Au lendemain de l'annonce du retrait du Burkina, du Mali et du Niger de la CEDEAO, le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération régionale et des Burkinabè de l'extérieur, Karamoko Jean Marie Traoré, s'est prononcé sur la décision.
Les Etats de l'AES ont annoncé leur décision de quitter la CEDEAO. Quelles sont les implications d'une telle décision sur le plan de la coopération avec les autres Etats de la CEDEAO ?
En effet, la décision politique a été prise par les trois chefs d'Etat du Burkina, du Mali, du Niger, d'annoncer le retrait donc de nos pays, de la CEDEAO. Et, le message qui a été diffusé était suffisamment complet et restituait tous les motifs et toutes les justifications qui ont milité en faveur de ce retrait. Naturellement, c'est une décision qui s'inscrit dans une chaîne de conséquences et nous en avons pleinement conscience. En ce qui concerne la coopération avec les autres Etats, je dois rappeler que nos relations avec la CEDEAO concernent le volet multilatéral.
Et au-delà de ce volet multilatéral, le Burkina Faso continue d'avoir des relations historiques avec tous ses pays voisins dans le cadre bilatéral. Ces relations demeurent et ces relations vont se poursuivre et éventuellement se renforcer. Deuxièmement, nous sommes dans une dynamique de structuration endogène dans un espace beaucoup plus pertinent qui est celui du Liptako-Gourma et qui nous permet de réfléchir sur des problématiques en termes beaucoup plus cohérents et l'Alliance des Etats du Sahel (AES) reste de toute façon ouverte à tout pays pour être membre. L'AES pourrait dans la perspective aussi tisser des relations avec l'espace CEDEAO. Donc, pour dire que la décision qui a été prise est une décision qui s'inscrit dans un esprit d'une meilleure articulation et qui nous permet de travailler véritablement sur les défis qui sont les nôtres.
Ce retrait aura-t-il des conséquences sur la libre circulation des personnes et des biens ?
Naturellement, le retrait a forcément des conséquences. Nous sommes liés par un Traité avec beaucoup de protocoles additionnels. Ne pas le reconnaître, c'est vraiment refuser d'accepter la réalité. Mais c'est en toute connaissance de cause que les chefs d'Etat ont pris cette décision, en sachant qu'il y aura effectivement des répercussions. Mais le plus important, c'est de réfléchir sur les mécanismes alternatifs pour faire face à ces répercussions. La libre circulation des personnes et des biens est un grand chapitre. C'est l'un des domaines dans lequel la CEDEAO a travaillé longuement.
Ce secteur va être certainement impacté. Il y a d'autres mécanismes qui nous permettront de régler cela et d'avoir des arrangements avec les Etats individuellement. Dans tous les cas, il faut toujours avoir la réflexion dans les deux sens. Il n'y a pas seulement que les Etats du Sahel qui ont à payer. Nous sommes dans une dynamique d'interdépendance. Autant les Sahéliens vont dans les pays de la CEDEAO, autant les populations des pays membres de la CEDEAO circulent dans notre espace. Donc, en cela, je pense que pour continuer à sauvegarder les acquis qui ont pu être atteints dans le cadre des années précédentes, il est important que nous puissions, avec les pays membres de la CEDEAO, discuter pour prendre des décisions qui profitent aux populations.
Je dois préciser que la CEDEAO est un espace qui a vocation d'être une institution d'intégration économique. Et, la vision 2050 a mis au coeur de la politique la CEDEAO des peuples. En réalité, quand vous regardez la dynamique aujourd'hui, les populations de l'espace CEDEAO sont en avance sur les textes de la CEDEAO. L'intégration est une réalité dans les zones transfrontalières, pour ceux qui connaissent un peu la coopération entre nos pays et nos voisins. C'est l'institution qui est en retard et ce qu'il faut faire, c'est de revoir courageusement les textes pour les ajuster sur la réalité de cette dynamique.
