Le Secrétaire général adjoint aux opérations de paix, Jean-Pierre Lacroix, qui est en visite en République démocratique du Congo depuis le 1er février dernier, vient de boucler une visite de 24 heures à Beni dans la province du Nord-Kivu.
Il était accompagné d'une forte délégation composée entre autres de Christian Saunders, coordinateur spécial pour l'amélioration de la réponse des Nations Unies à l'exploitation et aux abus sexuels, Catherine Pollard, Secrétaire générale adjointe chargée de la stratégie de gestion, de la politique et de la conformité, Bintou Keita, Cheffe de la MONUSCO ou encore le commandant intérimaire de la Force de la Monusco, le général Diouf Khar.
Si le désengagement de la MONUSCO de la province du Sud-Kivu reste l'objectif principal de cette visite, à Beni, la délégation est surtout venue pour évaluer l'effectivité et les résultats des mesures mises en place par la MONUSCO pour faire face au phénomène d'abus et exploitations sexuels (EAS) commis par les agents des Nations Unies, locaux ou expatriés.
Légère amélioration de la situation sécuritaire
Aussitôt arrivés à Beni le vendredi 2 février peu avant 14 heures, heure de l'Est de la RDC, Jean-Pierre Lacroix et sa suite ont d'abord reçu une présentation de la situation sécuritaire générale dans la région, où l'on note « une certaine amélioration, bien que les rebelles des ADF continuent à constituer la principale menace à la sécurité des populations », a reconnu le chef de Bureau de la MONUSCO/Beni Josiah Obat.
Ce dont s'est par ailleurs félicitée Bintou Keita, la Représentante spéciale du Secrétaire général de l'ONU en RDC et Cheffe de la MONUSCO qui a dit sa « satisfaction de constater que le nombre d'opérations militaires contre les groupes armés et pour la protection des civils a considérablement augmenté par rapport à ce qu'il était il y a deux ou trois ans »...
Ensuite, la délégation a échangé avec des membres des réseaux communautaires de signalement de plaintes (CBCN). Il a été question de voir ensemble comment améliorer la réponse des Nations Unies aux abus et exploitations sexuels commis par le personnel (civil, policier et militaire) de l'ONU dans la région.
Par exploitation et abus sexuels (EAS), il faut comprendre « le fait d'abuser ou de tenter d'abuser d'un état de vulnérabilité d'une personne, d'un rapport de force ou de confiance inégal en vue d'obtenir des faveurs sexuelles, y compris mais non exclusivement, en proposant de l'argent ou d'autres avantages sociaux, économiques ou politiques ». Cela comprend aussi la prostitution.
Pour faire simple, c'est par exemple :
L'échange de rapports sexuels contre de l'emploi
L'échange de rapports sexuels contre de la nourriture
Avoir des rapports sexuels avec des mineur.e.s ou personnes vulnérables (réfugiés, déplacés...) ou des prostituées...
La MONUSCO en pointe dans la lutte contre l'EAS
« C'est une problématique qui nous préoccupe au plus haut point, parce que les abus sexuels, c'est le fait d'une toute petite minorité d'éléments, qui en agissant de cette manière, porte un coup très grave à tout le travail, le bon travail qui est fait par nos collègues. Que ce soient les collègues de la MONUSCO ou des Agences des Nations Unies. Nous ne pouvons pas le tolérer », a déclaré Jean-Pierre Lacroix ce samedi matin, peu avant de s'envoler pour Bukavu au Sud-Kivu.
L'exploitation et les abus sexuels commis par certains agents des Nations Unies non seulement, ternissent en fait l'image de l'Organisation, mais ont parfois mis à mal les relations entre communautés et Nations Unies.
Christian Saunders, coordinateur spécial pour l'amélioration de la réponse des Nations Unies à l'exploitation et aux abus sexuels, a rappelé les « dégâts réputationnels » que peut causer l'EAS aussi bien pour les auteurs que pour les Nations Unies :
« Vous devez savoir qu'un seul cas avéré d'exploitation et d'abus sexuels est une honte pour vous-même, pour votre famille, pour votre unité, votre contingent, votre pays, et pour la Mission », a-t-il déclaré.
Pour lutter contre cette mauvaise pratique, le Secrétaire général de l'ONU a mis en place une politique dite de « tolérance zéro ». Au niveau de la MONUSCO, Bintou Keita en a fait son cheval de bataille.
Ainsi, la Mission a développé une batterie de mesures préventives qui ont permis sinon de mettre fin, du moins limiter drastiquement les cas d'EAS :
Le couvre-feu
Des formations à la prévention contre l'EAS au profit de toutes les catégories de personnel (militaire, policier et civil)
Les sensibilisations de communautés à la prévention contre l'EAS
La formation des points focaux à la transmission de plaintes à travers les CBCN
L'identification de zones interdites au personnel onusien (out of bounds-off limits)
La distribution au personnel de cartes de poche « tolérance zéro » qui résument les normes de conduite contre l'exploitation et l'abus sexuels
L'interdiction de fréquentation de certains endroits (bars, boites de nuit...)
