Maroc: 55, ou les Somptueuses Terrasses de la Colère

Le dernier film de A. Laraki tranche avec les longs métrages programmés dans nos salles et se veut plus sérieux, puisqu'il traite de l'indépendance de notre pays. Le thème est ambitieux. Noblement ambitieux. Un esprit nationaliste, voire revanchard peut en être déçu.

On n'y parle ni de la pacification de la Chaouia ni des évènements du Moyen Atlas. A sa décharge, son contenu traite d'une période bien définie: la déposition de Mohamed Ben Youssef au profit de Ben Arafa

55, de quoi s'agit-il? Un enfant porté par de tendres pensées pour une voisine, belle et rebelle, se laisse happer par un groupe de jeunes résistants. A travers ses envolées d'une terrasse à l'autre, on découvre les portraits de différents personnages marocains ou français, les premiers associant devoirs et loisirs, les seconds paradant dans les ruelles pour en assurer l'Ordre.

De ses hauteurs fassies, l'enfant illumine les dédales de la ville de ses petites prouesses et chaperonne son héroïne, la délicieuse Aïcha Tazi. Les terrasses seraient pour lui ce que la branche de l'arbre est pour l'Incompris de Luigi Comencini ? Chacun de ses sauts me ramène à l'Enfant du cinéaste italien se balançant dans le vide.

Heureusement, de simple voyeur, le regard de Kamal s'émancipe pour adhérer à la cause du peuple. Il renseigne et tuyaute de valeureux résistants. Dans cet esprit, oserais-je parler de film "impressionniste", tant il a butiné aux différentes actualités de l'année en question. On y perçoit les touches d'un quotidien insouciant soudain contrarié par les soubresauts de la vie.

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Le cinéma étant avant tout un plaisir visuel, le film d'A.Laraki remplit sa mission. Les terrasses, les ruelles de la Médina, les patios, les belles demeures et les costumes des personnages bonifient grandement l'histoire d'une esthétique que d'aucuns pourraient apparenter au cinéma de look. Une vision assurément pas étrangère aux premiers pas du metteur en scène dans le monde de la publicité. Ces mêmes terrasses, le film en fait le théâtre d'audacieux gestes en hommage à la modernité. La danse de la maman de Kamal avec ses cheveux débarrassés de leur fichu, la désobéissance d'Aïcha aux ordres du père pour rejoindre son bien-aimé Youssef le Rifain.

Cet élan émancipateur est aussi l'oeuvre de la Culture à travers l'illustre al Qarawiyyin, le cinéma, Ismahan ou Toulali. Avec la présence d'un fou ou d'une majdouba auxquels on prête une soi-disant sagesse, le film n'a pu échapper à cette règle, autrefois la règle dans le cinéma des années soixante-dix, et qui subsiste dans quelques travaux cinématographiques.

La fin du film me laisse un goût amer; c'est personnel, je le confesse. La mort du résistant Youssef le Rifain et le départ d'Aïcha à Casablanca, sommée de suivre sa famille séduite par les opportunités commerciales de la ville.

Je ne sais cette fin est réfléchie ou inconsciemment programmée. Elle est d'une implacable réalité et révèle la lucidité des familles d'origine andalouse, aguerries aux retournements de l'Histoire et donc prévoyantes.

Parmi les résistants, d'aucuns sont morts pour la cause, jeunes, d'autres ont eu une belle et longue vie. A la sortie, le refrain de Georges Brassens me susurre à l'oreille : Mourons pour des idées...d'accord, mais d'une mort lente...Le film mérite le détour.

Habib Mazini

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