Cameroun: Texticules de Hugues Seumo - Le bilinguisme camerounais et des dirigeants de « bons à rien »

2 Février 2024

Nous sommes dans la semaine du bilinguisme au Cameroun. En anticipation de la fête de la jeunesse le 11 février 2024, le lancement de l'acte 19 de la Semaine Nationale du Bilinguisme a eu lieu le lundi 29 janvier dernier, sous la houlette des ministères des Enseignements secondaires et de l'Éducation de base dans la région du soleil levant. Jusqu'au 02 février 2024, les Camerounais sont invités à célébrer les mérites du bilinguisme au sein des établissements scolaires du pays.

Conformément à la loi du 24 décembre 2019 sur la promotion des langues officielles, une journée nationale du bilinguisme est prévue au Cameroun. Cette journée, observée bien avant la loi, avait pour habitude d'être marquée le premier vendredi du mois de février dans les établissements scolaires et universitaires.

Cette année, l'accent est mis sur le thème "Bilinguisme, vecteur de digitalisation des enseignements pour la promotion des valeurs civiques et morales dans un Cameroun pacifique et émergent".

Dans la pratique on en est encore loin. Quand nous lisons dans la constitution camerounaise, nous constatons que le français et l'anglais sont les deux langues officielles du Cameroun.

L'usage de ces deux langues est visible dans le journal officiel par exemple où les textes et décrets sont publiés en français et en anglais. Il existe également des centres linguistiques, des écoles bilingues, des cours dispensés dans les universités en deux langues très souvent etc.....

Ces efforts des pouvoirs publics cachent sur le terrain des manquements divers.

La pratique par un même locuteur de l'anglais et du français, les deux langues officielles n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Au niveau de l'administrations publique, dans la rue, les familles ou encore dans les médias, parler couramment les deux langues n'est pas la chose la mieux partagée.

Quand nous regardons de près le comportement de nos compatriotes sur le terrain, la triste réalité est là. Le français est parlé par les francophones et l'anglais par les anglophones. Si l'on parvient à se comprendre, c'est l'essentiel. Les efforts pour parler l'autre langue sont encore timides.

Par bilinguisme, nous entendons l'usage de nos deux langues officielles, le français et l'anglais, sur toute l'étendue du territoire. " Ainsi s'exprimait Ahmadou Ahidjo, alors président de la République du Cameroun, dans son discours d'inauguration du Lycée bilingue de Molyko- Buéa en 1963. Aux premières heures de la réunification, on n'avait du bilinguisme qu'une politique centrée sur la pratique des deux langues pour faciliter la communication entre anglophones et francophones.

Je me rappelle à l'école, chaque matin après le rassemblement devant notre salle de classe après le rituel habituel, l'on y accédait par ordre d'arrivée et en rang ordonné. Notre instituteur était toujours le dernier et quand il faisait son entrée dans la salle de classe, nous étions tous debout, nous le saluions d'une même voix d'adolescents « Bonjour, Monsieur » et il répondait dans un air dominateur et rassembleur « Bonjour, asseyez-vous.... Good morning, sit down »

Nous étions tous petits et ne comprenions pas la portée de ses phrases. Aujourd'hui, je commence à comprendre après tant d'années qu'il nous aimait et qu'il voulait inculquer en nous le sens du bilinguisme.

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Cependant, dans mon école, on chantait une fois toutes les deux semaines l'hymne national du Cameroun soit en anglais ou soit en français. A cette époque, nous craignions même que notre directeur d'école ne fût sévère, presque embêtant. Mais, aujourd'hui, je me rends compte que mon maître et mon directeur d'école étaient les mieux avertis en matière de bilinguisme

A l'école publique francophone de la gendarmerie de Up Station -Kumba mon école, on ne tolérait ni le pidgin, ni les dialectes. On s'exprimait tous soit en français, soit en anglais. Et la chicotte des enseignants était là pour traquer les récalcitrants.

Malheureusement aujourd'hui, ni mon maître, ni mon directeur ne sont plus en service. Ils sont tous retraités....après des loyaux services rendus à la nation. S'ils étaient encore en service, je suis convaincu qu'ils auraient traité nos dirigeants de « bons à rien » car, il ne se serait jamais expliqué comment dans un même pays, on continue à procéder comme si tous les citoyens étaient bilingues.

De mémoire, nous savons que la satisfaction du président Ahidjo était d'autant plus légitime que le bilinguisme officiel (français/anglais), institué à la réunification du Cameroun oriental (francophone) et du Cameroun occidental (anglophone) en octobre 1961, et qui devait servir de plate-forme à la politique d'intégration nationale.

