Madagascar: Culture urbaine - Les « gangs » malgaches, produits désoeuvrés du choc des cultures

Le phénomène de gang a réussi à plus ou moins s'immiscer dans le quotidien des principales villes du pays, Diego Suarez et Tamatave notamment. Défiant le statut moral malgache, ces jeunes qui grandissent trop vite.

Décidément, ces garnements ont de l'imagination. Le premier « gang », jeunes délinquants dont les jeunes ados sont friands, reconnu de Madagascar s'est baptisé « Iron Maiden », du nom du plus grand groupe de heavy métal anglais. Leur terrain de chasse était d'abord leur rue, leur quartier, les écoles et s'est étendu à toute la ville de Diego Suarez. C'était durant les secousses politiques des années « ratsirakiste » (80-90) quand l'amiral rouge orientait le pays vers le socialisme/communisme.

Gang ou pas gang, plutôt bande de jeunes violents. Jusqu'à maintenant, les spécialistes internationaux de la criminalité manquent encore assez de matière pour vraiment cerner cette appellation de gang. Le modèle le plus abouti serait celui des troupes de l'Amérique latine, les « maras ». La Grande Île est encore très loin derrière les « MS13 » du Salvador et ses dizaines de milliers de membres question violence, organisation, poids économique et expansion territoriale. Hélas, le coeur y est chez les jeunes du pays.

Dernièrement, entre l'incrédulité et l'étonnement de la population de Tamatave, les « Piramide », un clan de rue ont été démantelés par la police. De 14 ans à 18 ans, leur audace les a poussés à tagguer leur organigramme et leurs noms sur les murs de leur « territoire ». En deux temps trois mouvements, 13 d'entre eux se sont fait épingler. Ce n'est pas la première fois que la jeunesse malgache s'affiche dans les statistiques de la délinquance organisée. Il faut remonter au milieu des années 2000 pour entendre parler du phénomène « foroche ».

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Les terreurs de Diego Suarez. Apparaît alors le slang « koroko ». Un mot qui résumerait presque toute la vision de la jeunesse des quartiers Tanambao 1, Tanambao 3, Tanambao 5, Ambalavola, Rue Point 6, de leur ville et de leur rapport avec leur avenir. Il va sans dire que ce sont des cités populaires, rimant avec chômage accru et précarité. Des « ghettos » faisant le grand écart entre pauvreté humaine et pauvreté extrême. « Il y avait des jeunes qui n'avaient vraiment rien à manger... et d'autres qui étaient chassés par leurs parents à cause de leurs bêtises », témoigne un habitant de la ville préférant taire son nom. Alors, la récupération était facile. « Les anciens formaient » tous ces petites âmes perdues, des proies faciles pour la propagande et l'ode à la violence.

Être Koroko ou ne pas être...

Souvent, durant « les arrestations, ce sont les "loosers" de quatorze à dix-sept ans qui étaient retenus », les mentors filaient leur vie tranquillement depuis leur petit salon. Ces derniers étaient pour la plupart, issus des deux camps « Iron Maiden » et « Troupe de choc ». Avec l'âge et les gosses, ils ont compris la nécessité de rester à l'écart tout en adoptant la même ligne de conduite.

Rackets, viols, meurtres, les « foroches » s'autorisent tout. « Des cadavres étaient jetés en mer aux environs de Nosy Lonjo », ajoute l'habitant de la capitale du nord. Côté statistiques, nul ne sait le coût humain de cette vague de violence. Par ailleurs, « foroche », malgachisation phonétique de féroce et de force, n'étaient que la pointe de l'iceberg.

D'autres gangs tout aussi féroces oeuvraient, Togo Five, Gaza... La marque de fabrique était le couteau avec une pointe empoisonnée. « Ce phénomène a vraiment explosé vers la fin des années 2000. D'après moi, la source d'inspiration a été le film "La cité des dieux" », relève un doctorant en histoire de l'université d'Antsiranana. Dans une favela de Rio de Janiero au Brésil, un gamin rêvant de devenir photographe se voit devenir un témoin de la décadence macabre de son quartier. Tout s'y mêle, drogue, meurtre et banditisme.

