allant au-delà des cours de soutien, pour aider les élèves à surmonter les défis

Pour la psychologue clinicienne, Salwa Boukindi, «les cours de soutien sont conçus pour fournir une aide supplémentaire, clarifier les concepts et consolider les connaissances. Cependant, ils ne peuvent reproduire l'expérience holistique d'une classe régulière». «Le temps perdu en classe est bien plus qu'une simple accumulation de connaissances ; il représente également des interactions sociales, des discussions en classe et une immersion dans l'environnement éducatif», nous explique-t-elle. Et de poursuivre : «Les élèves ont développé des liens avec leurs enseignants et camarades de classe au fil du temps, contribuant ainsi à un sentiment d'appartenance et de soutien social». «Les cours de soutien, bien qu'utiles, ne peuvent pas entièrement reproduire cette dynamique, laissant les élèves avec un vide émotionnel difficile à combler», estime notre interlocutrice.

Pour elle, «la grève a déjà eu un impact significatif sur le bien-être psychologique des élèves. L'incertitude quant à l'avenir académique, le stress lié à la récupération du retard et la frustration accumulée peuvent peser lourdement sur leur mental». «Les cours de soutien, bien qu'ils visent à apaiser ces inquiétudes, ne peuvent pas éliminer complètement l'anxiété résultant de cette période d'incertitude prolongée», considère-t-elle. Et d'expliquer : «Les élèves peuvent se sentir dépassés par la pression de rattraper le temps perdu, et le fait de constater qu'il est impossible de recréer exactement l'expérience éducative perdue peut intensifier ces sentiments». «Les conséquences psychologiques de la grève nécessitent une approche plus globale, allant au-delà des cours de soutien, pour aider les élèves à surmonter ces défis», martèle la spécialiste.

«Pour véritablement répondre aux besoins des élèves, une approche holistique est nécessaire. Cela implique non seulement des cours de soutien, mais aussi des initiatives visant à restaurer la confiance, à fournir un soutien émotionnel et à reconstruire l'environnement éducatif dans son ensemble», ajoute la psychologue. «Les écoles doivent travailler en collaboration avec les professionnels de la santé mentale pour offrir un soutien psychologique adéquat aux élèves affectés», précise-t-elle.

Il faut donc admettre que bien que les cours de soutien soient un outil important dans la récupération du temps d'apprentissage perdu, il est crucial de reconnaître leurs limites. La grève a laissé des cicatrices profondes, et la solution ne réside pas uniquement dans des séances supplémentaires. Une approche complète et bien pensée est nécessaire pour restaurer non seulement les connaissances académiques, mais aussi la santé mentale et émotionnelle des élèves.

Mehdi Ouassat

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