Tunisie: Second tour des élections locales - Rôle des futurs conseillers locaux, des questions restent en suspens

29 Janvier 2024

Premier tour des élections locales, le 24 décembre dernier La Presse © Salma Guizani

Les électeurs sont de nouveau appelés aux urnes, dimanche 4 février, pour le second tour des élections locales. La campagne électorale a été lancée depuis le 21 janvier et s'achèvera le vendredi 2 février à minuit. 1.348 candidats, dont 128 sont déjà passés au premier tour et 1.558 autres passeront le second tour pour 254 conseils locaux sur un total de 279. En ce qui concerne les opérations de tirage au sort qui ont permis d'élire les personnes à besoins spécifiques, 279 candidats ont été élus, dont 36 femmes.

L'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) est prête pour ce second tour et a même apporté quelques modifications à son plan de communication, en vue d'améliorer la participation électorale selon la déclaration du membre de l'Isie, Najla Abrougui. Parmi ces modifications, l'exploitation des radios web relevant de 95 maisons des jeunes au profit des candidats, après coordination avec le ministère de la Jeunesse et des Sports. Plus de 15 mille agents ont été mobilisés par l'Isie, ajoute la même source.

La deuxième Chambre parlementaire sera prête au printemps 2024

Il va sans dire que la réticence est devenue en quelque sorte la norme et le taux de participation pour le premier tour a été de 11,84%. Un taux jugé faible par une opposition divisée. Le président de l'Isie, Farouk Bouasker, est catégorique. Des partis politiques ont tenté de faire avorter le processus électoral. «Des acteurs politiques avaient diffusé de fausses informations y compris sur les candidats pour faire échouer les élections locales», précise-t-il dans une déclaration, indiquant que plus de 20 plaintes pénales ont été déposées auprès du ministère public. Lors de la campagne électorale du premier tour, des crimes électoraux ont été relevés sur les réseaux sociaux. C'est tout le processus de la démocratie par la base prônée par le Président de la République qui est visé aujourd'hui par l'opposition.

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Dans une déclaration donnée vendredi 26 janvier, Bouasker a dévoilé le souci du Conseil de la Commission d'achever le processus électoral des conseils locaux et de consolider les conseils locaux et régionaux, en vue, in fine, de la formation du Conseil national des régions et des districts dans les délais impartis. La deuxième Chambre parlementaire devra être prête au printemps 2024. Il a mis en avant l'importance du rôle de l'électeur tunisien pour garantir le succès de cet important rendez-vous, en exerçant son droit électoral et sa participation le jour du scrutin pour choisir son représentant dans les conseils locaux.

Des constitutionnalistes s'inquiètent autour des prérogatives de ces conseils

La dernière étape du processus de la mise en place, soit en mars ou en avril du Conseil national des régions et des districts qui fera office d'une deuxième Chambre du Parlement, a pour mission principale le développement local. Mais que de questionnements sont posés autour de l'impact réel de ce mode de scrutin qui se tient pour le première fois en Tunisie et qui se penche sur la vie de la cité.

Certains constitutionnalistes ont pointé du doigt des lacunes au niveau de la législation. A cet effet, Salsabil Klibi explique qu'il n'existe toujours pas de texte de loi qui prédéfinit les prérogatives des conseils locaux. La constitutionnaliste va encore plus loin et déclare sur sa page face book, le 26 décembre dernier, qu'elle ne croit pas qu'un texte de loi sera publié à cet effet pour la simple raison que ces conseils seront mis en place juste pour garantir aux membres élus l'accès au conseil national des régions et des districts, c'est-à-dire à la deuxième Chambre parlementaire, par le biais du tirage au sort.

Les prérogatives doivent être spécifiées par la loi

Pour sa part, Youssef Abid, chercheur en droit public, a mis l'accent, lui, dans une déclaration en décembre dernier, sur le besoin d'une loi fixant les prérogatives des conseils locaux et leur relation avec le Conseil des régions et districts. Selon lui, «les prérogatives doivent être spécifiées par la loi», rappelant ainsi le principe selon lequel il n'existe pas de compétences sans texte.

