Depuis 2014, elle a piloté toutes les réformes intervenues dans le secteur de l'énergie. Madame Oumy Khaïry DIAO DIOP est à la tête de la Direction de la Stratégie et de la Réglementation (DSR) avec comme mission de coordonner à la fois, l'élaboration du cadre législatif et réglementaire et de contribuer à l'élaboration de stratégies de développement de la politique énergétique du pays. Elle s'entretient avec le journal de l'économie sénégalaise « Lejecos ».
Depuis 2016, au lendemain des découvertes pétrolières et gazières, le gouvernement sénégalais s'évertue à renforcer le cadre légal visant à encadrer le secteur de l'énergie. Plusieurs réformes institutionnelle, législative et réglementaire sont intervenues depuis les découvertes de pétrole et de gaz, peut-on savoir ou est-ce qu'on en est ?
Globalement on peut dire que la réforme du cadre juridique du sous-secteur des hydrocarbures est achevée, car plusieurs textes ont été pris depuis 2016. Pour rappel on citer entre autres la mise en place de Cos Petrogaz, l'adoption de la loi portant code pétrolier et la loi sur le contenu local, sans oublier le Code gazier, la loi sur la gestion et la répartition des revenus des hydrocarbures.
Ainsi, à travers la loi n°2019-03 du 1er février 2019 portant Code pétrolier, et dans la dynamique de promouvoir l'attractivité du bassin sédimentaire, le Sénégal a mis en place un cadre juridique incitatif pour stimuler l'investissement direct des compagnies pétrolières intervenant dans l'exploration-production des hydrocarbures. L'objectif de cette réforme est bien sûr de tirer un meilleur profit de la ressource pétrolière et gazière pour l'émergence du Sénégal. Ce cadre juridique vise, en amont, une meilleure gouvernance dans le secteur des hydrocarbures car les ressources appartiennent au peuple. L'Etat a dès lors prévu des mécanismes transparents des paiements effectués, qui répondent aux exigences de l'ITIE et la prise en charge de la notion de propriété réelle, notamment à travers la déclaration des bénéficiaires effectifs prévue par le décret 2020-791 du 19 mars 2020.
La loi n°2019-04 relative au contenu local dans le secteur des Hydrocarbures est venue compléter le dispositif. Elle a été adopté dans le but de promouvoir le développement de la main d'oeuvre locale et du secteur privé national. La protection de l'environnement est également prise en charge à travers un nouveau code de l'environnement qui encadre notamment le «torchage» du gaz.
Pouvez-vous revenir globalement sur les réformes déjà initiées dans le secteur ?
Il faut dire qu'il y a eu un effort combiné, car en plus de la réforme du sous-secteur des hydrocarbures comme indiqué précédemment, un Code de l'électricité a été adopté en juillet 2021 dans le sous-secteur de l'électricité, ainsi qu'une loi sur la régulation du secteur de l'énergie.
Certes depuis 1998, il existait un organe de régulation du secteur de l'électricité, mais avec la loi n°2021-32 du 09 juillet 2021, ses missions ont été élargies aux activités en aval des hydrocarbures, et intermédiaire et en aval de l'exploitation gazière.
La réforme du sous-secteur de l'électricité a essentiellement pour objectif de disposer d'un cadre légal et institutionnel propice à l'amélioration de la viabilité financière et à la bonne gouvernance dudit sous-secteur.
In fine l'accès universel à l'électricité en quantité et en qualité à l'horizon 2035 conformément aux objectifs du PSE pour une énergie abordable reste le but ultime de la réforme.
L'une des particularités de la loi n°2021-31 du 9 juillet 2021 portant Code de l'électricité est qu'elle met l'accent d'abord, sur la nécessité de garantir l'approvisionnement en énergie électrique du pays au moindre coût, avec l'introduction du gaz naturel dans le mix énergétique et ensuite sur l'élargissement de l'accès des populations à l'électricité, notamment en milieu rural.
Il vise en outre, l'amélioration du processus de planification du sous-secteur de l'électricité. Ceci à travers la mise en place d'un Plan intégré à moindre coût du sous-secteur d'une part, la promotion des investissements importants que requiert le développement du sous-secteur d'autre part, et enfin, le renforcement du rôle du régulateur et la transformation économique du pays.
