Burkina Faso: Tuberculose en milieu carcéral - De minces chances de guérison dans une MACO surpeuplée

1 Février 2024

Au sein de la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), plus d'une dizaine de détenus « suffoquent » du fait de la tuberculose. Un détenu en est mort et les plus chanceux font plusieurs épisodes répétitifs de la maladie. Les conditions de détentions, la promiscuité et le manque de prise en charge adéquat réduisent la chance de guérison de ces malades. Une journée auprès des détenus, courant le mois d'août 2023, a permis de toucher du doigt les réalités de la tuberculose à la MACO.

Incarcéré depuis le 21 novembre 2021, Paulin Tapsoba (nom d'emprunt) manifeste plusieurs épisodes de tuberculose depuis juin 2023. Le jeudi 10 août 2023, nous rencontrons ce quarantenaire dans sa chambre d'hospita-lisation à l'infirmerie de la Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Avili et affaibli par la maladie, il peine à répondre à nos salutations.

Son visage pâle montre l'expression de sa souffrance. Les yeux perdus dans ses orbites nous regardent. Il se lève doucement, sur ses jambes frêles, s'accroupit et s'appuie sur ses mains tremblantes pour se reposer. Le Major de la MACO, Abraham Bicaba, fait savoir qu'il est sous traitement de la tuberculose depuis le 8 juin 2023. Son contrôle au deuxième mois de traitement, selon lui, est négatif mais il doit continuer le traitement jusqu'au 6e mois.

« Nous l'avons gardé à l'infirmerie pour lui permettre de récupérer, car il avait perdu beaucoup de poids au cours de ses épisodes de maladies », se désole le spécialiste. Tout comme Paulin Tapsoba, une dizaine de détenus croupissent sous le poids de la maladie dans des conditions de détention qui ne sont pas propices à leur rétablissement. Une double peine en somme. Agé également de la quarantaine, Alassane Compaoré (nom d'emprunt) est incarcéré depuis mai 2019.

La tuberculose lui a été diagnostiquée en 2022. « A cette époque, j'avais une pleurésie (ndlr : une inflammation de la plèvre, la membrane recouvrant les poumons). Ma souffrance était tellement intense que j'ai demandé à plusieurs reprises à me rendre à l'hôpital, mais on ne m'autorisait pas à sortir. J'ai trainé en cellule jusqu'en décembre 2022, totalement abattu et affaibli par la maladie.

Quand j'ai manqué de force, j'ai été transféré à l'infirmerie. C'est à ce moment qu'ils ont effectué des examens de crachat », relate-t-il. Paulin Tapsoba a été placé sous traitement tuberculeux après que les examens se sont révélés positifs. Soumaila Soubeïga (nom d'emprunt), autre détenu à la MACO depuis neuf ans environ, est remonté contre les mauvaises conditions de détention et de prise en charge des détenus tuberculeux. Il a lui aussi découvert sa tuberculose après plusieurs épisodes de maladie sans soins adéquats dans sa cellule.

« Je suis allé maintes fois à l'infirmerie et c'était les mêmes produits qu'on me donnait pour mon traitement. Ce n'est qu'en février 2023 que les infirmiers ont détecté la maladie qui était à un niveau grave et ils m'ont autorisé à faire les examens qui se sont révélés positifs à la tuberculose », déplore le détenu Soubeïga. Selon le coordonnateur du Programme national de lutte contre la tuberculose, Adjima Combary, la tuberculose demeure un problème prioritaire de santé publique au Burkina Faso, avec 7 320 cas de dépistés et notifiés sur la période 2021-2022, selon les données de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Pour l'OMS, l'existence de cette maladie dans les prisons est un fléau persistant. Les taux observés chez les prisonniers restent beaucoup plus élevés (5 à 50 fois) que les moyennes nationales, tant dans les pays développés que dans ceux en développement. Les données indiquent que les prisonniers et le personnel pénitentiaire sont particulièrement vulnérables à la maladie.

Une ration alimentaire pauvre et insuffisante

Au sein de la MACO, la prise en charge des malades de la tuberculose n'est pas reluisante. Pour son traitement, Alassane Compoaré doit prendre des comprimés chaque matin à jeun. « Le traitement se passe très mal. Je n'arrive pas à le suivre correctement. Les produits doivent être administrés à jeun à 6h du matin. Mais en cellule, les produits nous parviennent souvent aux environs de 8 ou 9 heures », regrette-t-il.

