Ile Maurice: Véronique Nankoo, future docteure dans l'art de raconter des histoires

Enseignante de français au Saint Mary's College, Véronique Nankoo poursuit son propre cheminement universitaire au niveau doctoral. Dans une filière atypique. Pour que l'art du conte ait tous les attributs d'une science.

Se lancer dans un doctorat en performing arts, dans une université où il «n'y a pas de département consacré aux arts du spectacle vivant». C'est le parcours académique de Véronique Nankoo depuis plus d'un an à l'université de Maurice (UoM).

Titre de la thèse : Le spectacle vivant engagé à Maurice, sous la direction de l'Associate Professor Kumari Issur. «Elle me pousse vraiment dans mes retranchements. C'est très positif.» Fin mars 2023, l'UoM a inauguré un Theatre, Film and Performing Arts Lab. Véronique Nankoo est parmi les chercheurs font exister ce laboratoire.«Si on veut que les artistes aient des formations diplômantes, il faut prodiguer un enseignement universitaire.»

«Je n'ai jamais eu l'ambition de faire un doctorat», dit-elle. C'est en évoluant dans ce créneau «fou», qu'elle décide de se lancer. «Si on a importé le slam qui est tellement vivant ici, pourquoi laisser mourir notre culture locale ? Non, le conte n'est pas mort à Maurice. Il reste encore des boutures.» Qu'elle compte planter dans le terreau fertile des slameurs? La démarche du doctorat est «de revenir aux racines mais aussi d'ouvrir la voie à d'autres personnes».

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Le spectacle engagé* «élimine le lyrique, par exemple»*. Pour se concentrer sur le conte qui est «le début d'une forme de représentation consciente face à un public». Contrairement à «l'esclavé qui raconte une histoire, mais qui n'est pas conscient d'être en train de faire un spectacle». C'est aussi une forme d'expression où «c'est le corps d'abord qui parle», comme dans le séga. «Dans le Code Noir, l'esclave est un bien meuble, le fait même d'utiliser le corps est un début de résistance.

Dans ses recherches, Véronique Nankoo s'appuie sur le conte et le théâtre engagé en langue créole avec accent sur des auteurs comme Henri Favory et Dev Virahsawmy, «qui ont utilisé le théâtre comme le véhicule de ce qu'ils ont à dire». Sans oublier la musique et la danse. «Dans le spectacle vivant, par exemple dans ce que fait Mélanie Pérès, on voit tous ces éléments ensemble.»

La doctorante travaille aussi sur le théâtre de Gaston Valayden, sur les engagements qui ont une portée «pédagogique et politique». Des spectacles dont on sort «en se sentant partie prenante. Le spectateur est touché, pour agir, comme quand on écoute les textes de Kaya, sur lesquels je travaille aussi».

Flashback. Véronique Nankoo, 41 ans enseignante au Saint Mary's College (SMC) se remémore ses années de collégienne. Ces Jours Kaya quand la mort du chanteur en cellule policière a fait flamber la colère populaire.

Habitante de Rose-Hill, elle fréquente le collège Notre Dame à Curepipe. «Ce n'était pas comme aujourd'hui où, dès le matin, on vous dit de rester à la maison à cause des pluies torrentielles.» Avec sa petite soeur qui fréquente le même collège, on «est lâchées dans la nature». Arrivées à la gare Jan Palach, «on voit un bus qui brûle». Alors que leurs parents l'interdisent, elles font de l'auto-stop. Montent dans le caisson d'un tout-terrain et sont déposées «par un monsieur super gentil» à Rose-Hill.

À l'époque, elle fait partie de l'Atelier Pierre Poivre. Croise «un si jeune prof»: Stephan Toussaint, l'actuel ministre des Sports. L'image du bus qui brûle allume son intérêt pour Kaya. «Je viens d'une famille où mon père a des origines plutôt bourgeoises. Mon grand-père était surintendant à la station météo de Vacoas. Alors que ma mère vient de la classe des travailleurs. Mon grand-père était soudeur. J'en ai souffert. Ce n'est que bien plus tard que j'ai vu tout cela comme une chance. J'ai été très tôt consciente dans mon être qu'il y avait des non-dits.» Comme l'utilisation de la langue créole qui n'est pas bien vue dans le cercle familial.

Détail important : le grandpère soudeur était «quelqu'un de très timide, mais quand il racontait des histoires, il se transformait. Il était très populaire auprès des enfants. Je ne me rendais pas compte qu'il était un conteur». Dans son répertoire : Tizan larozwar et sa compagne Tizann. «Dès fois, Tizan était tête en l'air alors que Tizann était courageuse. Je ne sais pas s'il parlait de ma grand-mère.» Il y avait aussi des histoires de daïnes, de lougarou, de lame rouz, ou encore de minis prins, pour faire frissonner l'auditoire. Avec le recul, l'enseignante a un regain de tendresse pour ce grand-père qui a «arrêté l'école en Standard II.

Ma grand-mère avait continué jusqu'à la petite bourse mais c'est sa soeur cadette qui a poursuivi sa scolarité». Une grand-mère qui racontait elle aussi des histoires de surnaturel, de nam kouti-kouti. Au cours de ses recherches, Véronique Nankoo est tombée sur «nam kouti-kouti, un petit garçon qui s'est transformé, chez Charles Baissac».

À 14 ans, Véronique Nankoo perd sa mère.* «Les histoires m'ont aidée à tenir.»* Tenir contre les injonctions de la société qui n'encouragent pas une fille à poursuivre ses études mais à fonder un foyer. Après le collège, elle travaille pendant un an et demi pour payer les frais de scolarité alors en vigueur à l'université de Maurice. «Rs 12 000 la première année, c'était énorme. Mon père m'aidait pour le transport et les livres.»

Pour la maîtrise à l'université de Cergy-Pontoise en France, en 2002-2003, Véronique Nankoo peut compter sur une bourse partielle. «À côté, j'ai bien bossé. J'ai travaillé dans un atelier de menuiserie industrielle.» Coupant du bois, faisant de la manutention, «c'était répétitif mais ça payait mieux qu'hôtesse d'accueil».

Depuis 18 ans, elle est enseignante au SMC. «J'ai fait de très belles rencontres artistiques dans ce collège.» En 2007, elle écrit et monte une pièce. Parmi les élèves qui y participent, elle cite avec fierté Edeen Bhugeloo et Guillaume Silavant qu'elle va voir quand ils sont sur scène.

Véronique Nankoo rencontre Yannick Jaulin à l'Institut Français de Maurice. Un conteur nommé aux Molières en 2020. Elle se souvient: «À ce moment-là, je ne sais pas que le conte c'est du spectacle vivant en lui-même, une discipline qui existe en dehors du théâtre.» Que c'est tellement plus que «rakont zistwar pou fer zanfan dormi». Grâce à cette rencontre, «je me suis trouvée».

Sur sa carte de visite, après son nom, on lit «Conteuse». «Maintenant j'assume vraiment.» En réalité, cela fait plus d'une décennie qu'elle «assume». Depuis 2013, l'année où elle est sélectionnée pour les Jeux de la Francophonie. «Le conte c'est ma culture ancestrale, elle est en voie de disparition. Contrairement à la situation en France où le conte est vivant, où il est transmis par les intermittents du spectacle, au-delà d'être payés pour ce qu'ils font, préservent ce patrimoine immatériel.»

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