La loi n°2021-32 du 9 juillet 2021 portant création, attribution et organisation de la Commission de régulation du secteur de l'énergie (CRSE), quant à elle fixe des règles et pratiques plus favorables à l'investissement privé, afin d'atteindre les objectifs de développement du secteur tout en protégeant les consommateurs.
Ainsi, elle a procédé à l'élargissement du champ d'application du régulateur aux activités situées en aval des hydrocarbures, et intermédiaire et en aval du gazier. Elle postule au renforcement de son rôle, de ses pouvoirs de contrôle et de sanctions pour garantir la transparence dans la participation du privé.
Pour permettre l'atteinte de la croissance visée dans le PSE, le cadre juridique en vigueur a été accompagné par une réforme institutionnelle avec la mise en place du Comité d'orientation stratégique sur le pétrole et le gaz (COSPETROGAZ), de l'Institut national du pétrole et du gaz (INPG) et la réorganisation de Petrosen en une Holding et deux filiales chargées de l'exploration, de la production (Petrosen EP), du Trading et du services ( Petrosen T.S.) avec au demeurant, d'importants actifs au niveau du Réseau Gazier du Sénégal (RGS) et de la Société africaine de Raffinage (SAR).
Dans quelle mesure les différentes structures comme Cos-Petrogaz, PETROSEN, INPG sont-elles complémentaires ?
Chacune de ces structures a une mission précise et joue un rôle important. Le COS Petrogaz est en effet un Comité d'orientation Stratégique du Pétrole et du Gaz (COS-PETROGAZ), chargé d'assister le Gouvernement dans la définition, la supervision, l'évaluation et le contrôle de la mise en oeuvre de la politique de l'État en matière de développement de projets pétroliers et gaziers.
En revanche, Petrosen, est une société nationale, c'est le bras armé de l'Etat pour la mise en oeuvre de la politique pétrolière et gazière de l'Etat du Sénégal. C'est le groupe Petrosen qui a en charge la promotion du bassin sédimentaire, qui participe à l'exploitation des ressources pétrolières découvertes aux côtés des sociétés étrangères. Elle intervient également dans les activités intermédiaires et aval pétrolière et gazière à travers le raffinage, la réception et le transport du gaz naturel et la distribution de produits pétroliers.
L'Institut national du pétrole et du gaz (INPG) quant à lui, est un institut de formation dédié au secteur pétrolier et gazier. Le Gouvernement est conscient de l'importance de la formation de ressources humaines qualifiées dans le but de développer des talents locaux à différents niveaux dans le secteur des hydrocarbures. C'est dans ce sens que l'Institut National du Pétrole et du Gaz (INPG) a pour vocation de constituer un pôle d'excellence au niveau national et régional en matière de formation spécialisée et continue des ingénieurs, cadres, techniciens et opérateurs dans les métiers du pétrole et du gaz, mais aussi un pôle de formation des administrations, de l'industrie et de recherche dans les domaines pétroliers et gaziers.
Dans le but de s'assurer que les formations dans le domaine du pétrole et du gaz répondent aux normes et exigences de qualité requise, l'organisation et le fonctionnement de l'Institut national du pétrole et du gaz (INPG) ont été revisités par le décret n°2021-1576 du 1er décembre 2021. L'INPG joue désormais le rôle de centre de certification pour l'ensemble des structures désireuses de fournir des formations dans le domaine du pétrole et du gaz.
Cette réforme est également en parfaite complémentarité avec le Fonds d'appui au développement du contenu local (FADCL), qui est chargé de garantir la formation, ainsi que la capacitation des entreprises locales, pour accroître leurs participations sur l'intégralité de la chaine de valeur pétrolière et gazière.
Comment peut-on jauger la cohérence du dispositif institutionnel, législatif et réglementaire ?
C'est simple, à travers les résultats obtenus dans la gestion du secteur pétrolier et gazier et bien entendu les performances du Gouvernement au sein de l'ITIE. Ce dispositif institutionnel s'est voulu participatif et inclusif dans le respect des missions de chacune des entités définies par le cadre juridique, qui est très clair. Le Sénégal a mis en place le cadre juridique et institutionnel avant l'exploitation des ressources, en tenant compte des expériences des autres pays. C'est peut-être ça son avantage.
