Algérie: «Rentrons», en Algérie ou en France, questionne le cinéaste franco-algérien Nasser Bessalah

interview

En compétition à Clermont-Ferrand, plus grand rendez-vous mondial du court métrage, Rentrons raconte l'histoire d'Abdel et Nouria, deux jeunes en quête d'un avenir, tiraillés entre la France et l'Algérie. Une histoire profonde, située dans un décor magnifique, interprétée avec bravoure et humour. Bref, un « road movie sur mobylettes » très réussi, réalisé par le cinéaste franco-algérien Nasser Bessalah. Entretien.

Rentrons. Nous rentrons vers où avec votre film ?

Il y a une certaine ambivalence, selon les personnages du film. Pour Nouria, ce sera de rentrer en France, bien qu'elle soit d'origine algérienne. Tandis que pour Abdel, le chez lui, c'est finalement l'Algérie. C'est là où il pense mieux défendre ses intérêts. Du coup, il décide de rester en Algérie.

Vous n'avez pas fait d'école de cinéma. D'où est venu ce besoin de faire votre premier court métrage ?

Je n'ai pas fait d'école de cinéma proprement dit. Cependant, j'ai été dans une école de comédien et durant le cursus, j'ai fait un atelier cinéma pendant une semaine. C'est ce qui m'avait donné goût à faire du cinéma. C'était aussi l'occasion pour moi d'appliquer ce que je pensais, c'est-à-dire écrire des histoires qui nous concernent et ne pas laisser les autres conter ces mêmes histoires. Parce que souvent, le point de vue est biaisé et il y a un certain manque de légitimité. Connaître une personne ou essayer de l'appréhender dans ce qu'elle est, pour cela, il faut vivre avec elle ou vivre ce qu'elle vit.

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Abdel et Nouria sont tous les deux Français d'origine algérienne et chacun a fui la France pour une raison différente. Ils se retrouvent dans le même village en Algérie, le pays d'origine de leurs parents, avant d'envisager de rentrer en France, à cause de multiples déceptions. Pourquoi avez-vous posé votre caméra dans les montagnes Béjaoui, dans le nord de l'Algérie ?

Je suis d'origine algérienne, mais j'ai une certaine spécificité, parce que mon père vient du sud de l'Algérie, du désert, c'est un Sahraoui. Et ma mère est du Nord. Elle n'est pas loin de Béjaia et les décors sont très similaires à ceux que je connais quand je vais dans le village d'origine de ma mère. Là, mon intention était de filmer les montagnes Béjaoui, parce que j'adore la montagne. D'ailleurs, cela fait presque dix ans que je vais chaque été dans le Vercors. Il y a une certaine similitude. C'était un souvenir d'enfance. Le troisième point : je voulais montrer un très beau côté de l'Algérie.

La question centrale posée dans le film est : retournons-nous vivre dans le pays des parents ou des grands-parents ? Est-ce une question qui vous a déjà tourmenté ?

La question se pose de plus en plus au vu de ce qui se passe aujourd'hui en France, vis-à-vis de certaines communautés, notamment celle qu'on va appeler la communauté musulmane. Il n'y a pas forcément que l'islam qui rentre en jeu, mais pour certains, il y a une sorte de ressenti qui relève du rejet. Beaucoup ont essayé de jouer le jeu de l'intégration, etc. Et cela n'a pas forcément fonctionné. Par conséquent, il y a le fait de vouloir rentrer. Aujourd'hui, quand je parle avec des amis d'origine maghrébine ou même d'origine ouest-africaine, la question se pose si on reste ici, malgré nos tentatives d'assimilation. Ou, est-ce qu'on retourne dans le pays de nos parents ou de nos grands-parents pour essayer de faire quelque chose là-bas ?

En France, l'Algérie ne les a jamais quittés, et en Algérie, Abdel reste « l'immigré » et Nouria, parce qu'elle manie bien le ballon, est surnommée par dérision « Zizou », mais elle ne maîtrise ni l'arabe ni le kabyle. Appartiennent-ils plus à une génération qu'à un pays ?

Je ne sais pas si c'est générationnel. Une chose est sûre, l'appartenance à ce pays se ressent à travers ces deux personnages qui ont décidé d'aller en Algérie. Nouria voulait suivre son père, mais, finalement, il y a eu une désillusion et elle souhaite rentrer en France. Pour Abdel, c'était plus pour fuir sa mère. Il aurait pu fuir ailleurs, mais il a décidé de fuir en Algérie, de rester avec des membres de sa famille, notamment son cousin avec qui il a un café.

D'une part, ce choix est lié aux origines. D'autre part, il peut être générationnel. Certains Français d'origine maghrébine ne vont pas seulement essayer de fuir dans leur pays d'origine, mais au Canada ou dans les pays du Golfe qui semblent leur plaire davantage que celui de la France.

Dans le film, à un moment, on voit apparaître dans la rue des graffitis et des banderoles : « Laissez-nous aimer l'Algérie ! » « Non au 5e mandat ! » Est-ce que c'était facile à tourner ces scènes en Algérie ?

Il n'y a pas eu de difficultés particulières. Bien sûr, le scénario a été lu par certaines autorités, notamment le ministère de la Culture. Ils n'ont émis aucune opposition. Le film a été aussi diffusé à Béjaïa. Et pour avoir un visa et pouvoir diffuser le film, il faut avoir le tampon. Ce problème de censure, moi, je ne l'ai pas connu.

Quand vous avez montré le film au Festival du film de Béjaïa, là où il a été tourné, les spectateurs, comment ont-ils réagi ?

Il y a eu beaucoup d'incompréhension [sourire], dans le sens où certaines des personnes à qui j'ai pu parler veulent aller en France et essayer leur chance. Ils trouvent ça un peu paradoxal de voir deux Français d'origine algérienne qui veulent aller vivre au bled. Mais si on compare ça avec le Maroc, ça fait à peu près dix ans qu'il y a une bonne partie de la diaspora marocaine qui décide de retourner au Maroc, parce qu'il y a des opportunités économiques, des opportunités aussi de mode de vie. Si on revient à la question de l'islam, certains peuvent mieux vivre leur foi là-bas. Cette question commence à se poser aussi pour aller en Algérie. De plus en plus de personnes veulent tenter l'aventure algérienne, parce qu'il y a des opportunités économiques qui naissent, parce qu'il y a un mode de vie qui pourrait mieux leur convenir.

On parle beaucoup de la première, deuxième ou troisième génération d'Algériens qui commencent à changer la France. Les Français d'origine algérienne rentrant en Algérie, avez-vous le sentiment qu'ils sont en train de changer ce pays ?

Je pense qu'ils essayent. Quoi qu'on en pense, ils vont changer le pays, parce qu'ils vont apporter de nouveaux savoirs, de nouvelles manières de faire.

Donc le film, c'est un retour au pays, mais en même temps un retour vers le futur ?

Oui et non. C'est un retour au pays, mais c'est aussi peut-être un retour vers le futur dans le sens où l'on rentre en Algérie en espérant qu'il y ait des opportunités économiques. Le cas d'Abdel est un cas d'école. Il attend des financements d'État mis en place à la fin des années 2000, début 2010. Il compte dessus pour ouvrir son affaire. L'État encourage l'entrepreneuriat. C'est quelque chose nouveau pour l'Algérie.

Ici, nous sommes au plus grand festival du court métrage au monde. Qu'est-ce qu'un bon court métrage pour vous ?

C'est de sortir avec le sourire. Ou, quelques heures après avoir visionné un film, y penser encore. Je pense que c'est le signe d'un bon court métrage.

Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, du 2 au 10 février

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