Le procédé, les victimes, les périodes... Ces meurtres d'enfants et de femmes déchiquetées, aux organes arrachés font penser au sacrifice humain dont le continent africain regorge. Et si les « crimes rituels » existaient, sous le sceau du tabou et dans un climat de léthargie sociale, à Madagascar ?
L'atrocité du silence du tabou a maintenant un visage, c'est celui de ce soi-disant « enchanteur » appréhendé par la police malgache le 17 janvier. Son crime a été d'avoir violé ensuite d'avoir décapité une gamine de 14 ans dont la dépouille a été retrouvée à Faravohitra, il y a plus d'une semaine. Un quartier rempli d'histoires sur les hauteurs de la capitale. En hiver, enveloppé délicatement par les dernières lueurs du jour, donnant une perspective de carte postale vue en contre-bas depuis Ambohijatovo. Un quartier calme, sans grande histoire. Le crime a surpris les riverains, avec la vue de ce corps frêle sans tête emmitouflé dans un matelas crasseux.
Ensuite, le 18 janvier, le témoignage de la famille de la défunte diffusé sur Facebook montre que l'assassin a porté la tête de la gamine dans un lieu sacré d'Andranoro en guise de sacrifice. Un patrimoine de l'histoire au coeur de l'Imerina historique. Andranoro est un village ancestral au nord d'Antananarivo, fief d'un couple monarchique, Randriatsira et Randriatsihory, extrêmement sage et aimé du peuple. Leur fille Noro, d'une beauté à étourdir les princes, a été la source du nom de ce village séculaire établi vers 1600 selon la tradition orale.
L'innocence de la victime de Faravohitra pousse à ne plus ignorer une possible existence de pratique de « crimes rituels » à Madagascar. Comme il y en a aujourd'hui encore en Europe, en Afrique, en Asie... Dans son roman documentaire, « Les rois sauvages » (2020), David Warnery, philosophe/spécialiste du droit diplômé de la Sorbonne et de l'université de Canterbury, détaille ce type de crime. À travers des précisions macabres, il met en relief cette pratique souvent exécutée par des « sorciers ». Dont le but est de faire souffrir à l'extrême la victime, cette souffrance sert à acquérir des « pouvoirs magiques ». Difficile de ne pas tenter la mise en relation avec Madagascar.
Au Bénin et au Gabon, le sacrifice humain a connu une telle ascension sur deux décennies jusqu'à forcer l'office français de protection des réfugiés et apatrides (www.ofpra.gouv.fr) à sortir un rapport en 2018. Recouper avec les écrits de David Warnery, l'extraction vivante du sang, des organes comme la langue, le sexe et les yeux relève en majorité de cette pratique meurtrière. Les autorités traditionnelles gabonaises se sont vite défendues à travers des missives, sur l'absence du sacrifice humain dans la tradition ancestrale. Tandis qu'au Bénin, capitale mondiale de l'animisme et du vaudou, il existe. Les grands guérisseurs traditionnels l'affirment, selon un rituel secret, complexe et symbolique. Rappelant sur certains points le sacrifice de Trimofoloalina dans l'histoire malgache.
Le bonhomme s'est dévoué afin de sanctifier par le don de sa vie le règne d'Andriamasinavalona (règne vers 1975 jusqu'à 1710 à Alasora), sur la demande de ce dernier. Quand tout le peuple a préféré se défiler. Arrivé le jour du sacrifice, au lieu de le tuer, le monarque lui a seulement incisé un bout de l'oreille et versé le sang de la blessure dans le palais. Trimofoloalina et ses descendants ont ensuite reçu l'onction royale de « Tsimatimanota », ou celui qui est impuni qu'importe son crime. Dans l'histoire centrale malgache, ce serait l'unique fois où il est fait mention de sacrifice humain.
Bien que ceci n'ait pas été appliqué à la lettre. Les premiers effets de ces meurtres rituels sur la population : terreur et confusion collective. Etant donné que les rapports judiciaires de ces pays africains stipulent que dans plus de 65% des cas, des proches parents ou amis de la famille des victimes sont complices voire des exécutants. Après le Bénin et le Gabon, le Nigéria, une nation anglophone par ailleurs, est le troisième pays africain à subir ce fléau sanguinaire. Le rapport de l'Ofpra et le roman inspiré de faits réels « Les rois sauvages » révèlent plusieurs points communs. Mentionnant qu'au Gabon, « les périodes électorales, les remaniements ministériels ou tous mouvements politiques sont encore plus propices aux meurtres rituels ». Des faits qui impliqueraient des ministres, des généraux, des présidents de partis, des députés... Motivés par la soif archaïque du pouvoir et l'attrait de l'argent.
L'unique arme face à cela : la loi qui répond d'une politique culturelle. Mais aussi la visibilité des recherches scientifiques sur le sujet. L'exemple vient du Ghana, l'un des précurseurs de la législation des traditions, en l'occurrence du sacrifice rituel non-humain. Ce pays a légiféré le vaudou, l'animisme, la sorcellerie et toutes les pratiques ésotériques et traditionnelles... Une prouesse immense. Cela a eu pour effet de baisser drastiquement les crimes rituels dans le pays. Tandis que l'apport de la science apporte des éclairages face à la confusion populaire. Celle-ci se caractérise souvent par des vindictes populaires, des saccages de domiciles et d'autres mouvements de masse spontanés violents basés sur de simples soupçons. En parallèle, le sacrifice humain a aussi connu un boom en Afrique avec la prolifération des sectes bibliques, coraniques dans des cas rares, en tout genre. Sur ce point, les chiffres sont plus effroyables. Plus meurtriers que celui des « rites magiques ». Tout cela est présent, se mélange à la population et aux individus vulnérables à Madagascar.