On a assisté, hier, dans la soirée à l'une des plus grosses surprises, pour ne pas dire à l'un des plus gros braquages de cette Coupe d'Afrique des nations (CAN), avec la victoire des Eléphants de la Côte d'Ivoire sur les Lions de la Teranga. Ce qui était considéré par les esthètes du sport comme une rencontre anecdotique s'est, en effet, révélé être pour le Sénégal un match aux allures de montagne insurmontable, sanctionné par une victoire sur le fil et à la surprise générale, des Ivoiriens.
Personne n'aurait, en effet, misé un seul kopeck sur une victoire des Eléphants face à l'ogre sénégalais, et pour y arriver, Seko Fofana et ses coéquipiers ont dû se sublimer pour prouver à leurs supporters qu'ils forment, après tout, une grande équipe malgré leurs multiples dérapages défensifs au premier tour, et un parcours éminemment critiquable dans une poule pourtant facilissime, conclu par une troisième place étonnamment qualificative pour les huitièmes de finale.
Si la légalité sportive de cette victoire des Eléphants est indiscutable, sa légitimité est, par contre, contestable au regard du sans-faute des Sénégalais depuis le début du tournoi. Pourtant, en football de sélection, la Côte d'Ivoire a toujours été pour le Sénégal, ce que l'Allemagne a toujours été pour la France : un briseur de rêves. Dans l'histoire de la CAN, les Eléphants et les Lions de la Teranga se sont croisés à deux reprises seulement, et toutes les deux rencontres ont tourné à l'avantage de la Côte d'Ivoire.
Mais, cette fois-ci, les Sénégalais avaient largement les faveurs des pronostics en raison de leur solidité défensive et de leur efficacité offensive, sans oublier qu'ils ont déviergé leur palmarès, il y a deux ans de cela au Cameroun, en faisant main basse sur le trophée continental, après la loterie des tirs au but face à l'Egypte.
La Côte d'Ivoire est désormais bien partie pour s'adjuger le troisième trophée de son histoire
Malheureusement, la condescendance sénégalaise a volé en éclats. Avec leur déculottée face à la Guinée Equatoriale, il faut dire que les attentes étaient évidemment minimes du côté de leurs supporters, et il a fallu que les pachydermes se subliment au cours de ce match pour redonner de l'espoir à ces millions d'Ivoiriens qui pensent depuis ce coup de Trafalgar, que la Côte d'Ivoire est désormais bien partie pour s'adjuger le troisième trophée de son histoire.
Le rêve est d'autant plus permis que les joueurs d'Emers Fae qui ont commencé ce match sur les chapeaux de roue, ont démontré que techniquement et tactiquement ils avaient de la matière, et que leur qualification ric-rac pour le second tour après deux défaites concédées face au Nigéria et à la Guinée Equatoriale n'étaient que des accidents de parcours.
C'est en même temps un avertissement sans frais à leur futur adversaire pour le quart de finale dont on connaitra l'identité à l'issue du match fratricide qui opposera le Mali au Burkina Faso, ce soir à Korhogo. Si le Sénégal et sa constellation de stars sont passés à la trappe, les Eléphants de Côte d'Ivoire, formidables de réalisme et évoluant dans leur propre forêt, n'auront certainement pas pitié des Etalons encore moins des Aigles, ces derniers étant accusés par certains supporters ivoiriens d'avoir levé le pied et livré un match pâle face à la modeste Namibie lors de leur dernier match de poule, dans le but de réduire les chances du pays hôte d'accéder au tour suivant.
C'est vrai qu'officiellement, les autorités de la Côte d'Ivoire, du Mali et du Burkina ne se sont pas immiscées dans les considérations extra-sportives largement relayées sur les réseaux sociaux par des activistes et par certains leaders d'opinions, mais la montée des nationalismes et des tensions diplomatiques qui fracturent la sous-région depuis quelque temps, risque de donner plus de piquant à ce quart de finale qui se jouera à Bouaké le 3 février prochain. C'est connu, le football est parfois belligène en ce sens qu'il souffle sur les braises des passions nationales.
Et le pays organisateur de cette CAN devra tout faire pour convaincre les plus agités de la toile que le football est avant tout un jeu. Il y va de l'image de la Côte d'Ivoire, mais aussi du sort des Eléphants qui entendent brillamment conclure le conte de fées d'hier soir en devenant des héros improbables le 11 février prochain, devant le monde entier et sous les regards de leur président de la République.