Ile Maurice: Les commerçants tentent de sortir la tête de l'eau

À 16 h 30 vendredi, l'autoroute de la capitale conduisant vers le port et le Waterfront témoigne d'une scène habituelle : des files de voitures immobilisées par les embouteillages, au milieu du son de la pluie qui tambourine contre les vitres et d'une atmosphère maussade, brouillardeuse et humide.

Sur les voies de circulation, l'eau commence déjà à s'accumuler alors que le pays est en alerte de fortes pluies. Au bout d'une demiheure, la file d'attente se déplace enfin. Plus loin, sous la passerelle du Victoria Urban Terminal, l'eau s'est accumulée suffisamment pour atteindre les chevilles des piétons qui luttent pour rester stables tout en marchant et en priant les véhicules de rouler lentement pour ne pas les éclabousser davantage. D'autres piétons se retrouvent devant les abribus en attendant désespérément de pouvoir rentrer chez eux, tandis que les voitures commencent à klaxonner pour pouvoir circuler.

Personne ne se parle, mais on sent dans l'atmosphère une impatience collective, du stress et de l'anxiété. À Port-Louis, les souvenirs des personnes prises au piège dans les récentes inondations lors du passage du cyclone Belal ne se sont pas encore estompés, et la moindre averse suffit à donner aux gens un sentiment de déjà-vu et à leur donner envie de se précipiter chez eux, sains et saufs, loin de cette ville inondable qui porte bien son nom de 'port'...

Après une longue attente dans les embouteillages, enfin, nous arrivons à destination : le Waterfront. Après 17 heures ce vendredi, le parking de Marina Quay, au Caudan Waterfront, est plutôt désert, à l'exception de quelques touristes qui errent et de deux ou trois habitants qui attendent de rentrer chez eux sous la pluie. Quelques pavés de béton brisés sur le trottoir témoignent de la force et de l'intensité des vagues qui se sont abattues sur place dans la matinée de ce 15 janvier traumatisant, dans le sillage du passage de Belal. «La mer était agitée, avec des vagues énormes, on a attaché trois des bateaux qui se trouvaient ici. Nounn trouv bann bato-la monté ek ban vag-la, ti fer per», raconte un homme qui se trouve sur le parking. L'accès à cet espace est actuellement fermé par des cordons de sécurité jaunes jusqu'à ce que des réparations soient effectuées.

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(Ces pavés de béton brisés témoignent de la force des vagues qui se sont abattues sur le parking le 15 janvier.)

«Le 15 janvier, nous sommes restés ici jusqu'à environ 12 h 30, lorsque les employés ont été priés de rentrer pendant l'alerte II, avant l'émission d'une alerte III. Les vagues se brisaient contre les parois. À notre niveau, nous disposons de protocoles qui entrent en vigueur dans de telles conditions météorologiques et nous avons tous été autorisés à rentrer chez nous. Pour l'instant, au niveau du Caudan, il n'y a pas eu beaucoup de dégâts, à l'exception de ce bout de parking qui attend d'être réparé. Les magasins du Caudan Waterfront n'ont pas été touchés car ils se trouvent à l'intérieur», confie Gérôme de Caudan Security Services.

(Sous la passerelle du Victoria Urban Terminal, l'eau 'caresse' les chevilles des piétons...)

Du côté du Caudan Arts Centre, l'ambiance est plutôt chaleureuse, dynamique. Les activités se poursuivent normalement, sans dégâts causés par la montée des eaux. «Compte tenu de la hauteur du pont et de la structure du bâtiment, le niveau d'eau n'a pas augmenté au point de dépasser les fondations du bâtiment ou la hauteur du pont. Tout est sûr de ce côté», fait valoir interlocuteur. On constate que d'autres zones proches de la mer sont elles aussi sécurisées par des cordons de sécurité afin que les passants ne s'aventurent pas trop près en raison des pluies récurrentes.

Les magasins et lieux appartenant à l'espace intérieur éloigné de la mer, parmi lesquels, le Blue Penny Museum, le casino, quelques cafés, et les magasins du Caudan Waterfront n'ont heureusement pas été touchés. Toutefois, pour les commerces du Port-Louis Waterfront, le constat est différent. Gérôme souligne qu'il faut d'abord faire la différence entre le Caudan et le Port-Louis Waterfront. Ce dernier, explique-t-il, comprend entre autres, Le Grenier, une série de magasins et de points de vente face à la mer, ainsi que Mcine, Coaster Shed et le food-court.