Par ailleurs, dans le souci d'améliorer la gouvernance du secteur, une loi sur la répartition des revenus issus de l'exploitation du pétrole et du gaz a été adoptée en 2022. En outre les partenaires techniques et financiers et les agences de notation procèdent régulièrement à des évaluations.
En termes de transparence, est-ce que les textes rendent obligatoire la divulgation régulière de la liste des demandeurs de titres pétroliers et gaziers, comme l'indique l'exigence 2.2 de la Norme ITIE 2019 ?
Oui, et pour s'assurer du respect de cette exigence de transparence, le Code pétrolier de 2019 a prévu la tenue d'un registre spécial des hydrocarbures, où sont répertoriés toutes les demandes de titres miniers d'hydrocarbures et les contrats pétroliers.
Aussi, la nouvelle disposition réglementaire exige aux demandeurs de titre minier d'hydrocarbures de soumettre une documentation permettant d'identifier le bénéficiaire effectif.
C'est dans cette dynamique de transparence, que l'administration sénégalaise, notamment la direction des hydrocarbures s'est dotée d'un outil de gestion efficace qu'est le cadastre pétrolier qui est accessible en ligne, pour mieux adapter les politiques sectorielles au contexte.
Ce Cadastre pétrolier est un instrument central visant non seulement à améliorer la gestion administrative des activités du secteur des hydrocarbures du Sénégal, mais surtout, représente une plate-forme de gestion d'informations et de promotion du bassin sédimentaire.
C'est une vitrine nationale et internationale du secteur des hydrocarbures, qui permet l'accès aux informations de premier niveau sur l'industrie du pétrole au Sénégal pour la nation sénégalaise. Les données qui y sont publiées aident à assurer la transparence et la fluidité des activités pétrolières, quelle que soit la phase du projet.
Dans ce même contexte, pourquoi les contrats pétroliers et gaziers ne sont pas soumis au préalable à la ratification de l'Assemblée nationale ?
Les contrats pétroliers certes ne sont pas soumis à l'Assemblée nationale pour ratification, mais avec les dispositions du Code pétrolier de 2019, elle (l'Assemblée nationale) est impliquée en amont, avant la signature du contrat. En effet, il est mis en place une Commission d'examen et de négociation des contrats pétroliers, au sein de laquelle l'Assemblée nationale est représentée, de même que le Conseil économique, social et environnemental. Cette Commission est un organe consultatif qui appuie le Ministre du Pétrole et des Energies dans la négociation des contrats pétroliers et gaziers, en donnant des avis et en formulant des recommandations sur les dossiers de demande de titre minier d'hydrocarbures.
De mon point de vue, l'Assemblée nationale qui contrôle l'action du gouvernement ne devrait pas s'impliquer dans ses actes de gestion. Elle serait juge et partie.
Qu'est-ce qui, dans le dispositif, garantit une bonne articulation de la bonne gestion et de la bonne coordination des différentes entités institutionnelles et opérationnelles précitées ?
Le rôle et les attributions du Ministre du Pétrole et des Energies est de préparer et mettre en oeuvre la politique définie par le Chef de l'Etat dans le secteur pétrolier et énergétique.
Il a l'initiative et la responsabilité d'assurer la coordination entre toutes les structures pour garantir un accès large et fiable à une énergie de qualité et à bon marché.
C'est dans ce cadre qu'il veille à l'adéquation des choix technologiques spécifiques aux sources d'énergies et assure la promotion, l'exploration et la gestion des zones prospectives pour les hydrocarbures, tout en s'assurant de la valorisation des acquis scientifiques et technologiques.
A travers les instances de coordination, les Comités de pilotage et de suivi des réformes, les Unités de coordination des programmes qui sont mis en place, le Ministre du Pétrole et des Energies assure une bonne gestion des entités opérationnelles sous sa tutelle.
Les réformes auxquelles vous procédez, obéissent-elles à un plan de mise en oeuvre, ou alors interviennent-elles de manière ponctuelle ?
