Afrique de l'Ouest: Aboubacar Nacanabo, ministre en charge de l'économie - « Le risque d'inflation lié à la sortie de la CEDEAO est marginal »

5 Février 2024
interview

Le ministre de l'Economie, des Finances et de la Prospective, Aboubacar Nacanabo, a accordé une interview à Sidwaya. A travers les lignes qui suivent, il nous donne plus d'éclairage sur les conséquences économiques du retrait du Burkina de la CEDEAO.

Sidwaya (S) : Comment se porte l'économie burkinabè ?

Aboubacar Nacanabo (A.N.) : L'économie burkinabè reste résiliente, malgré les impacts des chocs exogènes et endogènes qu'elle a connus en 2023. En termes de chocs exogènes, on peut citer les tensions géopolitiques internationales ainsi que le resserrement de la politique monétaire au niveau régional. Pour ce qui concerne le choc endogène, c'est naturellement la crise sécuritaire avec son corollaire de crise humanitaire qui ont impacté fortement l'activité économique.

Nonobstant ces chocs, l'économie est restée résiliente comme je l'ai dit plus haut, avec un niveau de mobilisation de ressources record, un taux de croissance de l'ordre de 3,6% en 2023 contre 1,8% en 2022. Une inflation maitrisée avec un taux à fin décembre de 0,7% en 2023 contre 14,1% en 2022, soit une baisse de 13,7%. La croissance est essentiellement portée par le secteur primaire qui a connu une embellie grâce à la bonne campagne agricole soutenue par l'Initiative présidentielle pour l'agriculture qui a permis d'exploiter des superficies qui étaient jusque-là abandonnées du fait du terrorisme.

Le secteur secondaire est aussi resté résilient grâce à un cours de l'or à un niveau très élevé. La projection de croissance pour 2024 est de 5,5% et sera essentiellement porté par le secteur primaire avec l'offensive agropastorale en cours et une légère amélioration du tissu industriel.

S : Le 28 janvier, le Burkina, le Mali et le Niger ont décidé de quitter la CEDEAO. Sur le plan économique quelles peuvent être les conséquences de cette décision sur l'économie burkinabè ?

A.N. : On pourrait même dire que nos trois pays étaient déjà exclus de la CEDEAO depuis les changements récents intervenus chez nous, au Mali et au Niger. Depuis ce temps, nos Etats n'étaient pas invités aux activités de la CEDEAO, que ce soit la Conférence des chefs d'Etat ou le Conseil des ministres qui sont des instances de décisions importantes de l'organisation. Et même pour certaines rencontres au niveau technique, nous n'étions plus conviés et nous avons trouvé cela déplorable.

Revenant à votre question, la sortie de la CEDEAO va forcément avoir un impact sur le plan économique. Comme vous le savez, la CEDEAO est une union douanière, ce qui suppose l'existence d'un Tarif extérieur commun (TEC). Le TEC suppose que tout produit en provenance d'un pays membre de la CEDEAO entre au Burkina en payant un tarif douanier préférentiel et les produits en provenance des pays hors de l'espace CEDEAO supportent un tarif douanier harmonisé par les différents pays.

Il est important de noter que la CEDEAO compte 15 pays dont 8 de l'UEMOA et qu'il y a aussi le TEC UEMOA qui reste en vigueur entre les huit pays. Dans ce sens, la sortie de la CEDEAO remet en cause le tarif douanier préférentiel avec les pays membres de la CEDEAO qui ne sont pas membres de l'UEMOA, donc, 7 sur 15. En termes simples, cela veut dire que les importations en provenance de ces 7 pays doivent être soumises aux droits communs désormais.

De la même façon, les produits burkinabè exportés dans ces Etats doivent subir le tarif douanier de droit commun. Quand on se réfère aux statistiques de 2023, les importations en provenance des pays membres de la CEDEAO représentent 26% de l'ensemble des importations du Burkina. Si, on affine davantage l'analyse en excluant les pays de l'UEMOA, nos importations en provenance des pays de la CEDEAO non membres de l'UEMOA représentent moins de 7%, avec plus de 90% en provenance du Ghana (électricité).

Donc en dehors du Ghana, nos importations en provenant des pays de la CEDEAO non membres de l'UEMOA sont très faibles, moins de 1%. Quant aux exportations du Burkina en direction de l'espace CEDEAO, elles représentent 14% de l'ensemble de nos exportations, avec moins de 3% en provenance des pays de la CEDEAO non membres de l'UEMOA, avec encore une fois une prédominance en direction du Ghana. Donc globalement, sur le commerce extérieur, l'impact est très faible.