Il comprend également les tunnels Sud et Nord. En se dirigeant vers le food-court, près du tunnel Sud du Port-Louis Waterfront, une scène plutôt désolante s'offre au regard : en une heure de pluie, l'eau est refoulée et s'accumule déjà, rendant impossible la traversée à moins de prendre le côté et de marcher sous le toit des magasins. Quelques piétonnes se précipitent malgré l'accumulation d'eau afin d'emprunter les transports publics pour rentrer chez elles. Près de l'entrée du tunnel Sud, nous remarquons un autre cordon de sécurité. L'eau provenant des vagues violentes a détruit des carrés de marbre, et des réparations sont en cours.

(Malgré la présence de certains touristes, la plupart des gens préfèrent désormais rentrer chez eux dès qu'il pleut dans la capitale...)

Difficulté des commerces de restauration

Près du Coaster Shed au Port-Louis Waterfront, hormis les restaurateurs, aucun petit commerçant n'avait installé ses étals à vendredi. Pour d'autres commerces, après la colère des eaux, place à la reconstruction et à la reconquête de la clientèle. Ils sont enfin ouverts après plusieurs jours. Mais les activités ont du mal à démarrer. Chez Ty Brez, les serveurs sont assis à l'extérieur et s'occupent des quelques clients qui commandent des boissons.

«Depuis ce matin, il y a un peu de mouvement par rapport aux deux dernières semaines. Le travail a repris un peu et nous espérions faire de bonnes ventes, mais l'après-midi, lorsqu'il a plu, la fréquentation a de nouveau chuté. Je pense que maintenant, de plus en plus, les gens ont peur de venir au Waterfront, surtout par ce genre de temps», estime une employée. Qui se remémore les dégâts causés par Belal, car le commerce est situé face à la mer.

«Le lundi 15 janvier, alors qu'une alerte I était maintenue, mais compte tenu de l'intensité des pluies, notre responsable nous a demandé, notamment à ceux qui habitaient loin de la capitale, de ne pas venir travailler pour notre propre sécurité. Seuls quelques employés résidant à proximité ont été appelés, et ils ont eu le bon sens de rentrer toutes les tables et les chaises du salon de la véranda avant de fermer la sortie, sous les conseils de notre patron. La mer était déjà très agitée (...) plus tard, nous avons vu des vidéos de vagues violentes s'écrasant sur les lieux sur les réseaux sociaux. Après deux jours, lorsque nous sommes arrivés, ce fut un choc : l'eau puissante de la mer avait jailli à travers la véranda et était arrivée jusqu'à la porte. Un peu d'eau est entrée à l'intérieur et nous l'avons nettoyée, mais heureusement il n'y a pas eu de gros dégâts», dit-elle, son visage exprimant encore la surprise deux semaines après.

(Les zones situées en face de la mer sont sécurisées par des cordons de sécurité.)

«Bêtise humaine»

Si les conditions imprévisibles du cyclone Belal ont bien marqué les esprits, ce que les gens ne pourront jamais oublier, c'est la preuve évidente de la «bêtise humaine» : des tonnes de déchets ont été rejetés par les vagues au Port Louis Waterfront. Entre la lutte contre le changement climatique et le développement, la mer nous a rendu nos propres déchets pour nous rappeler la nécessité de nous développer en harmonie avec l'environnement et de le protéger. «C'était du jamaisvu, bien que nous soyons ici depuis longtemps et que nous ayons été témoins de pluies et d'inondations dans la capitale. Cette fois, c'était différent.»

Gérôme, qui était également présent sur les lieux pendant les opérations de nettoyage, témoigne. «Les choses que nous avons vues sont incompréhensibles. Au milieu des débris de la mer, des frigos, des bouteilles, des déchets plastiques, des boîtes de conserve, et même des seringues...» D'où viennent ces objets ? Karl (prénom d'emprunt), habitant de la capitale et habitué du Waterfront, semble avoir sa propre réponse à cette question. «Port-Louis est une ville sise entre les montagnes et la mer. Toutes les rivières et les canalisations vont jusqu'à la mer.

