Afrique: Fatih Birol, patron de l'AIE - «Les énergies renouvelables doivent être la priorité pour l'Afrique»

interview

Rome accueille à partir de ce dimanche 28 janvier un sommet Italie-Afrique qui doit se terminer lundi. Une série de chefs d'État du continent sont attendus. Au menu de l'invitation de la cheffe du gouvernement italien Georgia Meloni : les questions migratoires, mais aussi la diplomatie énergétique. L'Italie lorgne les gisements de gaz du continent. Le directeur exécutif de l'Agence international de l'énergie (AIE), Fatih Birol, une voix écoutée en matière de transition énergétique, sera présent à Rome. Avec pour objectif de pousser le développement des énergies renouvelables sur le continent et que le gaz bénéficie d'abord aux citoyens africains.

RFI: Quels messages allez-vous porter lors de ce sommet Italie-Afrique à Rome ?

Fatih Birol: Dans le monde entier, en Asie, en Amérique latine, la consommation d'électricité par personne augmente significativement. Mais en Afrique, elle n'a pas bougé depuis trente ans. Cela nous montre que pour se développer économiquement, l'Afrique va avoir besoin de beaucoup d'énergie. C'est l'un des sujets dont je vais discuter avec les chefs d'État africains.

L'Afrique a un énorme potentiel en matière d'énergie solaire, mais les installations photovoltaïques sont encore peu présentes sur le continent...

Le continent africain concentre 60 % de la radiation mondiale. Pourtant, en Afrique sub-saharienne, la quantité d'électricité produite grâce aux installations solaires représente la moitié de ce que la Belgique produit en solaire. C'est déprimant. Imaginez un peu la carte, pensez à la taille que fait l'Afrique sub-saharienne par rapport à la Belgique, et à la quantité de soleil qu'il y a en Afrique sub-saharienne par rapport à la Belgique.

%

C'est une injustice totale ! Pour moi, le futur de la production d'électricité en Afrique, ce sont les énergies renouvelables : le solaire avant tout, mais aussi l'éolien, les centrales hydroélectriques, etc. Cela dit, l'Afrique a aussi d'autres besoins énergétiques. Par exemple, pour désaliniser l'eau de mer et avoir accès à l'eau, pour la transformation des aliments, pour la pétrochimie ou encore les industries, je pense qu'il faudra que le continent utilise son gaz, de manière durable.

N'est-ce pas contradictoire avec les objectifs communs de lutte contre le changement climatique ? Le gaz est une énergie fossile qui contribue au réchauffement de la planète et donc aux événements extrêmes qui frappent le continent comme les inondations et les sécheresses...

Aujourd'hui, l'Afrique émet 3 % des émissions globales de gaz à effet de serre et nous avons fait le calcul : si le continent développait toutes ses ressources en gaz naturel en dix ans, ce qui est impossible, la part africaine des émissions causant le réchauffement climatique passerait à 3,4 %. Ce n'est rien.

Vous parlez d'un usage national du gaz, mais les projets en cours ou envisagés sont tournés vers l'exportation...

Je pense que cela doit avant tout profiter aux pays africains. Je suis moins intéressé par le fait que cela profite aux pays européens ou à leurs entreprises, car l'Afrique a vraiment besoin de beaucoup d'énergie. Je parle avec beaucoup de pays européens qui voudraient produire de l'hydrogène vert en Afrique pour l'exporter en Europe. Certains pensent même à produire de l'électricité en Afrique pour l'envoyer en Europe. Ce n'est pas trop de mon goût. Je pense qu'aujourd'hui l'Afrique a plus besoin d'énergie que l'Europe. Alors répondons d'abord aux besoins de l'Afrique et après, on verra pour la suite.

L'histoire nous a montré que les ressources extraites sur le continent sont, la plupart du temps, exportées et de nombreux pays africains entendent tirer des devises de l'extraction de ce gaz...

Je pense que les nations africaines doivent donner priorité à leurs besoins domestiques et ensuite penser à exporter. C'est ce que je dirai aux leaders du continent lors de ce sommet Italie-Afrique : « Pensez d'abord à l'Afrique, aux Africains, et ensuite aux besoins des Européens ou des Chinois. »

La course au gaz africain ne risque-t-elle pas de différer le développement des énergies renouvelables sur le continent ?

Non, les énergies renouvelables doivent être la priorité. La raison est simple : l'Afrique a un potentiel énorme en renouvelables. Deuxièmement, c'est moins cher. Moins cher que le charbon, moins cher que le gaz, moins cher que le nucléaire. Et c'est facile. En un ou deux ans, vous pouvez construire une installation solaire. Donc, pour moi, la priorité absolue ce sont les renouvelables : en premier le solaire, puis l'énergie hydroélectrique et enfin l'éolien.

Les dirigeants africains sont-ils vraiment sur la même ligne que vous ?

Beaucoup le sont. Le président kényan William Ruto l'est. Nous avons publié un article ensemble récemment pour souligner que ce doit être la priorité absolue pour l'Afrique.

Vous considérez que les pays africains ne doivent pas être pointés du doigt parce qu'ils exploitent leur gaz. Qu'en est-il pour le pétrole ? Les projets d'exploration et d'exploitation de nouveaux gisements fleurissent en Afrique malgré les effets néfastes pour le climat et malgré les critiques des défenseurs de l'environnement...

Nous devons réduire la production et la consommation de pétrole si nous sommes sérieux et voulons atteindre notre objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°. Mais cela ne veut pas dire que, demain, nous n'utiliserons plus du tout de pétrole. Cela veut dire que cela va baisser. Les entreprises et les pays qui investissent aujourd'hui doivent se poser la question suivante : si la demande en pétrole va décliner, sont-ils en train de prendre la bonne décision ?

Les investissements seront-ils réellement rentables ? L'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que la demande en pétrole atteindra un pic avant 2030, et qu'elle baissera ensuite. Dans ce monde de déclin des énergies fossiles, s'il y a beaucoup de nouveaux projets pétroliers en Afrique, au Moyen-Orient et ailleurs, les retours sur investissement pourraient être négatifs. Les gouvernements doivent donc penser à long terme, pas juste à demain.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.