L'autre enjeu pour le Burkina, en tant que pays enclavé, c'est la question du transit qui permet d'approvisionner notre pays à moindre coût, grâce à la suspension des droits de douane et des mesures de prohibition sur les territoires douaniers traversés. Mais notre pays a signé plusieurs accords internationaux et bilatéraux avec certains pays membres de la CEDEAO en matière de transit et de coopération douanière qui permettent d'atténuer l'impact de notre retrait de la CEDEAO.

En plus de la question du tarif commun, l'enjeu de ce retrait concerne également la politique commerciale commune applicable aux pays membres de la CEDEAO. Sur cette question, il convient de rappeler que ces pays sont tous membres de l'OMC. Les règles commerciales qui étaient appliquées ont pour fondement les règles de l'OMC. Donc sur le plan commercial, l'impact sera atténué grâce à l'application des règles de l'OMC.

S : Est-ce à dire que c'est également la fin des relations économiques avec les Etats membres, pris individuellement ?

A.N. : Comme je l'ai dit plus haut, la CEDEAO est une institution multilatérale. Notre sortie de la CEDAO ne signifie nullement la fin des relations bilatérales. Au contraire, c'est une opportunité pour renforcer davantage les relations bilatérales avec certains pays. Vous savez, les relations entre les pays sont basées sur les intérêts réciproques, et il est évident que beaucoup de pays auront intérêt sur le plan économique à signer des accords bilatéraux avec le Burkina et nous sommes ouverts à cela avec tout pays qui le souhaite.

S : Selon certaines opinions, les pays de l'AES sont des Etats à économies fragiles et en quittant la CEDEAO, ils seront difficilement viables. Etes-vous d'avis ?

A.N. : Oui. Nous suivons l'actualité et nous voyons les analystes de toute part qui donnent leur opinion sur le sujet. Nous respectons bien sûr ces opinions, mais nous trouvons certaines tendancieuses, parcellaires et souvent volontairement tronquées. L'AES, c'est un marché de plus de 70 millions d'habitants. C'est une grande partie des réserves de ressources naturelles de l'espace CEDEAO, et c'est une zone agropastorale par excellence. Avec tout ce potentiel, je pense que nos Etats auront l'intelligence nécessaire pour faire de cet espace, un espace viable, solide et prospère.

Il suffit seulement que les filles et fils de cet espace se mettent au travail et croient en leur capacité. Lorsque le Mali a subi l'embargo de la CEDEAO en 2021, ces mêmes analystes qui proclament l'apocalypse pour l'AES disaient que le Mali ne pourra pas tenir 3 mois. Nous sommes en 2024 et le Mali est toujours là avec une économie résiliente.

S : Selon certains analystes toujours, ce retrait du Burkina va engendrer bientôt, une inflation dans ces pays de l'AES, une fois la décision actée par la CEDEAO. Partagez-vous cette préoccupation ?

A.N. : Je vous ai dit plus haut que notre commerce extérieur avec les pays de la CEDEAO n'appartenant pas à la zone UEMOA est marginal. En tout état de cause, la maitrise de l'inflation dans nos pays passe par une bonne campagne agricole, mais aussi du cours du pétrole que nous importons essentiellement hors de la CEDEAO. Le risque d'inflation lié à la sortie de la CEDEAO est donc marginal.

S : Quelles sont les mesures envisagées par le gouvernement pour atténuer les conséquences liées à cette sortie ou pour accompagner le secteur privé qui a manifesté de grandes inquiétudes à l'annonce de cette décision ?

A.N. : Nous prévoyons un échange avec le secteur privé pour d'abord les rassurer et voir avec eux les dispositions à prendre pour renforcer la résilience de notre économie pour une prospérité partagée.

S : Faut-il dans la même logique s'attendre à un retrait du Burkina Faso de l'UEMOA ?

A.N. : Cette question n'est pas à l'ordre du jour. Les raisons qui ont fondé notre retrait de la CEDEAO ont été clairement exprimées. L'institution s'est écartée des idéaux de ses pères fondateurs et s'est muée en épouvantail pour menacer la survie des pays en leur infligeant des sanctions illégales, car non prévues par les textes. Pour le moment, nous n'avons pas les mêmes reproches vis-à-vis de l'UEMOA, et nous restons membre à part entière.

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