Les montagnes, les ponts, les rivières, les drains... les gens ont fait de tout cela un dépotoir et y jettent toutes sortes de déchets. De plus, avec le fléau de la drogue qui gangrène notre société, on trouve très souvent des usagers sous les ponts, en train de faire passer le temps et de s'injecter des substances prohibées. Où jettent-ils les seringues ? Directement dans la rivière. Lors de fortes pluies, lorsque l'eau jaillit des montagnes, des rivières et des canaux pour se jeter dans la mer, elle entraîne avec elle tous les déchets. Et avec un des drains qui ne peuvent pas contenir la puissance de l'eau, ainsi que d'autres endroits où nous avons misé sur le développement, l'eau s'en va avec force dans la mer, balayant tout sur son passage...»

(L'eau provenant des vagues violentes a détruit le carrelage et des réparations sont en cours.)

Karl ajoute : «Très souvent, lorsque je venais ici, les déchets accumulés flottant dans la mer étaient visibles; une véritable scène d'horreur dans un endroit aussi beau et touristique. Il était temps que la mer nous rende nos propres déchets pour nous faire comprendre que nous devons agir de manière responsable en tant que citoyens de ce pays. Lorsque le métro ne fonctionne pas bien ou que le gouvernement ne prend pas des décisions opportunes, nous les blâmons. Mais lorsque c'est nous qui sommes coupables, pourquoi ne changeons-nous pas de comportement ? Vous vous souvenez avoir vu un homme jeter des ordures depuis sa poubelle pendant les inondations?» Oui, la vidéo ayant fait le tour des réseaux sociaux... «Imaginez, il s'agit d'une seule personne qui agit de manière irresponsable. Quel avenir laissons-nous à nos enfants ? Quel exemple leur donnons-nous ? Tout nettoyer n'efface pas les problèmes de fond, nous devons en tirer les leçons et les mentalités doivent évoluer. Il faut refaire l'éducation civique des citoyens.»

Non loin de là, le food-court affiche une ambiance tout aussi silencieuse et terne, seuls quelques touristes étant attablés devant leurs assiettes. La plupart des commerces proposant de la restauration, rapide ou autre, ont fermé leurs portes en cette fin d'après-midi. Dans l'un d'eux, lorsque les vagues ont frappé, «des tonnes de déchets se sont accumulés dans l'aire de restauration. Mais l'eau boueuse a continué à pénétrer jusqu'à ce qu'elle entre dans l'ensemble de nos locaux. Résultat : trois congélateurs, des produits alimentaires et un réfrigérateur abîmés.»

(Trois congélateurs, des produits alimentaires et un réfrigérateur abîmés dans un commerce.)

Dans celui d'à côté, le personnel témoigne de la lutte pour remettre le business à flot. «Nous commençons à travailler à 11 heures jusqu'à tard dans la nuit. Le lundi 15 janvier, un proche m'avait envoyé une vidéo sur les réseaux sociaux montrant les vagues qui s'écrasaient contre les parois. Je l'ai immédiatement envoyée à mon patron et on nous a dit de rester à la maison. Pendant que les vagues se brisaient, elles ont endommagé notre espace salon, notamment des vitres et des meubles. Les piles de déchets ont également été traînées et jetées avec force dans cette zone. La semaine dernière a été consacrée au nettoyage de notre espace. Nous espérions pouvoir reprendre les activités cette semaine, mais le temps ne semble pas vouloir s'améliorer. C'est une véritable nuisance de ne pas pouvoir travailler convenablement», déplore-t-on.

(Le Caudan Waterfront, qui grouille d'habitude de monde, affichait un aire maussade vendredi, seuls les quelques parapluies colorés venant ajouter un peu de gaieté à la grisaille.)

«On l'a appris péniblement. Maintenant, nous prenons des précautions et, en cas d'alerte de pluies et de cyclone, nous gardons tout à l'intérieur. Aujourd'hui, nous nous attendions à une bonne vente, car c'est la fin de la semaine de travail, mais étant donné le temps pluvieux, la plupart des gens ont choisi de rentrer chez eux, car ils peuvent maintenant avoir peur de rester ici ou dans la capitale à tout moment lorsqu'il pleut...»

(Près du tunnel sud du Port-Louis Waterfront, en une heure de pluie, le niveau d'eau grimpait déjà vendredi.)

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