Afrique de l'Ouest: Sortir des interférences?

analyse

La décision conjointe du Burkina Faso, du Mali et du Niger de se retirer de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) fait des vagues. Et chacun y va de ses appréhensions. Dans un communiqué, le président de la Commission de l'Union africaine a exprimé ses regrets tout en faisant part de son « entière disponibilité » à engager le dialogue entre les acteurs concernés. Moussa Faki Mahamat déclare proscrire dans cet éventuel processus « toutes les interférences extérieures d'où qu'elles viennent ».

Justement parce que dans leur lettre de rupture rendue publique le 28 janvier, les trois pays membres de l'Alliance des Etats du Sahel (AES), en crise de confiance avec leurs voisins de la communauté Ouest-africaine après des changements brutaux intervenus à leur tête ces dernières années, dénonçaient, entre autres, une Cédéao vouée à « l'influence de puissances étrangères ». Même si ces puissances ne sont pas nommées, les rapports suffisamment tendus avec la France donnent à comprendre à peu près de quoi il est question.

Il faut cependant noter que courant 2023, le fossé le séparant désormais de Bamako, Ouagadougou et Niamey s'élargissant gravement, Paris avait procédé au retrait de ses forces stationnées au Mali, au Burkina Faso et au Niger dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ; puis pour le cas du Niger, fermé son ambassade jusqu'à nouvel ordre. Compte tenu de l'importante des liens qui existent entre les peuples des quatre pays, sans doute que de part et d'autre, la diplomatie de l'ombre oeuvre à ce que la realpolitik prenne le pas sur les tensions en cours.

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En revanche pour les Etats de l'AES, il paraît probable que cette décision de retrait n'a pas encore dévoilé toutes ses conséquences visibles et invisibles. Côté visible, les milieux d'affaires redoutent à coup sûr les effets d'entraînement en matière de fluidité des échanges et des investissements, la routine admise étant qu'entretemps, la libre circulation dans l'espace communautaire Cédéao était un acquis. Cette réalité n'occulte pas le fait que les sanctions imposées aux trois pays sont l'autre grief porté contre l'institution les « punis » considérant globalement être victimes de non-assistance à peuples et pays en danger.

Le côté « invisible » de la question est qu'une telle décision ne fait sans doute pas l'unanimité. Passe la manière coordonnée avec laquelle Ouagadougou, Bamako et Niamey ont mis leur sentence à exécution, des voix réticentes, certainement inaudibles pour le moment ne peuvent manquer de s'élever. Se feront-elles entendre un jour, et de quelle manière ? Quelle réponse recevront-elles des autorités en place, appelées certainement à durer ? Le temps nous le dira même si les « partants » indiquent avoir mûrement réfléchi avant d'agir.

En attendant, en dépit de la solennité de l'acte, ni le capitaine Ibrahim Traoré ni le colonel Assimi Goita et encore moins le général Abdourahamane Tiani, respectivement chefs d'Etat du Burkina Faso, du Mali et du Niger n'ont apposé leurs signatures au bas de la déclaration du 28 janvier. Leurs Premiers ministres en pole position chacun dans la défense de la « cause nationale » non plus ne l'ont pas signée. Peut-être une façon de laisser les portes du dialogue ouvertes pour ne pas perdre la face en cas d'un éventuel rétropédalage ? On peut modestement l'espérer.

Qu'en est-il alors des interférences extérieures, pour ne pas employer l'expression usuelle d'ingérence extérieure ? En clamant haut et fort que leur action est avant tout dictée par une quête de souveraineté, les Etats de l'AES tentent d'alléguer que leurs voisins restés dans la Cédéao ne s'en préoccupent que très peu. Ce n'est pas moins un affront, et pas moins une pierre jetée dans la cour commune qui peut être de nature à entretenir le doute et lézarder l'édifice.

En prenant une telle direction dans un environnement sous-régional et continental complexe, marqué à la fois par la volonté d'ouverture, les défis du développement, pourtant aussi par la survivance de postures « immobilismiques », l'AES doit le savoir : la route qu'elle a décidé d'emprunter est jalonnée d'embûches. De l'intérieur comme de l'extérieur ces écueils ne pourront être surmontés sans un peu de recul, un peu de tolérance, bien sûr sans une détermination suffisamment réinventée, sans l'appui des peuples au nom de qui l'on parle.

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