Tunisie: NTIC / Administration - Digitalisation des services publics, entre effet d'annonce et réalité du terrain

28 Janvier 2024

Pour digitaliser certains services, l'Etat s'est lancé dans la mise en oeuvre de l'identité numérique qui permettra au Tunisien l'accès, progressivement, et à distance, à certains services administratifs comme la légalisation de signature et l'obtention des extraits de naissance. Il semblerait, toutefois, que ce ne soit pas pour aujourd'hui, car de nombreuses entraves persistent.

Cela fait plusieurs années que nous évoquons la digitalisation de l'administration tunisienne, mais ce chantier d'Etat, l'un des plus importants, a pris du retard, et aucune avancée sensible n'a été constatée de manière tangible. Le quotidien des Tunisiens continue d'être sanctionné par la lenteur des procédures administratives. Pourtant, la Tunisie figurait, depuis la fi n des années 90, parmi les premiers pays arabes et africains à avoir lancé des projets de digitalisation et de renforcement des infrastructures numériques.

Aujourd'hui, l'administration tunisienne ressemble à celle de dix, voire de vingt ans en arrière, avec des lois qui semblent obsolètes face à l'accélération des nouvelles technologies. Hôpitaux, municipalités, recette des finances, centres de visite technique des voitures, établissements publics, caisses sociales et autres, toutes les structures administratives sont paralysées par une lenteur étouffante et des pratiques bureaucratiques interminables. La crise du coronavirus, qui a sévèrement frappé le pays, a pourtant laissé augurer une importante digitalisation de l'administration tunisienne.

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Cependant, jusqu'à aujourd'hui il n'en est rien, mis à part quelques effets d'annonce, sans aucune implication sur la vie quotidienne des Tunisiens. Pourtant, il faut rappeler que le pays s'est lancé, depuis des années, dans une ambitieuse stratégie de digitalisation transversale touchant plusieurs secteurs. Parmi les objectifs de cette stratégie nationale, développer l'inclusion numérique et fi nancière, attirer les investissements étrangers, encourager l'investissement local dans le secteur du numérique et développer un écosystème de start-up et d'innovation, digitaliser et simplifier les procédures administratives et développer les services numériques destinés aux citoyens, définir la stratégie de positionnement de la Tunisie sur les différentes technologies ... tels étaient les ambitieux objectifs de cette stratégie à l'horizon 2025.

De même, le pays a lancé un programme national Smart Tunisia pour soutenir la croissance et le développement de l'investissement numérique, favoriser l'écosystème numérique. Ce programme « vise à positionner la Tunisie sur la carte d'excellence des technologies d'innovation et à promouvoir le pays en tant que destination technologique de croissance ». Quelques années après, en dépit de plusieurs annonces officielles, aucune avancée notable sur le terrain.

Le manque d'efficacité de la machine administrative coûte très cher

D'ailleurs, les sites web des administrations publiques qui sont liés directement aux besoins quotidiens des Tunisiens sont en majorité statiques et offrent peu de fonctionnalités à distance. On note également un manque de services digitaux destinés aux Tunisiens dans les différentes administrations, telles que les municipalités, les recettes des finances, les caisses sociales. Par conséquent, le déplacement, les demandes en papier et le déplacement physique demeurent, aujourd'hui encore, la norme.

Ce retard accusé dans la digitalisation de l'administration tunisienne n'est pas sans conséquences sur les dépenses de l'Etat, mais aussi sur ses économies. C'est dans ce contexte que l'expert-comptable et fervent défenseur de la digitalisation de l'administration tunisienne, Maher Gaida, met en garde contre ce retard qui se chiffre désormais en décennies, rappelant que l'administration tunisienne exploitait encore des outils informatiques et bureaucratiques qui datent des années 90. Il a assuré que ce retard coûte énormément cher à l'Etat tunisien en matière d'argent, d'effort, d'énergie et de manque à gagner.

« Le manque d'efficacité de la machine administrative coûte très cher au contribuable, car nous sommes en train de mobiliser annuellement des budgets colossaux pour l'administration. Or sa productivité est quasi nulle », a-t-il dénoncé. Et d'expliquer à La Presse que dans le monde entier, l'administration est censée faciliter le quotidien des citoyens et « non constituer des blocages», soulignant «la nécessité de redistribuer les objectifs pour que l'administration puisse améliorer la qualité de vie des citoyens ».

A cet effet, Mohamed Ksantini, professeur en informatique, en digital et en intelligence artificielle à l'Université de Sfax, présente, pour sa part, des explications sur la raison de ces retards. Selon lui, la décennie post-révolution a marqué un quasi-arrêt des projets d'infrastructure numérique et de développement des compétences humaines. Il pense que l'échec de la transition digitale en Tunisie revient notamment au poids de l'administration elle-même et à l'absence d'une culture numérique en Tunisie.

« Autant dire que dans sa profondeur, l'administration tunisienne est réfractaire à la technologie, de même la lenteur de la prise de décision politique pourrait expliquer cette situation, outre la complexité de l'armada des lois tunisiennes », a-t-il expliqué à La Presse.

L'identité numérique, quelles entraves ?

Malgré tout, il faut voir le verre à moitié plein. Pour digitaliser certains services, l'Etat s'est lancé dans la mise en oeuvre de l'identité numérique qui permettra au Tunisien l'accès, progressivement, et à distance, à certains services administratifs comme la légalisation de signature et l'obtention des extraits de naissance.

Il semblerait, toutefois, que ce ne soit pas pour aujourd'hui, car de nombreuses entraves persistent. Ce projet repose principalement sur les principes de la signature électronique et l'identifiant unique. Sauf que la question de la signature numérique fait face à d'innombrables problèmes en Tunisie dont certainement un cadre légal jugé compliqué et inflexible, notamment pour les prestataires privés.

Pourtant, à cet effet, une source au sein du ministère des TIC nous confirme que ce projet avance à grands pas et que l'année en cours sera celle de l'accélération de ses différentes dispositions, à commencer par la formation des agents publics, à la généralisation de l'identité numérique à tous les citoyens. Un défi de taille si on rappelle que quelques zones en Tunisie n'accèdent pas encore au réseau internet, encore moins aux terminaux mobiles.

Quid de la digitalisation des hôpitaux?

Le domaine de la santé, qui est un service essentiel, est lourdement impacté par le retard de la digitalisation de ses différents services administratifs. Cela fait plusieurs années qu'on annonçait la numérisation des hôpitaux tunisiens et la fi n de l'ère des dossiers médicaux en papier. L'ancien ministre de la Santé, Abderraouf Cherif, avait affirmé même que son département est déterminé à numériser tous les établissements hospitaliers universitaires en 2019.

Cinq ans après, l'image est toujours la même: des files d'attente interminables devant les guichets, des dossiers médicaux perdus ou endommagés et le désarroi total des citoyens. Enfin, pour les spécialistes, accélérer la transition digitale en Tunisie, notamment dans l'administration, implique une approche globale qui intègre plusieurs aspects, tels que l'infrastructure technologique, l'éducation, la réglementation et la sensibilisation.

En effet, en combinant ces approches, la Tunisie sera alors en mesure de créer un environnement propice à la croissance de l'économie numérique et à l'amélioration globale de la qualité de vie de ses citoyens. Il est important que ces efforts soient coordonnés et soutenus à la fois entre le gouvernement, le secteur privé et la société civile.

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