Sénégal: Ndiogou Sarr, enseignant chercheur en droit public à l'Ucad - « Le report des élections est impossible sauf si les gens veulent interpréter la Constitution comme ils ont l'habitude de le faire en disant qu'il y a crise des institutions »

2 Février 2024

« Seul le vote d'une loi peut dissoudre le Conseil constitutionnel »... « II ne peut être mis fin, avant l'expiration de leur mandat, aux fonctions des membres du Conseil constitutionnel »... « L'incrimination d'un membre du Conseil constitutionnel n'entravera en rien le fonctionnement de cette institution ». Tels sont les rappels juridiques que Ndiogou Sarr, enseignant-chercheur en droit public à la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, a tenu à faire dans la foulée de la mise en place de la commission d'enquête parlementaire contre deux membres du Conseil constitutionnel. Et de certifier par suite que « le report des élections est impossible sauf si les gens veulent interpréter la Constitution comme ils ont l'habitent de le faire en disant qu'il y a crise des institutions ». Eclairage

Le Conseil constitutionnel est venu avec la réforme constitutionnelle de 1992. C'est une institution qui sort du lot de la carte judiciaire, du fait de sa spécificité en tant organe de contrôle de la Constitution avec une fonction à la fois juridique mais aussi politique. En tant qu'institution de la République, seul le vote d'une loi peut dissoudre le Conseil constitutionnel.

Maintenant, s'agissant de la question du mandat de ses membres, la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel est très claire. L'article 5 de cette loi organique précise en effet, qu'« II ne peut être mis fin, avant l'expiration de leur mandat, aux fonctions des membres du Conseil constitutionnel que sur leur demande, ou pour incapacité physique, et sur l'avis conforme du Conseil ».

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Maintenant, si des gens ont des preuves impliquant un membre du Conseil constitutionnel qu'ils arrivent à établir, il est prévu dans ce cas une procédure consistant à saisir le Conseil constitutionnel pour demander son autorisation préalable à la poursuite du membre en question. Car, on ne peut pas poursuivre un membre du Conseil constitutionnel sans son autorisation tout comme on ne peut poursuivre un député sans l'autorisation préalable de l'Assemblée nationale.

Donc, si cette commission d'enquête parlementaire arrivait à déposer ses conclusions en voyant effectivement qu'il y a des suspicions graves qui pèsent sur le membre du Conseil constitutionnel et qui peut renvoyer à sa culpabilité, on va demander au Conseil constitutionnel une autorisation de poursuivre. Et c'est seulement après autorisation favorable qu'on pourra engager des poursuites judiciaires.

« De même qu'une sanction d'un membre de l'Assemblée nationale ne peut empêcher à cette institution de continuer son travail, l'incrimination d'un membre du Conseil constitutionnel n'entravera en rien le fonctionnement de cette institution ».

« Dans les principes, l'absence d'un membre du Conseil constitutionnel devait impacter son fonctionnement puisqu'on a dit que le Conseil fonctionne avec tous ses membres sauf si on constate un empêchement temporaire. Mais, dans la pratique, cela n'a jamais été respecté au Sénégal. La preuve, dans un passé très récent, on a vu le Conseil constitutionnel délibérer alors qu'un de ses membres avait fini son mandat et l'autre décédé. Donc, même si demain un membre du Conseil constitutionnel est impliqué dans une faute, ce n'est pas parce qu'on va le sanctionner qu'on va reporter la date de l'élection.

Non, c'est impossible. On peut sanctionner le membre fautif mais on ne peut pas reporter quoi que ce soit. De même qu'une sanction d'un membre de l'Assemblée nationale ne peut empêcher à cette institution parlementaire de continuer son travail législatif, l'incrimination d'un membre du Conseil constitutionnel n'entravera en rien le fonctionnement de cette institution.

Le seul moment où un président pourrait dire qu'on reporte, c'est lorsque que nous sommes dans une crise. C'est pourquoi certains invoquent l'article 52 de la Constitution. Cet article dispose ; « quand le fonctionnement normal des institutions de l'Etat est bloqué, que les institutions sont en crise dûment constatée, le président de la République s'arroge de tous les pouvoirs et prendre des mesures.

Or, on est très loin de cette situation. Ce n'est pas parce qu'on a accusé un membre du Conseil constitutionnel sur la base d'une Commission d'enquête parlementaire qui n'a pas encore déposé son rapport, qu'il y a crise des institutions et qu'il n'y a pas fonctionnement. En plus, les décisions rendues par le Conseil constitutionnel ont une force exécutoire. Il (Cc-ndlr)) a publié la liste de ceux qui sont autorisés à prendre part à l'élection présidentielle, cette décision est définitive et irrévocable ».

« La date de l'élection présidentielle est une prérogative constitutionnelle qui échappe même à la directive de la Cedeao »

« La date de l'élection présidentielle est une prérogative constitutionnelle qui échappe même à la directive de la Cedeao qui prévoit, en cas de consensus des acteurs politiques sur des questions politiques, un report. Donc, même si aujourd'hui, les acteurs politiques se mettent d'accord de manière consensuelle pour reporter la date de l'élection, ils violeraient la Constitution. En plus, je dois préciser que l'élément qui a rejeté la candidature de Karim Wade ne peut pas entrainer l'annulation de toute la procédure et de toutes les autres candidatures.

Ce n'est pas un élément de l'égalité de toute la procédure. Ceci pour dire, aujourd'hui, que le report des élections est impossible sauf si les gens veulent interpréter la Constitution comme ils ont l'habitent de le faire en disant qu'il y a crise des institutions. Non!, il n'y a pas crise des institutions. On n'a pas atteinte à la séparation des pouvoirs. L'Assemblée nationale est libre de créer n'importe quelle commission d'enquête parlementaire sur une affaire donnée. Quand cette commission termine son travail, elle dépose son rapport et la personne incriminée selon son statut, sera soumise à la procédure à utiliser pour elle. Mais, on peut pas parler de crise entre les pouvoirs ».

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