Depuis plus de vingt ans, il couvre la justice internationale et transitionnelle. Contributeur régulier aux pages Opinions du New York Times, il est l'auteur de trois livres sur le Rwanda, le Cambodge et la Sierra Leone et a enseigné à l'université du Wisconsin-Madison, aux Etats-Unis.
Le 31 janvier, la cour d'appel de Turku, en Finlande, a confirmé l'acquittement de Gibril Massaquoi pour toutes les charges qui pesaient contre lui. L'ancien commandant rebelle sierra léonais était accusé de multiples crimes commis au Liberia entre 1999 et 2003. Après un premier procès qui ne laissait pas de doute sur l'absence de l'accusé sur les lieux des crimes, le procureur a voulu un second procès. Et aggravé le désastre.
Par deux fois, les juges auront donc sauvé de l'embarras la justice finlandaise. En avril 2022, une première chambre avait acquitté Gibril Massaquoi de toutes les charges portées contre lui, à l'issue d'un long procès mené en grande partie au Liberia, où les crimes allégués ont été commis. Le 31 janvier 2024, après avoir mené un nouveau procès et s'être à son tour déplacée au Liberia, la cour d'appel est arrivée à la même conclusion : acquittement. Ce jugement met un terme honorable à un dossier entaché par un soupçon de manipulation de témoins - sur lesquelles la cour n'a pas souhaiter ouvrir une enquête - et par des contradictions historiques majeures dans lesquelles le procureur s'était enferré.
Il existe peu de gens pour défendre Massaquoi. Dans son rapport final publié en 2004, la commission vérité sierra léonaise a porté de lourdes accusations contre cet ancien commandant et porte-parole d'un mouvement rebelle qui a ensanglanté et meurtri la Sierra Leone pendant dix ans, de 1991 à 2001. Massaquoi était d'ailleurs attendu comme l'un des accusés devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, établi par l'Onu à l'issue de la guerre civile dans ce petit pays d'Afrique de l'Ouest. Mais il avait alors réussi une belle opération, en devenant le principal informateur du procureur du tribunal de l'Onu et en obtenant, en échange de son aide pour faire arrêter et condamner ses anciens camarades, une forme d'impunité et un exil familial en Finlande.
Quand en 2018, une ONG suisse, Civitas Maxima, et son partenaire libérien le Global Justice Research Project (GJRP), transmettent des éléments d'information qu'elles ont collectés qui affirment que Massaquoi a commis des crimes de guerre et crimes contre l'humanité dans le nord du Liberia, arguant que ces faits échappant à la compétence de l'ancien tribunal de l'Onu pour la Sierra Leone, il peut donc être poursuivi, il n'y a toujours presque personne pour défendre Massaquoi. Beaucoup y voient même un juste retour de bâton.
Pourtant, dès le début de l'affaire, les experts des guerres civiles de Sierra Leone et du Liberia - des conflits interconnectés, avec des acteurs se jouant d'une frontière invisible et poreuse entre les deux pays - s'interrogent. Ce n'est à aucun moment le fait que les crimes allégués aient eu lieu qui est en question, ni le passé violent par ailleurs de Massaquoi. Mais le doute sur le fait que l'accusé ait pu être au Liberia aux dates indiquées.
Précipice judiciaire pour le procureur
La suite a été décrite en détail dans nos colonnes.
Sous la houlette de Thomas Elfgren, le policier débridé en charge de l'enquête finlandaise qui prend le relais de celle des ONG, le dossier Massaquoi s'alourdit d'autres crimes, dans d'autres lieux, à d'autres moments. Or, ces spectaculaires allégations sont incompatibles avec des faits historiques solidement documentés. Dès son ouverture, en février 2021 à Monrovia, le procès prend l'allure d'une mauvaise farce. Et les témoins de l'accusation ont beau changer tour à tour les dates qu'ils avaient auparavant données, rien ne pourra plus y faire. C'est un précipice judiciaire qui s'ouvre inexorablement sous les pieds du procureur.
