Gabon: Le défi collectif de la réinvention du Gabon

4 Février 2024

La bienveillance des opinions publiques et la légitimation spontanée du coup d'Etat du 30 août 2023, rapidement baptisé « coup de libération » militaire, n'était pas seulement un désir de changement, mais un désir de révolution globale dans la conduite des affaires publiques, le vivre ensemble et les fondements politiques du pays.

Si la crise de confiance des Gabonais dans leur classe politique n'est pas nouvelle, et ne date pas d'Ali Bongo, sous son régime, elle s'est beaucoup aggravée au lendemain des résultats de l'élection présidentielle du 27 août 2016. Sous ce régime, dominé par des incertitudes et une constante vacuité d'un discours politique qui ne semblait que promettre et afficher des maquettes, en dehors de toute réalité, le besoin d'une libération, ainsi que la refondation de la manière d'envisager le vivre-ensemble politique, était plus qu'urgent.

Au terme du processus électoral chaotique d'août 2023, englobant l'élection du président de la République, les députés, les conseils municipaux et départementaux, les Forces de défense et de Sécurité ont pris leurs responsabilités en déposant, par coup d'Etat, le 30 août 2023, le régime incarné par Ali Bongo Ondimba et le règne de cinquante-cinq ans du Parti démocratique gabonais (PDG).

Perçu par les tenants de la doctrine moderne comme la modalité illégitime par excellence d'accession au pouvoir, le coup d'Etat déchaîne, chaque fois qu'il advient, des réactions de condamnation systématique. Pourtant, à y regarder de près, un constat s'impose : bien que, dans son principe, le coup d'Etat soit condamnable, la réalité des faits du terrain pousse à reconnaître que certains coups d'Etat sont salvateurs pour rétablir ou installer la démocratie et l'Etat de droit.

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Le coup d'Etat perpétré au Gabon par les militaires, réunis au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), a été salvateur. Il est à distinguer des coups d'Etat classiques où les militaires et leurs soutiens civils s'emparent des leviers du pouvoir pour la soif du pouvoir. Ici, ce n'est donc pas la soif du pouvoir qui a été le mobile, mais le désir des militaires d'éviter la catastrophe vers laquelle le régime déchu semblait conduire le pays, en falsifiant le processus électoral pour une présidence perpétuelle et la confiscation des institutions.

L'engagement républicain de l'armée. Jamais un processus électoral n'aura divisé le pays, depuis la conférence nationale de mars-avril 1990 et le retour au pluralisme politique, comme le scrutin du 26 août 2023 dont les « dés » étaient largement et obséquieusement pipés, à travers les mécanismes « innovants » de vote mis en place par le Conseil gabonais des élections, l'organe de gestion des élections.

En réalité, il ne restait de la démocratie et le pluralisme politique gabonais, âprement reconquis dans le vent des conférences nationales africaines de 1990, que l'élégance des mots et leurs reflets d'ailleurs. La démocratie était devenue au fil des ans de la dernière décennie, sous nos cieux, l'instrument d'une répression politique dirigée contre ceux qui, même en interne au PDG, avaient des positions critiques vis-à-vis des affaires du Palais du Bord de mer.

En effet, habitués aux privilèges de leurs rentes de situation, et contrôlant le processus pratiquement de bout en bout, les tenants du pouvoir déchu et leurs clientèles n'avaient nullement l'idée de céder même une petite portion de pouvoir aux véritables gagnants sortis des urnes. Quitte à mettre le pays à feu et à sang, les plus téméraires et les radicaux vont même briller par une forme de déni démocratique.

Ainsi, toute une machine va être mise en place pour éliminer astucieusement du jeu les autres formations politiques les plus représentatives, ainsi que leurs candidats aux différents scrutins, oubliant ou ignorant que l'armée est avant tout une institution républicaine au service du pays et des populations.

En effet, l'élan novateur et l'engagement républicain dont les Forces de défense et de Sécurité gabonaises, réunies au sein du CTRI, sous la conduite du Général de Brigade Brice Clotaire Oligui Nguema, ont fait preuve, contre toute attente, mérite d'être souligné.

Il importe de situer que l'opération salvatrice de prise de pouvoir par les militaires, dans ce contexte de désillusion démocratique et de marchandage politique, a aussitôt obtenu, de manière quasi mécanique, la bienveillance des opinions publiques aussi bien locales qu'à l'international, malgré des condamnations de principe.

D'ailleurs, malgré l'avalanche des condamnations diplomatiques de principe de la part de nos partenaires bilatéraux et multilatéraux, appelant au rétablissement de l'ordre constitutionnel, tous (ou presque) se sont abstenus de s'inscrire dans une logique de sanctions coercitives.

La légitimation par le peuple. Cette légitimation spontanée de la prise de pouvoir par les militaires, au regard de la liesse populaire qui a entouré ce putsch que d'aucuns ont vite fait de baptiser « coup de libération », n'était pas seulement un désir de changement, mais un désir de révolution globale : politique, économique et sociale.

Fort de ce large soutien et de ce capital confiance, il apparait donc urgent que le pouvoir actuel porté par le CTRI se démarque totalement et s'éloigne des tentations du pouvoir pour le pouvoir, du présidentialisme perpétuel ou de l'électoralisme, pour se consacrer aux réalités d'un pays à réinventer, un pays en crise économique, mais aussi en crise morale, identitaire et donc politique.

Depuis peu, des poches de contestation se font entendre, dénonçant notamment les positionnements de certaines ressources humaines dans la haute administration. Il est toujours bon de les écouter, au nom de l'unité de notre peuple qui toujours, peut être la condition essentielle pour l'exercice de nos libertés fondamentales.

Les Gabonais veulent un changement radical de paradigme dans la conduite des affaires publiques et du vivre-ensemble politique. Il s'agit de sortir de la République des copains et coquins, comme dénoncé par le président de la Transition, lors de son discours d'investiture, pour creuser les fondements de la communauté politique du pays, après plus d'un demi-siècle de magistrature suprême, par un seul nom, une seule famille de père en fils, à la tête d'un même parti politique dominant, le Parti démocratique gabonais.

Il est donc nécessaire, dans cette nouvelle ère, de promouvoir les vertus du politique, renforcer et asseoir une identité politique dans le cadre de la nation gabonaise, promouvoir l'équilibre entre les droits et les devoirs du citoyens, ainsi que la représentation des citoyens par des élus réellement et librement choisis par eux.

Dans ce défi collectif de réinvention du Gabon, il apparait, plus qu'urgent, de réaliser des adaptations nécessaires qui prennent d'abord en compte les aspirations du peuple gabonais et de concourir avec force et patriotisme, chacun à son niveau, à l'intérêt général pour remettre réellement aux Gabonais leur dignité, pour que soit enfin notre essor vers la félicité.

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