Situé à 34 km au nord de Yamoussoukro, le village de Bomizambo est différent des autres en Côte d'Ivoire. Fief de tisserands, il est réputé pour la fabrication du pagne Baoulé très prisé en Côte d'Ivoire dans les cérémonies traditionnelles, mais aussi dans d'autres pays africains. Dans cette bourgade peuplée de Baoulés, ethnie majoritaire du pays, l'art ancestral du tissage se transmet de père en fils pour la pérennisation du métier. En pleine Can, Sud Quotidien vous emmène à la découverte de cette localité qui donne vie au patrimoine artisanal ivoirien.
Le voyage vers le village situé à 34 km au nord de Yamoussoukro en direction de la ville de Bouaké, dure environ 40 minutes en taxi. Tout au long de la route, la beauté de la nature séduit avec ses cocotiers, ses bananiers, ses papayers ou encore ses plantations de manioc. On aperçoit aussi des ateliers de tisserands et des groupes de femmes s'affairant autour de la production de l'attiéké. Des vendeurs de fruits devant quelques patelins longeant la route s'ajoutent au décor. Sur les lieux, sous un grand hangar au bord de la route, des pagnes tissés de tous genres et de toutes sortes de couleurs s'offrent à nous. Bienvenue à Bomizambo, la capitale du pagne Baoulé. Ce tissu traditionnel africain est porté lors des baptêmes, des weekends de Pâques et des cérémonies de dot en Côte d'Ivoire et au-delà même des frontières ivoiriennes.
Dans ce village peuplé de Baoulés, ethnie majoritaire de la Côte d'Ivoire représentant 30% de la population, le tissage du pagne Baoulé est la principale activité économique des populations.
Il est 9h30 ce samedi 27 janvier. Le climat est un peu doux. Sous l'ombre de plusieurs arbres, derrière le hangar d'exposition, des hommes de tout âge tissent inlassablement. Assis sur des planches à bois, les pieds sur les pédaliers, ils effectuent des allers-retours incessants avec leurs mains tenant fermement une navette en bois poli. D'autres, assis par terre, forment les bobines de fils qui s'étendent plusieurs mètres. L'accueil des villageois est chaleureux, l'air enjoué de recevoir et de pouvoir faire découvrir leur pagne à des étrangers.
« Le tissage est notre principale activité. On ne connaît que ce métier. On nous l'apprend très tôt. Ici, on travaille de 4h jusqu'à 18h. Près de 200 personnes travaillent ici chaque jour. Chacun est dans son atelier qu'on appelle entreprise 4 bois où il tisse par bandes. Les bandes ainsi obtenues sont assemblées par l'aide d'une machine pour former un pagne qu'on expose ensemble sous le hangar. C'est une sorte de coopérative du village. On fait des pagnes de 1,80m et la personne qui est très expérimentée, peut faire une bande en deux jours et au maximum deux semaines pour faire un pagne», explique Bonaventure, jeune tisserand.
Le tissage, de père en fils
Bomi comme l'appellent les gens (terre de bonheur en Baoulé) s'est, en effet, construit une renommée avec son mythique pagne tissé. Ici, le savoir-faire se transmet de père en fils depuis des générations. «On initie les enfants au tissage à l'âge de six ou sept ans même si tu fais l'école française. Du coup, lorsque l'enfant ne réussit pas dans ses études, au moins, il a son métier. La majeure partie des gens qui travaillent ici, ont fait l'école française mais par manque de moyens, ils ont abandonné et se sont mis dans le tissage», confie Bonaventure. Le pagne Baoulé se fait en fils de coton, en polyester ou encore en soie. « Le coton avec lequel on fait les fils, s'appelle kognami. On l'achète à Bouaké. On utilise aussi les fils synthétiques pour faire des pagnes. Ce sont les moins chers », nous fait savoir un autre tisserand du nom d'Hervé. Il ajoute : «Nous avons plusieurs variétés de pagne Baoulé. Il y a le pagne Baoulé de grande qualité. Le nonkanfian par exemple qui est fait à base du coton. Il est le plus cher des pagnes. Pour la qualité moyenne, il y a le pkêta qu'on donne aux enfants qui viennent apprendre le tissage. On leur donne pour qu'il puisse s'entrainer là-dessus. On a aussi bénitiagnon et pour les motifs simples, il y a, entre autres, kloualama, awlimba ».
Motifs variés, couleurs diversifiées, chacun y trouve pour son goût des tarifs qui dépendent de la qualité. Et selon qu'on soit homme ou femme, les pagnes se différencient par leurs motifs et se vendent par deux. « Les prix varient de 190 000 Fcfa pour le nonkanfian à 15 000 F pour le pkêta. Le adjalédor qui est utilisé dans les cérémonies religieuses et coutumières, coûte 160 000 F», nous renseignent les artisans. Ils écoulent leurs produits en détails ou à travers des commandes.
A Bomizambo, seuls les hommes tissent
A Bomizambo, seuls les hommes tissent. Histoire de respecter la tradition. « Ce sont nos arrières parents qui l'avaient voulu ainsi. Selon eux, une femme ne doit jamais tisser dans le village. Ça fait partie de nos us et coutumes. Par contre, ailleurs, vous pouvez rencontrer des femmes qui tissent », renseigne Hervé.
Malgré le fait que le pagne tissé Baoulé soit très prisé en Côte d'Ivoire et dans certains pays africains, le tissage se fait toujours de manière artisanale. «Je suis là, il y a plus de 20 ans mais je n'ai jamais vu quelqu'un venir ici pour nous parler d'installation d'usine. Tout le travail est fait à la main, le dévidage de rouleaux, la teinture, la confession du design, le tissage. Parfois, c'est pénible mais on est habitués. Le tissage, c'est notre sport préféré », confie Bonaventure. Cependant, le jeune artisan n'est pas contre les techniques modernes de fabrication du tissu.
Le pagne Baoulé est, en effet, révélateur de la tradition du peuple Baoulé. Chez eux, porter ce pagne est un signe de richesse et de prospérité. Devenu un atout incontournable dans l'expression de la culture ivoirienne, le tissu est aussi utilisé dans la décoration pour faire des produits «Made in Côte d'Ivoire». Depuis 2015, le village de Bomizambo accueille chaque année un festival dénommé «Tchin Dan» (Grand jour, en Baoulé) qui a pour but de promouvoir le pagne Baoulé.
(Envoyés spécaux)