Donc, nous disons que la décision qui a été prise au niveau de l'AES, de se démarquer de cette dynamique qui est en train de compromettre l'avenir de la sous-région, est une décision qui est plutôt en phase avec les aspirations des populations. Sa légitimité vient du fait que les populations du Sahel ont longtemps crié et n'ont pas été entendues. Elles ont longtemps appelé au secours et n'ont pas été entendues.
Quand elles sont entendues, elles ne sont pas comprises. Et aujourd'hui, il s'agit de faire en sorte que les décisions qui sont prises au sommet soient en parfaite articulation avec les aspirations populaires. Donc, je dirais que, oui, il y a des répercussions, mais il y a des mécanismes qui nous permettront de faire face à ces situations et de faire en sorte que chaque citoyen, qu'il soit du Burkina, du Mali ou du Niger, puisse se sentir toujours en sécurité dans le reste de l'espace avec nos frères et soeurs des autres pays.
Il y a aussi la méthode de retrait. Est-elle vraiment conforme aux textes de la CEDEAO ?
La situation avec la CEDEAO est telle qu'aujourd'hui, parler de conformité nous ramène à passer en revue l'attitude même de la CEDEAO. Une institution dont la motivation première est de créer un espace intégré économiquement et qui aspirait à offrir aux populations de l'Afrique de l'Ouest, un espace économique, un espace douanier, une union monétaire, mais qui sort de sa trajectoire pour prendre des décisions qui, à mon avis, visent même à désintégrer l'espace.
Lorsque vous prenez une décision de confiner politiquement, économiquement, financièrement, un membre important de votre espace, en sachant que nous sommes dans une dynamique de travailler en cohérence, en convergence, pour donner plus d'élan à notre économie, qu'est-ce que vous faites ?
C'est un peu comme si la CEDEAO avait décidé de faire une grève de la faim. Le Niger en est un exemple.
En quoi est-ce qu'un paysan qui se trouve à Kargibangu, un village du Niger, qui n'a rien à voir avec ce qui se passe à Niamey, doit souffrir du manque de médicaments, même les médicaments ?
Comment est-ce qu'une institution peut prendre des mesures aussi drastiques, sévères, pour faire souffrir les populations alors même que sa vision est construite autour d'une CEDEAO des peuples ?
Nous disons qu'il y a un sérieux problème. Le plus grave, c'est que plus les décisions sont prises, plus on se rend compte qu'il y a une méconnaissance de ces territoires par certains acteurs, malheureusement, qui décident au niveau de la CEDEAO. Et, il fallait corriger cela. Selon les textes de la CEDEAO, le retrait doit respecter un délai. Alors que le communiqué annonce le retrait avec effet immédiat ...
Le retrait normal est réagi par l'article 91 du traité révisé. Et effectivement, ce retrait, la procédure veut que les Etats ou l'Etat qui veut se retirer le notifie et que ce soit réglé sur un délai d'un an. Au cours de ce délai, l'Etat a encore la possibilité de revenir sur sa décision. Ce qui se passe, c'est que lorsque l'institution elle-même marche sur ses propres textes, elle donne un message à l'ensemble de l'espace qui veut que ses propres textes n'ont plus de poids. Les mesures financières qui ont été prises contre le Niger ne figurent pas dans ces sanctions.
L'UEMOA a été instrumentalisée, par exemple, pour opérationnaliser ces mesures. On le fait sur quelle base ?
Donc, il y a un sérieux problème. Quand vous prenez le traité révisé de la CEDEAO, allez-y au chapitre 2 consacré aux objectifs, au but, à tous les principes et vous verrez. Il parle de la non-agression, la solidarité, la fraternité, toutes des valeurs qui fondent la famille africaine. Allez-y prendre la liste des sanctions qui ont été prises dernièrement. Jusqu'à menacer d'attaquer militairement un membre pour une institution qui a vocation à créer une entité économique cohérente, prendre la décision d'attaquer militairement un membre, de l'asphyxier financièrement, économiquement, en sachant que ce membre a une contribution dans l'espace économique que nous sommes en train de construire ensemble. Il y a un véritable problème. Donc la décision est une réplique du non-respect par la CEDEAO, elle-même, de ses textes et c'est pour cela que le sans-délai trouve tout son sens.