Afrique: Spécialité culinaire - Attieké, la carte postale de la Côte d'Ivoire

30 Janvier 2024

Si le Sénégal a son plat national, le « ceebu jen » (riz au poisson) inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO, la Côte d'Ivoire aussi a son attieké. On le retrouve partout dans le pays. Fait à base de manioc, il est sans doute le plat le plus représentatif du pays. A Yamoussoukro comme dans d'autres localités, beaucoup de personnes en particulier des femmes s'activent dans sa production.

Que ça soit en bordure de rue ou au marché, dans les maisons, les maquis, les restaurants chic, il est partout. L'attieké est consommé au petit-déjeuner, déjeuner ou au dîner avec du poisson braisé ou du poulet accompagné de sauce tomate, de piment et parfois d'aloco (frites de bananes plantain). Fait à base de manioc, ce mets typiquement ivoirien originaire des peuples Ebrié est très prisé dans le pays. Ici, il se mange avec la main. « L'attieké est un plat très populaire ici. Tout le monde le mange et avec la main. Vous l'avez certainement remarqué. C'est comme ça qu'on va sentir le goût. Les étrangers qui viennent ici en raffolent. C'est très bon », confie Louis, ivoirien. Du fait de sa consommation populaire, la production de l'attieké est une activité économique pour beaucoup de femmes en Côte d'Ivoire.

En ce mardi 20 janvier, le soleil est au zénith et la chaleur est à la limite du supportable. Devant une maison sise au quartier 220 de Yamoussoukro, un tricycle dépose un chargement de manioc sous un hangar à côté d'une charge de bois de chauffe. Un peu plus loin, sur du plastique sont exposées au soleil de la poudre de manioc pour séchage. Juste à l'entrée, sous l'ombre d'un hangar, une femme cuit à vapeur le couscous de manioc sur trois grandes marmites posées sur du feu de bois. Difficile de l'approcher à cause de la fumée et de la forte chaleur qui s'y dégagent. De quoi lui suer le visage. Non loin d'elle, au rythme d'une musique, deux hommes remplissent le couscous déjà prêt qu'est l'attiéké, dans des sachets.

Nous sommes à la Société de coopérative des agricultrices et transformatrices du bélier (Socat). Après quelques minutes de réticence, la responsable de l'entreprise Konan Kouassi Indri Henriette finit par accepter de nous parler. Sur ce, elle nous conduit dans la cour de la maison où on retrouve un groupe de femmes s'affairant autour de la préparation. Dans une ambiance joviale, certaines d'entre elles tamisent la poudre du manioc tandis que les autres enlèvent les grains pour en faire la semoule d'attieké. Agée d'une quarantaine d'années, Konan Kouassi Indri Henriette est productrice d'attieké depuis son jeune âge.

« Pour faire l'attieké, on épluche d'abord le manioc et on coupe en petits morceaux qu'on met dans de grandes bassines pour laver. Après on broie le manioc dans le moulin et au fur et à mesure qu'on le fait, on y ajoute du manioc fermenté mélangé avec de l'huile. C'est ce qui donne le goût à l'attiéké sinon ça devient du gari. La quantité de manioc fermenté dépend de la quantité de manioc brut. Ensuite, la pâte de manioc est mise dans des sacs pendant au moins un jour. Par la suite, elle est pressée pour enlever l'eau résiduelle, et puis le produit est séché, tamisé et cuit à la vapeur », explique Konan Kouassi Indri Henriette.

Selon elle, plus le temps de fermentation du manioc est long, plus le goût de l'attieké est aigre. « J'utilise l'huile Dinor qui maintient le manioc fermenté et avec cette huile, la conservation de l'attieké dure plus longtemps. Il y a d'autres personnes qui utilisent l'huile rouge. Ça défait le manioc plus vite mais la conservation ne dure pas », confie la productrice. A l'en croire, il faut au moins deux ou trois jours pour partir de l'épluchage du manioc à l'attieké prêt à déguster. Productrice d'attieké reconnue en Côte d'Ivoire, Konan Kouassi Indri Henriette participe à des formations d'ONU Femmes et à des foires.

