Enseignant-chercheur à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, El Hadji Omar Diop, est formel sur la controverse suscitée par la décision du Conseil constitutionnel portant publication de la liste des candidats pour la présidentielle de 2024 et plus particulièrement sur la procédure de mise en place d'une commission d'enquête parlementaire contre deux des « Sept sages » Le Docteur en droit et auteur de plusieurs publications sur les partis politiques et le processus électoral, a tenu en effet à préciser que l'Assemblée nationale n'a aucune prérogative pour enquêter sur les décisions du Conseil constitutionnel encore moins sur celles d'une autre juridiction.
L'Assemblée nationale est-elle compétente pour enquêter sur les membres du Conseil constitutionnel ?
L'Assemblée nationale n'a aucune prérogative pour enquêter sur les décisions du Conseil constitutionnel encore moins sur celles d'une autre juridiction. La Constitution du Sénégal est très claire en son article 92 alinéa 4 : « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucune voie de recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Il n'y a pas de commentaire à faire. C'est l'autorité absolue des décisions du Conseil constitutionnel devant l'ensemble des pouvoirs publics, des citoyens, des autorités administratives. Il n'y a rien à commenter. Maintenant, nous sommes dans un domaine politique ou tout est politisé, les gens peuvent dire politiquement tout ce qu'ils veulent. Mais, il faut faire attention à ne pas fragiliser les institutions.
Le Parti démocratique sénégalais (Pds) a perdu aujourd'hui devant le juge, c'est critiquable à bien des égards ce qui lui est arrivé mais ce n'est pas une raison de mettre en cause la crédibilité des institutions. Car, ce qui est en jeu, au-delà même de cette contestation du Conseil constitutionnel, c'est la mise en cause du processus électoral et de la légitimité des autorités qui seront choisies à l'issue de ce processus. Il faut donc qu'on sache raison gardée. Poser le problème et émettre des critiques, c'est une chose. Permettre plus tard, une révision systématique, une modification du système électoral notamment les compétences du Conseil constitutionnel en matière du parrainage là, je suis d'accord. Mais de là à mettre en cause la dignité, la crédibilité et la compétence des juges constitutionnels, le Pds va trop loin. Et cela est extrêmement dangereux pour la démocratie sénégalaise. Ils étaient nombreux les candidats qui avaient déposé leur dossier au Conseil constitutionnel mais jamais, ils n'ont mis en cause le Conseil d'une manière aussi grave après l'invalidation de leur candidature. Mettre en cause la crédibilité d'une juridiction, c'est la démocratie qui tremble sur ses bases et quand on est démocrate, il faut savoir se fixer des limites.
Quel impact cette commission parlementaire pourrait-elle avoir sur le Conseil ?
Je ne dirais pas paralyser mais plutôt décrédibiliser le Conseil constitutionnel. Car, ils ne peuvent pas aujourd'hui arrêter le processus électoral en cours. Mais ce qu'ils visent au fond, c'est mettre en cause la crédibilité des juges et plus tard, les décisions qu'ils vont prendre et remettre en cause la légitimité de celui qui va être élu. Ils sont dans une logique purement politique. Juridiquement, il n'y a rien qui permet dans le système de poursuivre un juge constitutionnel parce qu'il a pris une décision. Car, le juge, il est protégé mais si vous mettez en place un dispositif dans le but de le contraindre, là il n'est plus libre pour rendre ses décisions. On peut critiquer et réfléchir sur les décisions du Conseil constitutionnel mais cela ne signifie pas qu'il faut se saisir d'une décision comme prétexte pour attaquer un juge dans son honneur ou son intégrité, sa crédibilité, sa compétence ou sa probité. C'est comme si je décide d'aller vers le juge qui rend une décision à ma défaveur, je détruis les institutions. Accepter cela, c'est donner carte blanche aux hommes politiques pour tout se permettre. Quand on est démocrate, il faut partir de l'idée que nous sommes dans des États extrêmement faibles où les institutions sont fragiles et que c'est de par notre rôle et notre comportement de tous les jours qu'il faudrait assurer la crédibilité et la force de ces institutions. La démocratie exige des démocrates. Le PDS est un grand Parti qui a contribué à la construction de la démocratie dans ce pays. Donc, il est surprenant et décevant que le PDS puisse prendre cette initiative. Les vrais démocrates ont toujours le souci de la force des institutions.
Cette procédure peut-elle impacter le fonctionnement normal du Conseil constitutionnel ?
Nullement ! Si un juge démissionne, le Président de la République prendra aussitôt un décret pour nommer son remplaçant et le travail continue. D'ailleurs, on a déjà observé ce cas de figure au Conseil constitutionnel en 1993 après la démission du juge Kéba Mbaye qui occupait les fonctions de président, autrement dit le pivot de cette institution. Mais, quand il est parti, Youssoupha Ndiaye a été nommé pour continuer le travail. Donc, ceci pour dire que cette procédure n'aura aucun effet sur le fonctionnement du Conseil constitutionnel. Car, même si l'un des juges vient à décider de démissionner, un autre sera nommé pour le remplacer. Et je refuse même d'entrer dans ces éventualités pour ne pas tomber dans le piège du débat politicien des hommes politiques qui ne pensent qu'à leur intérêt et non celui supérieur du pays.