Alors que les Sénégalais s'attendaient à voir les 20 candidats à la présidentielle du 25 février prochain entrer en campagne, le chef de l'Etat, Macky Sall, a annoncé, le week-end écoulé, le report sine die du scrutin. Motif invoqué par le chef de l'Etat sénégalais pour justifier sa décision, un différend entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, autour d'une supposée affaire de corruption de deux sages, suite à l'invalidation de la candidature de Karim Wade, pour double nationalité.
Aussi, Macky Sall, a-t-il promis de convoquer un dialogue national inclusif, en vue de créer les conditions d'une élection libre, transparente et inclusive. Quel séisme ! Jamais un tel scénario ne s'était produit au Sénégal, depuis son accession à l'indépendance, en 1960, de mémoire d'Homme. La décision du Président Sall a bien évidemment suscité de la colère et de l'indignation dans les rangs de l'opposition. Les opposants au régime ont envahi les rues, donnant lieu à des heurts et à des arrestations, ces dernières heures.
L'ajournement de la présidentielle ne pouvait que provoquer des remous dans un pays où les tensions politiques sont légion depuis plus de deux ans, avec en toile de fond, le bras de fer entre l'opposant Ousmane Sonko et le pouvoir. Une bonne partie de la classe politique et de la société civile sénégalaise a désavoué la décision présidentielle, la preuve qu'il y a véritablement un grand malaise dans cet Etat, considéré comme un modèle de démocratie.
Même Serigne Mountakha Mbacké, le khalif général des Mourides, communauté religieuse très influente au Sénégal, aurait pesté contre cette mesure présidentielle. Au-delà des frontières sénégalaises, c'est également la stupéfaction totale dans les quatre vents du monde. Plusieurs organisations sous régionales et internationales (UE, UA, CEDEAO...) réclament des élections dans de « brefs délais ».
Si élection présidentielle, il doit y avoir, elle ne devrait pas se tenir avant le 2 avril prochain, date à laquelle le mandat du Président Sall prend officiellement fin. Le Code électoral sénégalais dispose qu'un préavis de 80 jours est nécessaire pour une nouvelle convocation des électeurs. Aussi scandaleuse que ténébreuse, l'interruption brutale du processus électoral au pays de la Teranga passe mal.
C'est une couleuvre difficile à avaler. Des candidats qui étaient dans la dynamique de partir à la pêche aux voix semblent faire fi du décret présidentiel annonçant le report du scrutin. Si elle met le feu aux poudres, la décision de Macky Sall laisse libre cours à toutes les supputations. A quoi joue le chef de l'Etat sénégalais qui était en passe de rentrer dans l'histoire après avoir renoncé à un troisième mandat, même si c'est sous la contrainte ?
La question mérite d'être posée, ce d'autant plus que le conflit entre le pouvoir législatif et le Conseil constitutionnel, évoqué pour différer le scrutin, ne devrait pas avoir lieu. Une commission d'enquête a été mise en place par le Parlement pour investiguer sur la gestion des dossiers de candidature à la présidentielle par le Conseil constitutionnel, mais va-t-elle parvenir à donner satisfaction au clan Sall qui a fortement soutenu l'initiative ?
L'Assemblée nationale, à ce qui se dit, n'a aucune prérogative pour enquêter sur les décisions des Sages, lesquelles ne sont susceptibles d'aucune voie de recours. Dès l'adoption de l'idée de la commission d'enquête, certains opposants avaient clamé que c'était une manoeuvre pour ne pas organiser l'élection à bonne date. Ont-ils tort ? On l'espère. A moins de vouloir le mettre totalement à genou, le Président Sall n'a aucun intérêt à prendre son propre pays en otage.
De par sa tradition d'alternance au sommet de l'Etat, le Sénégal est considéré comme un exemple de démocratie, en plus de n'avoir jamais connu de coup d'Etat militaire. Cette réputation a été quelque peu ternie par une gouvernance à polémique sous le régime Sall et la tendance n'est pas près de s'arrêter avec ce retournement de situation spectaculaire. Il y a pourtant nécessité de redresser la barre dans cette démocratie écornée où les libertés individuelles et collectives ont été bafouées ces dernières années et continuent d'ailleurs de l'être.
Etant en première ligne des dirigeants de la CEDEAO qui défendent bec et ongle les principes de la démocratie, le chef de l'Etat sénégalais devrait servir un spectacle plus digne. Macky Sall doit impérativement tenir l'élection et passer la main, s'il ne veut pas compromettre dangereusement son avenir.