Le non-respect des heures de prise des médicaments ne favorise pas un bon suivi du traitement, note- t-il. Le traitement impose que les médicaments soient pris toutes les 24 heures, s'il y a retard, la médication est déjà faussée, fait-t-il savoir. En plus, il n'y a pas de régime alimentaire spécifique pour les détenus tuberculeux, contraints de manger le même menu que les autres. Le traitement est alors encore plus pénible pour les malades, soutient Alassane, déplorant l'insuffisance de la nourriture. « Souvent, nous recevons comme ration alimentaire journalière, du tô ou du riz sans sauce.

Lorsqu'il n'y a pas de parent qui apporte à manger, c'est peine perdue puisque si le détenu s'efforce à prendre les produits, il les vomit et le traitement est encore compromis », explique M. Compaoré. Selon lui, c'est cette insuffisance d'une bonne alimentation qui explique le décès de deux de ses codétenus qui n'avaient pas de famille pour leur apporter des repas.

L'ombre de la mort

Le major Abraham Bicaba, de l'infirmerie de la MACO, explique le défaut de repas équilibré et de qualité aux malades de tuberculose par le grand nombre des détenus. Dans la plus grande prison du Burkina, aucun dispositif n'est donc prévu pour une meilleure prise en charge des prisonniers atteints de tuberculose, afin d'éviter des surinfections et réinfections. C'est ce que révèlent la plupart des détenus que nous avons rencontrés. Alassane Compaoré souligne surtout que tous les 14 malades tuberculeux sont isolés et confinés dans une même cellule. Ce que reprochent tous les autres détenus malades rencontrés.

C'est l'une des raisons qui les fonde à attribuer le décès de deux de leurs codétenus en avril 2023 notamment avec ces mauvaises conditions de prise en charge. Ces malades de la tuberculose vivent ainsi constamment dans l'ombre de la mort. « J'ai absolument peur pour ma vie. Tous les jours l'on défère des malades tuberculeux dans notre cellule. Je suis à mon 3e mois de traitement et s'ils amènent d'autres malades tuberculeux, cela complique davantage mon traitement déjà avancé », relève Alassane Compaoré.

Le détenu s'inquiète de son sort d'autant plus qu'il a déjà des antécédents médicaux qui peuvent s'aggraver par la tuberculose et le rendre encore plus vulnérable. « Je dois subir une intervention chirurgicale au niveau des poumons car j'ai un poumon qui ne fonctionne pas. Mais à cause du traitement de la tuberculose je dois patienter », confie-t-il pour démontrer à quel point tout écueil dans le traitement antituberculeux qu'il suit peut lui être fatal. Ses parents ont même dû intervenir pour le faire soigner hors de la MACO lorsque la maladie était à un niveau critique.

« J'avais été programmé pour l'intervention mais le médecin a décidé que je traite d'abord la tuberculose », insiste-t-il. Le détenu Soubeïga se désole lui aussi de ces mauvaises conditions de détention et de la mauvaise prise en charge des tuberculeux en prison. « Je ne sais pas comment j'ai contracté cette maladie. Tous les 14 détenus tuberculeux que nous sommes, sont entassés dans une seule cellule. Je ne suis pas satisfait de la prise en charge », fulmine-t-il. De son avis, l'infirmerie devrait plutôt isoler individuellement les malades de la tuberculose pour empêcher les surinfections et faciliter les traitements en cours.

Un environnement propice à la propagation

Le Dr Adjima Combary soutient que l'environnement carcéral est un milieu qui regroupe malheureusement plusieurs facteurs de propagation de la tuberculose, au regard de la très forte promiscuité où plusieurs personnes se retrouvent dans une même cellule.

« Qui dit promiscuité, dit condition favorable à la propagation de la tuberculose. A côté de cette promiscuité, il y a également le fait que si vous cherchez les cas de malnutrition, vous y trouverez des personnes malnutries », souligne-t-il. Il affirme qu'actuellement, le principal facteur de risque pour la tuberculose est la malnutrition. De l'avis du coordonnateur, les responsables de l'administration pénitentiaire travaillent pour que les détenus tuberculeux qui sont sous traitement puissent avoir un endroit d'isolement pendant le traitement.

