Les paillettes et le glamour font oublier le côté sombre de la vie d'artistes dans la musique, surtout quand la maladie les frappe sans prévenir. Tout s'écroule, le bal des appels à solidarité anime Facebook, un exercice obligé pour certains et certaines. Le statut des artistes a déteint depuis au moins deux décennies. Et il n'y a pas que la musique, il y a le slam, le cinéma, la littérature, le théâtre, la bande dessinée...
Les propos sont à la limite vulgaires, certes sans intention mauvaise, ils révèlent pourtant la réalité bien dure de ces quinze dernières années. « Des artistes qui deviennent mendiants », évoque d'un ton désolé Noah Raoelina, un promoteur culturel reconnu de la capitale. « Mendiant » s'entend par ces répétitifs appels à solidarité, financière surtout, des chanteurs, chanteuses, acteurs, comédiens... sur les réseaux sociaux, tout en ravalant leur fierté de célébrités. Dans l'imaginaire collectif, notoriété rime souvent avec l'argent coulant à flots, une vie aisée : grande villa avec jardin et verdure, voiture rutilante et petit déjeuner royal. « Ils et elles sont aussi beaucoup à avoir réussi à s'enrichir de leur métier », ravise Noah Raoelina. Éric du désormais duo de comiques « Fou Hehy » a connu de sa propre personne cette phase douloureuse, honteuse pour certains, de la pitié camouflée des autres. « Tout d'abord, si ça ne tenait qu'à moi, je n'aurai jamais voulu demander... Ce sont des amis qui ont lancé cet appel. Mais je les remercie, regardez-moi maintenant où j'en suis, c'était bénéfique pour moi ». En 2018, ses médecins sont catégoriques, sa vie dépend d'une opération à effectuer en urgence à l'étranger. L'Inde est la première option. Alors, est lancée une mobilisation générale à travers Facebook.
Après lui, le cortège d'appel à solidarité envers un ou une artiste s'allongeait chaque année. « Ça ne concerne pas seulement notre secteur, ça concerne tout le monde... il faut amoindrir les coûts », ajoute Éric Fou Hehy, son nom de scène. Sauf que quand le cas touche une personnalité publique, il se revêt d'une toute autre dimension. Peu de politiciens, peu de sportifs sont dans le classement des célébrités nationales dans le dur. « À Madagascar, les représentations d'une large partie de la classe politique, accompagnée sur une certaine mesure par la pression sociale, voudraient que faire de la politique a pour finalité l'enrichissement personnel. Alors, un politicien qui n'a pas réussi à s'enrichir redoute d'être considéré comme un raté, à commencer par ses proches, son quartier, son village et enfin sa région. Ce serait la honte pour lui ou elle de lancer un appel à l'aide », analyse un spécialiste de la sociologie contemporaine malgache. Quant aux sportifs et sportives, il y a peut-être une sorte de fierté. Et la conversion du sport à d'autres activités professionnelles est une marche forcée assez tôt dans la carrière. Un chanteur ou une chanteuse est souvent livrée à sa carrière, une sorte de quitte ou double d'autant plus s'il ou elle goûte à la notoriété. Aujourd'hui, la nouvelle génération d'après les années 90 ont vu arriver les choses.
Business bouillonnant
Elle a compris qu'il faut appréhender la musique comme un vrai business, avec le mental nécessaire et qu'il est possible de s'en enrichir à Madagascar. Ou au moins d'économiser ses cachets et investir après. L'image du troubadour passionné et baba cool fait désormais partie du folklore. Avec une population nationale jeune, plus de 60 % ont moins de 24 ans, le marché est lucratif. Laborieux pour les aînés de suivre le rythme de cette industrie musicale archi-compétitive biberonnée aux réseaux sociaux. En majorité, ce sont des gloires oubliées ou en perte de vitesse de l'ère « K7 » et « CD » qui publient des appels à solidarité sur Facebook d'où la grande question de la sécurité sociale afin d'assurer la vieillesse, au minimum ne pas devenir le fardeau de la famille. En 2002, du temps de la présidence de Marc Ravalomanana, l'idée d'un statut des artistes a pour la première fois germé. « L'artiste est un travailleur indépendant », souligne Haja Ranjarivo, ancien directeur général de l'Office Malgache des Droits d'Auteurs. Ce projet de statut des artistes a refait surface en 2011 durant la Transition menée par Andry Rajoelina, avec la ministre de la Culture, Mireille Rakotomalala, une pianiste reconnue, puis en 2020 avec la ministre Lalatiana Rakotondrazafy. En 2024, ce projet de loi si cher au syndicat des artistes pourrait enfin aboutir au Sénat.
« On en a beaucoup dit, je ne connaîs pas la finalité », répond Rajery le valihiste de renommée internationale, questionné sur les avancées de ce statut. « La sécurité sociale fait partie intégrante de ce statut des artistes », complète Haja Ranjarivo. Pour l'instant, les milliers de ce qui se disent artistes sont flous sur l'échiquier du droit. Facile pour eux ou elles d'être la proie d'organisateurs ou promoteurs peu scrupuleux. La sécurité sociale comprend entre autres la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNAPS), l'Ostie ou autres... Dans l'absolu, les droits d'auteurs perçus auprès de l'Omda restent la source de revenus sûrs des vedettes retraitées. Rien de bien conséquent. À ceux ou celles qui ont la volonté, d'autres mécanismes peuvent être mis en marche. « Une option B, créer une entité qui paie Nif et Stat. De cette manière, on peut verser les diverses cotisations. Les artistes sont des gens très exposés, des jours à ne pas manger parce que accaparés par les studios d'enregistrement, le manque de sommeil. Et il faut préciser que cela affecte aussi grandement les musiciens ». Dans le même sillage pour Haja Ranjarivo, « ce n'est pas obligatoirement envers ce statut, les artistes peuvent souscrire d'eux-mêmes à une assurance maladie » à titre d'exemple.
Toujours l'attente
Nul ne sait pourquoi un projet de loi loin d'être aussi vital qu'un éventuel texte sur le secteur minier ou sur l'exploitation forestière traîne dans les coulisses du pouvoir. Eric Fou Hehy plaide leur position. « Nous payons les impôts, la facture d'électricité, l'écolage de nos enfants... comme tout le monde, ce sont nos priorités, comment penser qu'un jour nous serions d'un coup malades. Alors, c'est impossible dès la dialyse » pour la caisse familiale de suivre. Il est fort à parier que ce fameux statut des artistes ne soit adopté par le Sénat pour ce premier semestre. Les internautes auront le loisir de s'apitoyer sur le sort des futurs malades célèbres. Pour les politiques de tous bords avec leur regard compatissant, parfois infantilisant « du grand sauveur blanc », de théâtraliser un selfie de la bonne conscience.