Sénégal: Les députés en plénière pour ouvrir la voie à un report de l'élection présidentielle du 25 février

Dakar — Les députés ont entamé lundi l'examen d'une proposition de loi dont l'adoption marquera une étape décisive vers le report de l'élection présidentielle du 25 février, alors que le chef de l'Etat, Macky Sall a abrogé le décret convoquant le corps électoral, entrainant de fait une interruption du processus électoral.

La proposition de loi émane de parlementaires du Parti démocratique sénégalais (PDS), dont la candidature de son leader, Karim Wade, a été déclarée irrecevable par le Conseil constitutionnel pour cause de double nationalité.

Elle fait suite à une résolution adoptée par l'Assemblée nationale en vue de la création d'une commission d'enquête parlementaire visant à faire la lumière sur des accusations de supposées de corruption et de conflits d'intérêt visant certains membres du Conseil constitutionnel.

Ces accusations ont été portées par le Parti démocratique sénégalais, la formation politique de l'ancien président Me Abdoulaye Wade (2000-2012).

Les députés du groupe Liberté et démocratie ont bénéficié des voix des députés de la majorité présidentielle, Benno Bok Yaakar (BBY), pour faire passer cette résolution.

La proposition de loi vise notamment à modifier l'article 31 de la Constitution dont le préambule consacre le droit à l'égal accès de tous les citoyens, sans discrimination à l'exercice du pouvoir à tous les niveaux, lit-on dans le projet de modification.

Les députés du groupe du PDS estiment que le contrôle du parrainage a permis de relever de manquements graves liés au fichier des électeurs et aux défaillances techniques du logiciel de contrôle des parrainages, lesquels doivent définitivement être purgées.

Des heurts à la place du lancement de la campagne électorale

Ils estiment que pour éviter une instabilité institutionnelle et des troubles graves de nature à affaiblir la République, il s'avère urgent de remédier aux manquements relevés par une reprise complète du processus électoral et un report de six mois de l'élection présidentielle du 25 février.

Dimanche, des heurts ont éclatés sur certaines artères de la capitale après que des candidats à l'élection présidentielle ont appelé leurs partisans à un rassemblement pour lancer la campagne électorale qui devait débuter le même jour.

Ils ont affronté avec des jets de pierre les forces de l'ordre de l'ordre venues les disperser. Les protestataires ont brulé des pneus et érigé des barricades sur certains axes.

Dans la foulée de ces violences, le signal de la chaine de télévision privée Walf TV a été coupé par les autorités pour "incitation à la violence".

Ces scènes de violence sont survenues au lendemain de l'annonce par le chef de l'Etat, Macky Sall, de l'abrogation du décret convoquant le corps électoral, entrainant de fait une suspension du processus électoral.

Le président de la République, Macky Sall, réaffirmant sa décision de ne pas se présenter à la prochaine présidentielle, a annoncé samedi avoir abrogé le décret convoquant le corps électoral le 25 février prochain, en attendant les résultats de la commission d'enquête parlementaire visant à clarifier les conditions dans lesquelles certaines candidatures ont été déclarées irrecevables.

Dans un message radiotélévisé à la nation, le chef de l'Etat a évoqué ce "conflit ouvert", ce »différend » entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, "sur fond d'une supposée affaire de corruption de juges".

Il note toutefois que le Conseil constitutionnel, dans son communiqué du 29 janvier 2024 signé par tous ses membres, "a réfuté les allégations portées contre lui, tout en prenant la mesure de la gravité des accusations, et en tenant à ce que toute la lumière soit faite dans le respect des procédures constitutionnelles et légales régissant les relations entre les institutions, notamment la séparation des pouvoirs et le statut de ses membres".

»Un coup d'Etat constitutionnel »

"A cette situation suffisamment grave et confuse, est venue s'ajouter la polémique sur une candidate dont la binationalité a été découverte après la publication de la liste définitive des candidats par le Conseil constitutionnel".

Ce qui, dit-il, "constitue une violation de l'article 28 de la Constitution qui dispose que »tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise".

Selon le président de la République, ces "conditions troubles pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin en installant les germes d'un contentieux pré et postélectoral".

Cette décision a été suivie d'une vague de réactions de désapprobation parmi les candidats à l'élection présidentielle du 25 février.

"En décidant unilatéralement de stopper subitement le processus électoral, sans aucune base légale, le président de la République vient de perpétrer un coup d'Etat constitutionnel", a ainsi écrit Khalifa Ababacar Sall sur le réseau social X.

Selon l'ancien maire de Dakar, candidat à l'élection, le président Macky Sall a porté un coup violent à la démocratie sénégalaise en abrogeant le décret convoquant le corps électoral.

Thierno Alassane Sall a, de son côté, dans une déclaration rendue publique le même jour, estimé que le président Macky Sall a pris la "décision de violer de manière flagrante notre charte fondamentale (la Constitution)".

Un important dispositif sécuritaire déployé dans les rues de Dakar

Il n'a pas manqué d'évoquer un devoir de »prendre position et protéger » les valeurs de la République.

"J'en appelle à la responsabilité des forces vives pour un retour rapide et sans équivoque à l'ordre constitutionnel avec la tenue de la présidentielle à date échue", a de son côté indiqué le candidat Malick Gakou sur page Facebook.

Dimanche, lors d'une conférence de presse organisée à Dakar, les députés de la coalition Yewwi Askan-wi (opposition) ont fait part de leur volonté de saisir la Cour suprême dès la publication du décret abrogeant celui convoquant le corps électoral, le 25 février.

Ils n'ont pas manqué de promettre de déposer un recours au Constitutionnel si la proposition de loi visant à reporter les élections était adoptée par l'Assemblée nationale et promulguée par le président de la République.

Dimanche des appels à manifester devant l'Assemblée nationale ont été lancés sur les réseaux sociaux. Dans la soirée les autorités ont annoncé par le biais d'un communiqué une suspension des données mobiles d'internet.

Un important dispositif sécuritaire a été déployés lundi aux alentours de l'Assemblée nationale en perspective de l'examen par les députés en séance plénière de la proposition de loi visant à reporter l'élection présidentielle, a constaté un reporter de l'APS.

Dakar »pressé de fixer une nouvelle date » pour la Présidentielle

Des points de contrôle policiers sont visibles sur toutes les voies menant à l'hémicycle, alors qu'un calme plat régnait encore sur l'ensemble des axes de la capitale.

L'annonce de l'abrogation du décret convoquant le corps électoral a été dans le même temps suivie de réactions des partenaires et organisations internationales.

La Commission de la CEDEAO a ainsi exprimé ses "préoccupations" relatives aux circonstances ayant conduit au "report » de l'élection présidentielle au Sénégal, pressant notamment les autorités sénégalaises de fixer une nouvelle date pour le scrutin.

La porte-parole du haut représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Nabila Massrali, a appelé, dimanche, tous les acteurs concernés par la situation politique du Sénégal à oeuvrer pour la tenue d'une élection présidentielle 'transparente, inclusive et crédible, dans les meilleurs délais".

De son côté, la France a appelé les autorités sénégalaises à "lever les incertitudes autour du calendrier électoral"' sénégalais.

Les Etats-Unis d'Amérique se sont déclarés "profondément préoccupés" par l'annonce du report de la présidentielle et demandé qu'une nouvelle date soit fixée avec l'engagement des acteurs concernés pour une élection "libre et équitable".

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