Ile Maurice: Les pêcheurs à la senne sur le qui-vive

Après une fermeture de cinq mois, la pêche à la senne reprendra le 1er mars jusqu'au 30 septembre. Ce moment tant attendu de l'année par les passionnés de cette technique s'accompagne d'une inquiétude croissante en raison des mauvaises conditions météo et des menaces cycloniques en ce début d'année.

La pêche est un secteur important, mais fragile. Surtout après le récent cyclone Belal et la dépression Candice. Vendredi, la station météo de Vacoas a émis un communiqué signalant la présence d'une autre dépression située à 610 km à l'est-sud-est de Rodrigues, qui provoque de fortes houles dans la région. Une situation qui stresse les pêcheurs, car ces cinq mois de fermeture pour que la mer puisse se renouveler en poisson ne sont pas toujours évidents. Ils se voient contraints de diversifier leurs activités pour assurer les besoins de leur famille.

Alain Andy, président de la Poste Lafayette Fisherman Cooperative Society, par exemple, se tourne vers d'autres occupations, telles que skipper, ou encore, manev mason, qu'il exerce à temps partiel pendant ces cinq mois. Cette adaptation témoigne des défis auxquels fait face la communauté des pêcheurs pendant la périodes d'arrêt de leur activité, soulignant ainsi la nécessité d'une approche polyvalente pour maintenir leur gagne-pain. Pendant la saison de fermeture, les pêcheurs ont droit à la Bad Weather Allowance de Rs 650 par jour.

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Mais les week-ends et jours fériés ne sont pas rémunérés, ce qui demanderait à être revu, selon Louis L'enflé, président de la St-Benoit Fishermen Cooperative Society. Malgré sa satisfaction de pouvoir reprendre son métier à plein-temps, il s'inquiète des conditions météo défavorables et appelle à repenser les saisons pendant lesquelles cette activité est autorisée.

Alain Andy craint lui aussi le mauvais temps. «La réussite de la pêche dépend directement des conditions météo. En cas de pluie et d'apport d'eau douce dans la mer, les poissons ont tendance à s'éloigner et les déversements impactent aussi les ressources marines. Cela peut prendre des jours. Avec le mauvais temps qui persiste, la pêche ne s'annonce pas bonne. Et si la mer est défavorable, nous ne pourrons même pas sortir. Les prises sont de moins en moins bonnes.» Quand le mauvais temps persiste, explique-t-il, les pêcheurs doivent attendre les mois d'avril et mai pour faire de bonnes prises.

Bancs en baisse

Puis vient l'hiver, la période durant laquelle la pêche est généralement moins abondante. «De juin à septembre, la pêche n'est pas non plus idéale en raison des conditions météo. Il faut revoir la date de la réouverture de la senne, soit de novembre à mai après la période de ponte. La mer serait alors plus riche.»

Toutefois, que ce soit par la pêche à la senne ou d'autres méthodes, la baisse dans la quantité de poissons pêchés est déplorée par la communauté des pêcheurs. Ce manque est dû à plusieurs raisons, notamment les effets du changement climatique, les activités nautiques et portuaires, la pollution et le non-respect de l'environnement, entre autres, déplore Alain Andy. «Nous avons dû nous adapter aux changements. Par exemple, l'après-midi n'est plus propice à la pêche, car toutes les espèces de poissons se retirent en raison de l'activité intense. Ainsi, les pêcheurs se voient contraints de s'adonner à leur activité le matin. De plus, pendant la marée haute, la pêche devient difficile en raison du fort courant, limitant davantage les opportunités de pêche.»

Il est difficile d'entraver le développement, surtout avec l'importance du secteur touristique pour l'économie locale ou encore les activités portuaires, mais le pêcheur estime qu'il faut trouver des moyens pour éviter que la situation n'empire et promouvoir la pêche afin d'assurer l'approvisionnement local et ne pas avoir à importer du poisson. Il faudrait aussi soutenir davantage la communauté des pêcheurs qui risquent leur vie pour gagner leur pain et fournir du poisson sur le marché.

«Nous nous sentons laissés pour compte»

Judex Rampaul, président du syndicat des pêcheurs, qui regroupe plusieurs associations de pêcheurs de l'île, soutient que le secteur est à la dérive. «Aujourd'hui nous nous retrouvons à devoir importer du poisson. C'est une grande faiblesse. Il y a une défaillance dans le système. Nous sommes fatigués de lutter pour l'avancement de ce secteur. La communauté des pêcheurs souffre du manque de considération. Y a-t-il une conscience sur l'importance du secteur de la pêche pour la sécurité alimentaire ?» Le secteur de la pêche représente un secteur économique important car il génère aussi de l'emploi, souligne-t-il. «Le secteur de la pêche à Maurice a beaucoup de potentiel pour approvisionner le marché. Les autorités doivent travailler de concert avec les pêcheurs qui comprennent la mer et la pêche, car c'est notre quotidien. Il faut rétablir les ressources marines affectées dus à divers facteurs humains néfastes pour l'environnement marin. Nous ne sommes pas contre le développement mais il ne faut pas que l'avancement du pays soit au détriment de la nature. Il faut voir les retombées des mesures mises en oeuvre dans ce secteur. Voir quelles mesures ont été annoncées mais n'ont pas encore été réalisées. Il faut évaluer les différents types de pêche pour connaître la situation et mettre en place des mesures à court, moyen et long termes.»

Les effets du changement climatique

Le changement climatique impacte la sécurité alimentaire, indique le dernier Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) Report de 2023. De plus, les dommages économiques liés au changement climatique ont été détectés dans les secteurs exposés comme la pêche. Les océans du monde entier se réchauffent affectant l'environnement marin. Les températures moyennes qui augmentent chaque année aggravent les conditions météo. L'élévation du niveau de la mer continue. À Maurice, elle est de 5,6mm par an, soit près de deux fois la moyenne mondiale de 3,3mm. Le réchauffement s'ajoute à l'acidification des océans parmi d'autres conséquences du changement climatique. Tous cela a des impacts directs et indirects sur la productivité des ressources naturelles, entre autres, en modifiant leurs comportements, en augmentant leur vulnérabilité et en détruisant leurs habitats - par exemple, à Maurice plus de 70 % de nos coraux sont morts. Le réchauffement des océans contribue à une diminution globale du potentiel de la pêche accentuant les effets de la surpêche, indique une récente étude effectuée par Malick Diouf, biologiste marin et Yoann Thomas, écologue marin. Celle-ci recommande ainsi la coopération et la prise de décisions inclusive des communautés locales pour une adaptation et une atténuation réussies.

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