Ce n'est pas l'avis du porte-parole de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), Mohamed Tlili Mnasri, qui a expliqué dans une déclaration donnée en décembre dernier, qu'on ne peut pas évoquer un vide juridique si on se réfère à la loi de 1994, portant création des conseils locaux de développement et la loi organique sur le Code des collectivités locales. «Les prérogatives du Conseil des régions et districts, ses domaines de compétence, ainsi que sa relation avec le Parlement sont définis par la Constitution (de l'article 81 à l'article 86). Toutefois, les conseils locaux requièrent une loi organique définissant leurs prérogatives et champs d'action», a-t-il fait savoir.

Dans ce même contexte, l'avocat Mahmoud Ben Mabrouk, qui est aussi le porte-parole de la formation du parti baptisé «Processus du 25 juillet» nous a déclaré que le décret présidentiel n° 2022-691 du 17 août 2022, portant promulgation de la Constitution de la République tunisienne, a précisé les prérogatives de la deuxième Chambre. Selon l'article 85 «Le Conseil des régions et des districts exerce les pouvoirs de contrôle et de redevabilité dans les diverses questions liées à la mise en oeuvre du budget et des plans de développement». Selon l'article 74, «les conseils locaux, les conseils régionaux, les conseils des districts et les organismes peuvent acquérir le statut de collectivité locale».

Notre interlocuteur explique que cette deuxième Chambre se penche en particulier sur les plans de développement dans les régions et les districts, ainsi que le contrôle du budget de l'Etat. La différence est grande entre les conseils municipaux et les conseils locaux. Les premiers sont dotés d'une administration et d'un budget, alors que les seconds ne sont pas appelés à assurer une gestion financière ou administrative. Il doit se faire l'écho des préoccupations des habitants de la cité et à donner son opinion sur les projets de développement régionaux. L'avocat Ben Mabrouk est du même avis que Mohamed Tlili Mnasri de l'Isie concernant la nécessité de définir les prérogatives des conseils locaux.

On ajoute, à ce propos, que les municipalités relèvent du pouvoir exécutif, alors que les conseils locaux et régionaux relèvent du pouvoir législatif.

Jeter les bases d'une nouvelle République

On est en train de vivre une nouvelle et première expérience qui veut couper court avec l'ancien système électoral, et il ne faut donc pas tomber dans l'erreur de la précipitation au niveau de l'évaluation de ce nouveau système. Certains avaient prédit que l'ARP allait échouer, mais les nouveaux parlementaires ont prouvé le contraire, par l'adoption de nouveaux projets de loi, fait remarquer l'avocat Ben Mabrouk. C'est un scrutin de proximité qui va permettre aux conseils locaux de relayer les doléances et propositions des citoyens, définir les projets prioritaires, et, bien évidemment, de concevoir des programmes de développement sur le plan local et transmettre les requêtes, conclut-il.

Conscient de certains défis qui se profilent à l'horizon et l'opposition affichée par certains partis politiques à ce projet, Kaïs Saïed avait apporté les réponses nécessaires aux questions de certains juristes. Il a en effet précisé, lors de l'accomplissement de son devoir électoral, le 24 décembre 2023, que l'Etat veillera à l'application des textes de loi sur le terrain et à parachever la mise en place des institutions constitutionnelles, citant à cette occasion la Cour constitutionnelle. «Il s'agit là de la mise en place des assises d'une nouvelle République. On doit relever tous les défis», a-t-il déclaré.

Pour la petite histoire et dans un entretien accordé à La Presse le 27 juillet 2018, avant même l'élection présidentielle, Kaïs Saïed, alors candidat, nous a déclaré que «les idées ont changé mais les concepts -- parce que statiques -- sont devenus de véritables obstacles face à toute nouvelle pensée politique. Nous avons besoin en Tunisie d'une nouvelle organisation politico-administrative qui part du local vers le national, en passant par le régional. Il faut créer des conseils locaux dans chaque délégation dont les membres sont élus au suffrage universel et au scrutin uninominal pour que les députés soient responsables devant leurs électeurs».

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