L'installation de caméras de surveillance dans des bases militaires pour contrôler les mouvements de personnel
L'aménagement de périodes de repos et de récupération pour le personnel
Ou encore l'organisation d'activités socioculturelles et sportives au profit du personnel
Zéro cas d'abus sexuels rapporté depuis 6 mois...
Et les résultats suivent. Depuis septembre 2023, aucun nouveau cas d'EAS n'a été rapporté à la MONUSCO. Un motif de satisfaction pour Jean-Pierre Lacroix, qui a toutefois encouragé la Mission à ne pas dormir sur ses lauriers et à maintenir la cap, avec « zéro allégation » :
« Je pense que nous sommes mieux équipés aujourd'hui que par le passé. Il y a beaucoup de mesures qui ont été prises, mais nous avons renforcé la vigilance, nous avons demandé à toutes les composantes [civile, militaire et policière] non seulement de prendre des mesures additionnelles, mais aussi de veiller à ce qu'elles soient mises en oeuvre de manière extrêmement stricte », a-t-il déclaré.
Les communautés locales saluent elles aussi les résultats de cette politique de la MONUSCO. C'est le cas de Josué Muhindo Kapisa, président du CBCN de Beni qui dit noter avec satisfaction une nette amélioration de la situation ; preuve selon lui, que la MONUSCO a réellement pris le problème à bras le corps :
« Par rapport à la période d'avant novembre 2023, aujourd'hui la situation est calme et stable ; car les femmes libres qui vivaient sur le dos des contingents se lamentent trop : cela prouve que cette mesure est encourageante. Les mesures mises en place par la MONUSCO sont salutaires, elles permettent de redorer l'image de la MONUSCO. Cela pourrait renforcer la confiance entre la communauté et les Nations Unies. Nous félicitons sincèrement la MONUSCO pour les mesures prises, cela prouve l'attention particulière qu'ils mettent sur la question liée aux abus et exploitations sexuels et nous encourageons que la mesure ne souffre d'aucune faille ».
Jean-Pierre Lacroix a félicité les membres (volontaires) des différents réseaux communautaires de rapportage de plaintes pour le sacrifice et leur contribution à l'éradication des abus sexuels. Il leur a rappelé leur rôle et responsabilité dans ce combat :
« Vous êtes les yeux et les oreilles des Nations Unies dans vos communautés, pour nous aider à comprendre ce qu'il s'y passe, et comment unir nos efforts pour mettre fin au phénomène d'abus et d'exploitation sexuels ».
Assistance aux « victimes » des abus sexuels
Outre le volet « prévention », il y a aussi l'aspect répression dans cette lutte contre l'EAS. Comme qui dirait, aux Nations Unies, « on ne joue pas avec l'exploitation et les abus sexuels ». Chaque plainte est prise au sérieux, des enquêtes sont initiées, les coupables (s'il y en a) sanctionnés.
Récemment dans la région de Beni, un procès a eu lieu (cour martiale) pour investiguer sur des allégations d'abus sexuels commis par un contingent de la Brigade d'intervention de la MONUSCO. Les casques bleus impliqués ont été rapatriés chez eux. Mais les victimes ne sont pas abandonnées à leur sort.
La MONUSCO a ainsi établi des structures d'assistance dans divers domaines tels que l'assistance médicale aux victimes, le soutien psycho-social, l'appui juridico-légal ainsi que l'exécution des projets de réinsertion socio-économique, à travers le Trust Fund (ou Fonds des Nations Unies aux victimes de l'EAS).
Dans la région de Beni par exemple, on peut citer entre autres mesures :
La prise en charge sur toute la zone d'opération de l'éducation de plus de 75 enfants par an,
Des formations dans les domaines de pâtisserie, coupe-et couture, esthétique, etc. : ainsi, plus de 525 femmes ont déjà bénéficié de ces formations sur ces 3 dernières années. Il s'agit de survivantes de l'EAS, mais aussi de membres vulnérables des communautés...
A l'issue de ces formations, toutes les bénéficiaires ont reçu des kits de réinsertion dans la communauté en vue de se prendre en charge elles-mêmes et supporter leurs enfants, pour celles qui en ont.
En septembre 2023, Christian Saunders, coordinateur spécial pour l'amélioration de la réponse des Nations Unies à l'exploitation et aux abus sexuels, a effectué une visite dans la région de Beni ; visite qui l'avait conduit successivement à Kilia, Eringeti et Mayi Moya. Il avait aussi rencontré les membres du personnel des Nations Unies qu'il avait encouragés à garder à l'esprit qu'ils sont présents au Congo pour servir.