Sous la République fédérale du Cameroun, cet objectif n'a été que timidement poursuivi. C'est pourquoi la révolution pacifique qui accouche de la République unie du Cameroun le 20 mai 1972 est saisie comme le levain qui fera enfin monter la pâte du bilinguisme.Que nenni.

A l'école, en dehors de quelques établissements scolaires dits bilingues, il existe toujours une barrière entre les deux communautés linguistiques. Soit on est Anglophone, soit on est francophone.

Dans un lycée dit bilingue, on continue à dire, côté francophone, coté anglophone etc... L'expérience des classes bénéficiant d'une mixité linguistique a aussitôt échoué par manque de suivi.

Dans certains établissements scolaires, des campagnes d'affichages contre le pidgin (Un mélange d'Anglais, français et de dialectes) ont été initiées sans suivi. C'est ainsi que le pidgin a pris de l'ampleur dans certaines familles, dans la rue, les marchés etc.

Depuis le 28 octobre 2002, la journée du bilinguisme est célébrée le premier vendredi de chaque mois de février au cours de la semaine de la jeunesse.

Ce jour, les élèves anglophones doivent communiquer en français et les francophones en anglais. Toutes les activités devront être menées en anglais (pour les francophones) ou en français (pour les anglophones). Mais dans nos écoles, pendant que les anglophones s'efforcent à s'exprimer en français, les francophones font leur étalage dans le pidgin. Pourtant, l'instauration de cette journée est le couronnement d'un certain nombre d'initiatives pédagogiques visant à relancer le bilinguisme dans le pays.

Comme chaque année lors de la célébration de cette journée du bilinguisme au Cameroun, à l'analyse tout se réduit aux activités sportives, tables rondes, activités culturelles et autres ripailles pendant cinq jours. Les activités pédagogiques devant être déployées en permanence sont reléguées au second plan

Dans le monde des médias, le Cameroun présente aujourd'hui une expérience originale. L'édition anglaise de Cameroon Tribune, le quotidien gouvernemental existe mais, n'est pas proportionnée à l'édition en langue française.

Quant à l'Office de radio et télévision du Cameroun (Crtv) - entreprise à capitaux publics - elle diffuse globalement 60 % des programmes en français et 40 % en anglais nous confie Gervais Nathael Eloumou, chercheur à l'IRAD de Yaoundé. De nombreux observateurs contestent cette manière de travailler d'autant plus qu'elle est le résultat d'une situation conjoncturelle et non d'une politique pensée à l'avance. En un mot, sa pertinence par rapport à la promotion du bilinguisme est discutable.

Dans certains ministères, c'est à peine si les responsables prononcent une phrase en anglais pour les francophones, pendant que les patrons anglophones s'expriment tous en français.

Il serait encore mieux de redéfinir notre politique linguistique que ce soit sur sur nos routes, aéroports, gares et ports avec des plaques de signalisations bilingues, rendre bilingues les billets de banque, instaurer le système de l'étiquetage bilingue des produits de consommation etc....

Dans nos écoles, nous pensons que l'apprentissage des deux langues devra se passer à la base. Il a été évoqué par une étude faite en 2007 du sociologue Camerounais Michel Mbangué de l'université de Dschang.

Selon ce dernier, les enfants doivent commencer à adopter les réflexes linguistiques dès les bas âges, car ces enfants finissent par les assimiler avec aisance. Même s'il est vrai que des études sociologiques doivent se baser sur plusieurs décennies, il faut multiplier des initiatives pour faire de ce bilinguisme constitutionnel une réalité sociale, concluait ledit sociologue

Mais, il faut dire la vérité en se regardant dans les yeux, car ce tableau du bilinguisme au Cameroun serait aussi plus reluisant si les gouvernements successifs de Ahidjo et de Biya avaient mis les moyens pour poursuivre les objectifs fixés dans la constitution.

Au Cameroun, le bilinguisme est encore une théorie. Il n'est pas encore une expérience éprouvée et partagée par le commun des citoyens. Il existe encore beaucoup d'obstacles à franchir. Nos hommes politiques doivent également prêcher par l'exemple.

Longtemps perçu comme un handicap, le bilinguisme est considéré aujourd'hui comme un atout, tant pour le développement personnel et intellectuel du locuteur que pour la région ou le pays dans lequel il vit. A nous de le saisir...

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