« Pour toute mesure de sécurité, dès qu'un prisonnier est malade de la tuberculose, une fois qu'il est dépisté, il doit être mis sous traitement le plus tôt possible », préconise-t-il. Selon le Dr Combary, la multiplicité des mouvements en milieu carcéral favorise la propagation de la tuberculose. Les entrées, les sorties des détenus eux-mêmes, les entrées, les sorties des parents et des amis qui viennent rendre visite aux détenus en prison sont des facteurs également qui peuvent favoriser la contamination ou la transmission de la tuberculose en milieu carcéral.

Pour l'intérêt de tous, Dr Combary soutient qu'il est nécessaire de mettre en place des mesures et des dispositifs de surveillance dans ce milieu. Ce qui, de son avis, pourrait protéger les détenus, le personnel qui y travaille, les visiteurs et l'ensemble de la communauté.

Des efforts consentis

Du côté de la direction du centre pénitencier, on dit faire « ce qu'on peut ». L'administration pénitentiaire et des associations caritatives fournissent des efforts pour venir en aide aux détenus malades de la tuberculose, mais la surpopulation et la promiscuité compromettent leurs actions.

Pour le Directeur général (DG) de la MACO, Fréderic Ouédraogo, de manière générale, la prise en charge des questions de tuberculose n'est pas facile. Et la détention complique davantage cette donne. « Il y a des maladies pour lesquelles la détention est aggravante du fait de la promiscuité avec les autres, l'enfermement. Le phénomène de la surpopulation dans les isoloirs ou cellules fait qu'il y a plusieurs conséquences sur la prise en charge des malades », confirme-t-il.

Le DG explique qu'une vaste campagne de dépistage est organisée avec les autorités qui ont donné leur l'accord pour mieux cerner la maladie à la prison. La question de l'alimentation en milieu carcéral est aussi une difficulté due également à la surpopulation. « La prise en charge des détenus tuberculeux est vraiment difficile, mais il faut reconnaitre que des efforts sont faits au niveau de l'Etat.

Nous sommes en contact permanent avec le Centre national de la prise en charge de la tuberculose. Les détenus reçoivent l'appui qui est réservé aux patients extérieurs », indique le directeur général de la MACO. Quant à l'appui alimentaire, ce sont des associations qui l'assurent régulièrement, et du point de vue du premier responsable de la MACO, ce sont les détenus tuberculeux qui en bénéficient le plus. Ce que confirme le coordonnateur du Programme national de lutte contre la tuberculose, Adjima Combary.

« Notre programme offre également un appui nutritionnel à chaque détenu malade de la tuberculose quelle que soit la durée de son traitement », confie-t-il. L'infirmier responsable de l'infirmerie de la MACO, Abraham Bicaba, assure également de son côté que le Centre national de prise en charge de la tuberculose fait des efforts pour donner mensuellement des vivres à chaque patient testé positif.

Il s'agit, soutient-il, du poisson sec, des céréales, de l'huile, à hauteur de 44 500 F pour lui permettre de prendre facilement leurs comprimés. Pourtant les détenus malades de la tuberculose affirment consommer la même ration que les autres prisonniers. Le major Abraham Bicaba déclare que pour freiner la propagation de la maladie, il y a un dispositif sanitaire qui est mis en place depuis quelques années.

« Dès qu'un nouvel entrant arrive, nous cherchons à savoir s'il a de la toux depuis deux semaines, s'il est maigrissant, s'il a des sueurs nocturnes et s'il perd du poids », assure-t-il. Et de souligner que si un détenu répond par l'affirmative à l'une de ces questions, celui-ci est automatiquement conduit à l'infirmerie pour le prélèvement avant de voir s'il y a lieu de le mettre sous traitement.

Cependant, dit-il, il n'y a pas de test systématique pour tout nouvel entrant. C'est en fonction des signes ou des réponses au questionnaire que l'infirmier prescrit le traitement. Pour une meilleure prise en charge de la tuberculose, les détenus souhaitent de meilleures conditions de détention. Le détenu Soumaïla Soubeiga pense que les malades de la tuberculose doivent s'isoler selon le stade de traitement, afin d'empêcher une surinfection des autres.

Alassane Compaoré, lui, demande à l'administration pénitentiaire de transférer les malades infectieux et contagieux de la MACO dans un centre hospitalier pour leur prise en charge totale, avant de les ramener en prison après leur guérison. « Nous demandons aux autorités de nous venir en aide. », appelle-t-il.

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