Le « varatraza » emmenait aussi dans son sillage le vent de la culture étrangère. L'imaginaire laissé par ce film sorti en 2008 a réussi à fermenter la rage de ces mineurs des « ghettos » désoeuvrés de Diego Suarez. Pour leurs aînés, les séries B américaines et le rock, cette ville possède un terreau avant-gardiste du rock et du jazz, servaient de référence morale. Au bord de L'océan Indien, cet imaginaire tout aussi alimenté par l'étranger. « Ici à Tamatave, c'est la "life" américaine qui prime chez les jeunes », confirme un artiste de renommée du grand port.

« En fait, en toile de fond, l'auto dévalorisation est active : la jeunesse se trouve écartelée entre les structurations prétendues spécifiquement malgaches et les apports flottants venant de l'étranger. Entre les deux extrêmes, l'océan de navigation est immense. C'est le lieu de toutes les spoliations. », note Pierre Ernest Mbima, dans « Le parler des jeunes urbains de Diégo-Suarez : français branché ou argot malgache ? La construction d'une identité mouvante » aux publications « Études océan Indien ». Entre l'école et la rue, à Tamatave, le voile de la violence est mince.

Dans leur tentative de définition, de nombreux chercheurs catégorisent deux zones d'influence vers le phénomène d'organisation en bande violente. Le quartier est le premier vecteur, et l'école la seconde. Après, ces deux là se mêlent au fur et à mesure que les membres s'élargissent. La hiérarchie se forme rapidement, le meneur est souvent celui qui représente au mieux l'idéal de cette « contre-culture ».

« Nous avons constaté en effet que les membres de bandes sont des élèves qui partagent une même affiliation à des "classes périphériques" qui regroupent des adolescents préalablement repérés d'après leur degré d'intégration, ou plutôt de non intégration de la norme scolaire. Si le quartier offre des opportunités d'activités délinquantes variées, il nous semble donc que le collège, de son côté, peut favoriser la structuration de groupes de pairs qui, à mesure de l'expérience scolaire de leurs membres, se structurent en bande. », écrit Benjamin Moignard dans sa communication « Le collège comme espace de structuration des bandes d'adolescents dans les quartiers populaires : le poids de la ségrégation scolaire » à la Revue française de pédagogie.

« Mortal Kombat »

A Tamatave, l'ambivalence entre violence scolaire et celle de quartier est plus palpable qu'ailleurs. La génération de gang d'aujourd'hui « prend modèle pour leurs armes du jeu vidéo Mortal Kombat », remarque le doctorant en histoire. Une série ludique particulièrement sanguinolente. Sortie de l'école, salle de jeux, Facebook, première gorgée d'alcool et bouffée de joint, première piqûre de « rôrô » et le cycle infernal reprend une autre génération.

« Je vois une empreinte des foroches à ce qui se passe à Tamatave. Beaucoup de jeunes, pressés par l'opprobre familial ou recherchés se sont déplacés le long de la côte est et ouest de Madagascar », ajoute l'universitaire. Jusqu'à atteindre des villes comme Majunga et Tamatave. « Ces jeunes utilisent leur prestige pour influencer les petits gars avides de sensation » des quartiers pauvres. Quant à la société malgache, la meilleure réponse reste la sanction, emprisonnement pour les plus virulents, remontrances des autorités et des parents chez les moins « investis à la cause ».

Que ce soit au Salvador, à Chicago et ses 500 morts par an dus aux gangs, à Tamatave, à Diego Suarez, le point commun reste la précarité familiale qui engendre une vulnérabilité individuelle sur tous les plans. Les Mara 18, Bloods, Mongrels et des milliers d'autres bandes, sont tous issus de la ségrégation sous toutes ses formes et des quartiers pauvres de leur ville.

Pour plusieurs auteurs, Européens et Américains surtout, sur ce sujet, la pauvreté est le premier ennemi à combattre avant de penser à combattre les jeunes en bande. Pour Antananarivo, « il n'y a pas encore de Mafia ici, comme les Yakuza, ceux des Italiens... le phénomène de bande de jeunes délinquants n'existe pas » ou n'arrive pas à exister, admet un policier retraité, n'ayant pas voulu être identifié. Le problème de certains pays européens a été de trop tergiverser sur les définitions et les conceptualisations.

Tandis que le phénomène empire d'année en année. Quand les jeunes se sont bien structurés, les pouvoirs ont été tout de suite submergés. La machine était déjà à plein régime. La guerre aux gangs coûte des centaines de millions de dollars aux contribuables. Heureusement, qu'à Madagascar, une certaine sagesse sociale empêche encore cette « culture urbaine » de se pérenniser.

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