Le 29 avril 2022, la cour de Tempere, au sud de la Finlande, conclut à l'unanimité que les preuves ne sont pas suffisantes pour condamner Massaquoi, ni pour les crimes commis dans des villages du Lofa, à l'extrême nord du Liberia, ni pour la torture d'Hassan Bility, le fondateur et directeur du GJRP, ni pour les tueries et viols dans la capitale Monrovia.
Il est rare qu'un procureur perde ainsi un dossier de crimes contre l'humanité dans un procès de compétence universelle en Europe. Pour lui et les ONGs, c'est un cuisant revers. Alors ils décident de doubler la mise : ils font appel et demandent un nouveau procès, autour d'une théorie de l'accusation qui a le mérite de ne plus être contradictoire dans les dates, mais qui ignore toujours délibérément certains faits historiques.
61 jours d'audience, dont 43 au Liberia, se tiennent entre janvier et septembre 2023. 97 témoins et 3 experts comparaissent à nouveau. Tout cela pour arriver, le 31 janvier, à un nouveau verdict d'acquittement, qui apparaît plus dur que le premier, si l'on s'en tient au communiqué de presse, publié en anglais.
Massaquoi « n'était pas dans le comté du Lofa »
La Cour tient à préciser, concernant les crimes jugés, qu'il « a été prouvé que la majorité des faits décrits dans les charges ont effectivement eu lieu. Dans le comté du Lofa, plusieurs meurtres et autres actes de violence ont été commis, dont des violences sexuelles telles que décrites dans les charges. De plus, des civils ont été contraints au travail forcé et les corps des personnes mortes ont subi des mauvais traitements. Ces faits ont été perpétrés entre août et décembre 2001. Dans le village appelé Klay, une personne citée dans les charges [Hassan Bility, ndlr] a été soumise à des tortures, telles que décrites dans l'acte d'accusation. Cela s'est déroulé fin juillet 2002. A Monrovia, plusieurs meurtres et autres actes de violence ont été commis, dont les violences sexuelles décrites, entre le 1er mai et le 18 août 2003. »
Certains meurtres dans le Lofa et à Monrovia n'ont pas été prouvés, mais cela ne modifie pas l'essentiel : les atrocités décrites sont réelles, connues, documentées.
Mais la cour d'appel confirme, comme en première instance, qu'« il n'a pas été prouvé que Mr. Massaquoi était coupable d'aucune des infractions dont il a été accusé », et que « les identifications de Mr. Massaquoi comme auteur des infractions ne sont pas fiables ». Mieux, les preuves suggèrent que Massaquoi « n'était pas du tout dans le comté du Lofa » entre août et décembre 2001, qu'il résidait dans une résidence surveillée en Sierra Leone à partir de mars 2003 et que, « de manière assez convaincante », il n'était pas au Liberia pendant la période des crimes commis à Monrovia. Enfin, « sur la base de la preuve présentée au sujet de sa présence à Freetown en juillet et en août 2002 », la cour considère « assez improbable » que l'accusé « ait été impliqué dans les actes de torture mentionnés à Klay » contre Bility, le directeur du GJRP.
Importantes réparations attendues pour Massaquoi
« Il s'agissait d'une affaire particulièrement délicate pour Civitas Maxima et son organisation soeur au Liberia, le Global Justice and Research Project (GJRP), car le directeur du GJRP, Hassan Bility, était lui-même un témoin dans l'affaire », écrit l'ONG suisse dans un communiqué de presse publié très vite après le verdict.
C'est également une affaire délicate pour les équipes d'enquêtes spécialisées finlandaises et pour le bureau du procureur, qui sortent eux aussi très affaiblis de cette affaire. Le malaise risque de grossir encore quand sera connu le montant des réparations qui seront accordées à Massaquoi, en conformité avec le droit, pour sa détention et pour d'autres dommages.
Seule sort grandie la justice finlandaise qui, à travers ses juges, aura su éviter une erreur judiciaire.