Au Sénégal, à quasiment un mois de l'élection présidentielle du 25 février prochain, nos correspondantes sillonnent le pays pour aller à la rencontre des électeurs. La ville de Kédougou, à l'extrême sud-est, est la dernière grande ville avant la frontière avec le Mali et la Guinée. Bien qu'elle soit située dans une région aurifère, c'est l'une des plus pauvres du pays. La localité a basculé dans le camp de la majorité en 2022.
Une gigantesque tranchée griffe la colline derrière le village de Barafoute, à une quinzaine de kilomètres de Kédougou. Sur plus de 100 mètres, une cinquantaine de trous profonds se succèdent. Le travail des creuseurs fait bourdonner le lieu comme une véritable ruche. Abrités par des canisses, ils sont des centaines à hisser, grâce à une simple corde accrochée à une poulie, des sacs de terre mélangée au métal précieux. « Trouver de l'or ici c'est un peu difficile, se lamente Frédéric, 25 ans, qui a commencé à chercher il y a un mois. On n'a pas les moyens de creuser le sol. »
Les marteaux-piqueurs qui s'attaquent à la roche sont alimentés par groupe électrogène. Les femmes séparent ensuite la terre et les pierres qui contiennent l'or, puis elles les broient. Dernière étape, enfin : l'utilisation du mercure, pour agglomérer l'or et le dégager du sable... Une technique particulièrement polluante et dangereuse. « Si on te prend avec le mercure, explique Joseph, âgé de 23 ans, tu vas faire de la prison. Donc si nous pouvions avoir des machines qui nous permettaient de travailler sans l'utilisation du mercure, ce serait mieux ! »
Deux cent vingt-quatre unités de traitement sans mercure doivent être testées dans les mois qui viennent dans une mine artisanale à quelques kilomètres de là. Pour Mamadou Dramé, président de la fédération des orpailleurs de la région de Kédougou, il y a urgence à encadrer le secteur de l'orpaillage artisanal : « La mine, aujourd'hui, a beaucoup d'effets néfastes sur l'environnement. Mais c'est rentable aussi, raison pour laquelle au lieu de l'arrêter il faut l'organiser, l'accompagner... et utiliser la technologie pour atténuer les effets néfastes de l'orpaillage traditionnel. » Chaque année, ce sont plus de quatre tonnes qui sont produites par ces mines artisanales, dont l'essentiel est, pour l'heure, vendu au Mali, un énorme manque à gagner pour le Sénégal.
Dans cette région de Kédougou, l'orpaillage est devenu l'une des principales activités économiques. Il est jugé plus rentable que l'agriculture, notamment. En 2020, une étude estimait à près de 40 000 le nombre de personnes pratiquant l'orpaillage artisanal... Un boom qui oblige à réglementer le secteur. C'est en tout cas ce que réclament les habitants de la région.
Des retombées locales trop faibles, selon la population
Une gigantesque affiche sur un rond-point central de Kédougou vient rappeler l'ancrage politique de la ville... Côte à côte, le portrait du président sortant Macky Sall et celui du maire de la ville Ousmane Sylla avec cette inscription : « En marche pour la grande victoire de Benno Bokk Yakaar » - du nom de la coalition de la majorité présidentielle. Ousmane Sylla, qui a été élu il y a deux ans, est membre du parti de Macky Sall, l'Alliance pour la République. Le président du conseil départemental, Mamadou Saliou Sow, aussi. Le parti au pouvoir est donc bien implanté dans la région de Kédougou.
C'est par cette ville de Kédougou que Macky Sall a démarré sa tournée d'adieu en novembre dernier. Tout un symbole, car la ville, située plus près du Mali que de la capitale, Dakar, est assez enclavée et peu développée malgré son importante production d'or : 26 tonnes en 2021 pour plus d'un milliard de FCFA.
Le principal reproche qui est fait aux autorités, c'est de ne pas réussir à résoudre cette difficulté à trouver un emploi. Les habitants de Kédougou saluent la construction d'un certain nombre de routes, comme celle de Salémata, région assez isolée en direction de la Guinée. Les habitants se félicitent également de l'arrivée d'un hôpital régional à Kédougou en 2022. Il y a des tentatives pour commencer à réguler et structurer le secteur informel de l'orpaillage, mais les jeunes, très nombreux aussi dans cette région, se sentent oubliés.
Un exemple : alors que nous sommes en pleine Coupe d'Afrique des Nations, il n'y a pas de stade municipal digne de ce nom dans la ville de Kédougou. Mais c'est surtout le secteur de la formation qui est décrié, avec un décalage entre les formations qui sont proposées et les besoins des entreprises minières par exemple. Le lycée technique à vocation minière n'offre pas de réels débouchés et le projet de créer une école de la métallurgie à Kédougou n'a pas abouti.
La frustration est amplifiée par la présence de trois multinationales minières. Selon la population, les retombées économiques de cette production d'or ne se font pas assez sentir, et notamment pour la dynamisation des entreprises de la région. Même si des progrès ont été faits sur l'obligation d'avoir un certain nombre d'employés locaux dans ces mines.