Les réformes obéissent à la volonté du Gouvernement de disposer d'un cadre adéquat pour l'atteinte des objectifs du Plan Sénégal Emergent (PSE). Toutes les réformes qui ont été menées dans le secteur de l'énergie ont pour dénominateur commun de disposer d'un cadre propice pour le développement du pays. C'est dans ce sens que les objectifs du PSE ont été traduits dans la Lettre de politique de développement du secteur de l'énergie, qui a érigé en priorité la mise en oeuvre des préalables à l'exploitation des ressources pétrolières et gazières pour tirer le meilleur avantage dans une perspective de transition énergétique.
Où en est la réforme concernant la filialisation de Senelec et qui a été maintes fois repoussée ?
Le Code de l'Electricité a prévu la création d'une Holding et des filiales métiers (production, transport et distribution-vente) en 2024. Les travaux préalables sont en cours pour aller vers cette réorganisation de Senelec en filiales publiques, après la séparation comptable qui est effective depuis 2020.
Dans le cadre de l'ouverture du marché de l'électricité avec l'accès des tiers au réseau électrique en 2024, les travaux pour la mise en place d'un Bureau d'accès au réseau de transport (BART) se poursuivent.
Dans le cadre de la réforme de la CRSE, il est intégré un Comité de règlement des différends (CRD), celui-ci est-il compétent pour les deux sous-secteurs ?
S'agissant de la Commission de régulation du secteur de l'énergie (CRSE), ses missions ont été élargies aux activités du sous-secteur des hydrocarbures.
Il est composé d'un Conseil de régulation dont les membres ont été installés en octobre 2023 et d'un Secrétariat exécutif.
Le Comité de règlement des différends qui est une nouveauté est compétent pour les sous-secteurs de l'électricité, de l'aval des hydrocarbures et des activités des segments intermédiaire et aval gazier.
Il est chargé de l'examen des plaintes et recours déposés auprès de la Commission de Régulation du Secteur de l'Énergie et a une compétence exclusive pour statuer sur les plaintes et violations de la réglementation soumise par les acteurs des secteurs et relevant de la compétence de la CRSE, ainsi que sur les recours exercés par les candidats et soumissionnaires dans le cadre des procédures d'obtention des titres d'exercice.
Dans la loi sur le contenu local et notamment sur la distinction entre entreprises locales et entreprises étrangères, s'est-on assuré de la compatibilité du dispositif avec les engagements souscrits par l'Etat au niveau communautaire et au niveau international à travers les traités bilatéraux d'investissement (TBI) conclus avec des pays tiers ?
La problématique de la mise en oeuvre de la loi sur le Contenu local ainsi que ses décrets d'application au regard des engagements internationaux s'était déjà posée lors de l'élaboration des textes d'application de la loi.
Pour rappel, la loi sur le Contenu local ainsi que ses décrets d'application met en place le principe de préférence nationale pour limiter les importations de biens et services dans le secteur des hydrocarbures. Ceci pour faire en sorte que ces dernières constituent une valeur ajoutée conséquente dans l'économie locale notamment au niveau des facteurs de productions locaux.
Tenant compte de l'importance pour l'Etat du Sénégal de respecter ses engagements internationaux, tout en prenant des mesures pour garantir son droit au développement, la problématique précitée a fait l'objet d'études et d'analyses exhaustives des traités communautaires, ainsi que les Traités Bilatéraux d'Investissement.
Ces travaux nous ont permis d'affirmer que le risque d'incompatibilité entre la loi sur le contenu local et les engagements internationaux du Sénégal est à relativiser dans la mesure où les CRPP (Contrats de Recherche et de Partage de Production) par leur nature contractuelle, négociée avec l'investisseur, prévoient déjà des mesures de Contenu local. En d'autres termes, l'investisseur étranger accepte implicitement de se soumettre aux mesures de Contenu local. Il est donc lié à des mesures auxquelles il a librement souscrit.
Sur la base d'une analyse des cinq principes de la bonne gouvernance, primauté du droit, transparence, redevabilité, participation et efficacité, en quoi les réformes mises en oeuvre dans le secteur garantissent-elles ces principes ?
A la lumière de ce qui précède, je pense que la réponse est toute trouvée.