De l'attieké à tous les prix

L'entreprise gérée par Madame Konan existe depuis plus 30 ans mais c'est en 2019 que l'Etat ivoirien la reconnaît comme une coopérative, nous fait savoir son vice-président Konan Moïse. Près de 30 personnes y travaillent, toutes des salariées. Quant au prix du manioc, ils varient selon les saisons. «On s'en sort quand il y a plus de commandes. On achète le manioc par chargement de tricycle. En saison sèche, ça peut partir de 80000 à 90000FCFA. Pour le grand modèle de tricycle, le prix du chargement peut aller jusqu'à 100000 FCFA. En saison pluvieuse, les prix varient entre 50000FCFA à 65000 FCFA. Pour l'attiéké prêt à déguster, il y en a à tous les prix, même 100FCFA», renseigne Konan Moïse.

A quelques mètres de marche toujours dans le quartier 220, au bord de la route, un groupe de femmes cuisent à vapeur l'attieké sur deux grandes marmites. « C'est ma mère qui gérait mais après sa mort, ma grande soeur a pris la relève. Nous travaillons sous sa houlette. On fabrique 3, 4 ou 5 sacs d'attieké par jour. Ça dépend des commandes. Les prix varient entre 100FCF et 5000FCFA le sachet. Nous avons cinq employées ici, elles reçoivent 1100F par jour. Il existe plusieurs variétés d'attiéké : les gros grains ou Abodjama, les petits grains et l'attiéké garba», fait savoir Kouamé Afoué Rite.

A en croire les productrices d'attieké, rien n'est facile dans la production. « Vous avez vu comment il fait chaud le feu. Quand on s'approche du feu, ça fatigue nos peaux et la nuit, ça nous travaille sur tout le corps mais on ne peut pas abandonner puisque c'est notre métier», confie la jeune fille. Assietou est une des employées de la Socat. D'origine malienne, elle y travaille avec sa fille de 18ans en classe de 3e, à ses heures perdues. « Je fais ce travail depuis 20 ans. Il y a ma fille Dieynaba qui travaille avec moi. Si elle n'a pas cours, elle vient avec moi. C'est un peu dur mais on est habituées. C'est avec ça qu'on gagne notre vie. Je souhaite fonder ma propre entreprise », dit Assietou.

La consommation de l'attieké n'est pas, en effet, que locale Sa popularité s'est étendue, si bien qu'aujourd'hui, il est consommé dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest. Et pour satisfaire cette demande, il est exporté sous forme de produit surgelé ou séché. « On expédie hors du pays, au Burkina, au Mali, au Sénégal, au Ghana, en Europe, en Amérique. Je reçois beaucoup de commandes. C'est une aubaine pour nous les transformatrices », indique Konan Kouassi Indri Henriette.

Les productrices appellent à l'industrialisation

Des difficultés ne manquent pas dans la production de l'attieké mais elles sont plutôt d'ordre matériel et logistique. Même si l'attiéké est très prisé ici en Côte d'Ivoire, sa production reste artisanale dans la majeure partie des cas. Ce qui permet aux productrices d'appeler à une industrialisation de la fabrication. Elles souhaitent être dotées de machines adéquates pour la production de l'attiéké. « On fait tout à la main sauf peut-être le broyage qui se passe au moulin. C'est très difficile. Si l'Etat peut nous aider à industrialiser la production, ce sera une ferté pour moi. On va gagner du temps. Depuis le démarrage de mes activités, je prie Dieu pour qu'il agrandisse mon entreprise », affirme Konan Kouassi Indri Henriette. Cependant, il faut noter qu'il existe quelques unités industrielles dans certaines zones du pays. Les épluchures de manioc sont vendues par sac de 500 et 1000FCFA aux éleveurs de mouton.

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