Ce que les peuples burkinabè, malien et nigérien gagnent à quitter la CEDEAO vaut-il mieux que ce qu'ils perdent ou croient perdre en y demeurant ? A coup sûr, ces trois pays et leur diaspora dans la sous-région seront les grands perdants de cette rupture.
« Pour qui sonne le glas ? » C'est sous ce titre que vous vous demandiez ici, le 16 décembre 2023, à propos de la CEDEAO, si des nations et des dirigeants ne partageant pas les mêmes valeurs pouvaient évoluer dans une même organisation. Le retrait coordonné du Burkina, du Mali et du Niger rapproche-t-il donc la CEDEAO de la fin ?
Elle se déprécie, en tout cas, et court, plus que jamais, le risque de mourir d'inutilité. À force d'appliquer ses propres textes à géométrie variable, elle a fini par perdre la confiance des peuples, d'autant que nombre de dirigeants d'États membres accusent un déficit de crédibilité, sinon de légitimité. La lucidité commande de bâtir, sur des bases saines et rigoureuses, une organisation nouvelle, avec des critères d'adhésion plus contraignants que la seule appartenance à cette aire géographique, avec des valeurs réellement partagées. Il n'est point nécessaire de vouloir retenir, malgré eux, ces trois pays, unis dans une alliance qui a le mérite d'une certaine cohérence.
Chaque peuple choisit librement avec quel autre il veut cheminer. Aux citoyens de ces trois États d'apprécier si les dirigeants, qui font le choix de les couper de la CEDEAO, jouissent de la légitimité nécessaire pour engager de la sorte le destin de toute une nation. Opérateurs économiques et ressortissants de ces pays vivant dans l'espace Cédéao sauront expliciter, assez vite, les implications, pour tous, d'une rupture aussi radicale.
Mais le fait d'être acceptés par leurs peuples à la tête de l'État ne leur confère-t-il pas, ipso facto, le droit de choisir ?
Certains peuvent s'interroger sur la fiabilité de leurs motivations. Tous ont un contentieux avec la CEDEAO, qui ne les reconnaît pas comme des dirigeants normaux, et leur impose des sanctions. Cette rupture en choeur peut être assimilée par certains à un règlement de comptes, alors que des décisions engageant de la sorte un peuple doivent être exemptes des suspicions de rancoeur. Des dirigeants théoriquement de transition devraient-ils s'arroger de telles prérogatives ? Des dirigeants régulièrement élus ne seraient-ils pas mieux fondés que des putschistes, même acclamés, pour engager ainsi l'avenir d'un peuple ?
À travers les sanctions (de la CEDEAO), les populations payaient déjà pour un putsch qu'elles n'avaient pas commandité, même si certains l'ont applaudi. Avec ce qui apparaît comme les représailles des putschistes à l'encontre de la CEDEAO, ces populations vont encore payer, et très cher. L'appartenance à cet espace de libre circulation des personnes et des biens leur simplifiait la vie, et réparait en partie les désagréments de l'arbitraire des découpages frontaliers.
À présent, les tracasseries qu'ils croyaient totalement disparues vont resurgir. Pour, par exemple, ces près de 6 millions de Burkinabè, Maliens et Nigériens vivant en Côte d'Ivoire. Personne ne sait dire aux populations quel avantage présente pour elles une rupture aussi radicale. Les droits de douane et autres surcoûts pour leurs importations arrivant par les ports ivoiriens, ghanéens, béninois, nigérians, et même togolais auront, d'une manière ou d'une autre, une incidence sur chaque famille, au-delà des discours sur la souveraineté nationale, la fierté de défier on ne sait trop qui...
Faut-il donc comprendre que cette rupture ne profite à aucune partie ?
À coup sûr, les peuples des trois pays seront les grands perdants de cette rupture, comme leur diaspora dans la sous-région. Quelques opérateurs économiques des pays voisins visés pourraient y laisser un peu de leurs marges, le temps de se réorganiser. La CEDEAO, elle, se retrouve amputée du quart de ses seize États membres, à l'origine, avec la Mauritanie, partie en l'an 2000. L'on a eu beau chanter, à l'unisson, le panafricanisme, par leurs actes, les Africains ne cessent de tourner le dos à l'injonction du Dr Kwame Nkrumah qui, en 1963, ordonnait à l'Afrique de s'unir.
C'est face à des choix d'une telle gravité que Cheikh Hamidou Kane, dans L'aventure ambiguë, suggérait à tout leader clairvoyant de se demander si ce que leur peuple gagne - ici, en l'occurrence, à quitter la CEDEAO - vaut mieux que ce qu'il perd ou croit perdre en y demeurant.
Chronique de Jean-Baptiste Placca du 3 février 2024