Sénégal: Multiples réactions au lendemain du report de la présidentielle au 15 décembre 2024

Après l'évacuation par les gendarmes des députés de l'opposition de l'hémicycle, l'Assemblée nationale a adopté le 5 février la proposition de loi de reporter la présidentielle au 15 décembre 2024 et de laisser au pouvoir le président sortant jusqu'à l'entrée en fonction d'un nouveau chef de l'État. Les réactions se multiplient au lendemain de ce vote contesté. Détails.

Au Sénégal, la nouvelle date de l'élection présidentielle a été votée dans la soirée du 5 février au Parlement : ce sera le 15 décembre 2024. Le projet de loi prévoit aussi que le président du pays Macky Sall reste dans ses fonctions jusqu'à ce que son successeur soit élu. Un vote contesté alors qu'il s'est fait dans un climat tendu et finalement en l'absence des députés de l'opposition, après de longues heures de résistance.

Durant plus de six heures, les députés de l'opposition ont défilé au pupitre du Parlement pour poser des questions préalables et tenter de faire reporter l'examen de ce texte de loi plein de scories selon eux. Un échec.

Alors, quand vers 20h, le président de l'Assemblée national propose de passer au vote de la loi sans aborder les débats de fond, la cinquantaine de parlementaires de l'opposition se lèvent comme un seul homme et bloquent l'hémicycle. Impossible de poursuivre. Le président refuse d'ouvrir un débat. Au bout d'une heure, les parlementaires de l'opposition entonnent l'hymne national et sont finalement évacués par les gendarmes. Ils n'assistent donc pas au vote de la loi qui s'est fait sans eux, adoptée à une quasi-unanimité du coup : 105 voix pour grâce aux députés du Parti démocratique sénégalais (PDS) de Karim Wade et à la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar (BBY) et 1 seule voix contre. « Un report au forceps » titre le quotidien L'Enquête ce mardi matin.

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Le député d'opposition et candidat à la présidentielle Thierno Alassane Sall s'insurge.

C'est un choc terrible. Aujourd'hui, dans une séance sans débat quasiment, la Constitution vient d'être modifiée à l'effet de prolonger le mandat du président de la République d'une année, alors que l'article 103 de la Constitution dit que les dispositions concernant le mandat ne peuvent être révisées. Et ce qui est plus grave, c'es qu'il ouvre une période de extrêmement difficile pour le Sénégal parce que, à partir du 2 avril, tout est possible. Le pays ne va pas rester stable. Le Président de la République se trompe s'il croit qu'il va pouvoir gérer les pays qui exsangue à coup de répression. Ce n'est pas possible et nous craignons le pire, parce que la limite rouge que nos efforts qui permettaient de redonner l'espoir par une alternance démocratique, cette ligne rouge a été franche.

Thierno Alassane Sall, de la République des valeurs, candidat de l'opposition à la présidentielle

Léa-Lisa Westerhoff Un « spectacle désolant », réagit de son côté le candidat de l'opposition Aly Ngouille Ndiaye. « Une loi passée au forceps », selon ses mots après un décret « illégal ». Il a décidé d'attaquer le décret qui interrompt le processus électoral devant la Cour suprême du Sénégal aujourd'hui et prévoit d'attaquer la loi qui fixe la date des élections et prolonge le mandat de Macky Sall devant le Conseil constitutionnel.

D'abord, c'est un recours contre le décret parce que c'est le décret qui est à l'origine de tout ça, le décret qui abroge le décret qui convoquait le corps électoral. Malheureusement, ce décret n'était pas encore disponible. Le président disait dans son allocution samedi qu'il avait fait un décret, c'est ce décret qu'on n'a vu qu'hier, raison pour laquelle on n'a pas fait le recours. Maintenant que le décret est disponible, nous allons faire le recours aujourd'hui, nous allons faire le recours contre le décret, parce que le président n'a pas le droit, ni constitutionnel, ni légal, d'arrêter le processus électoral par un décret. La Constitution sénégalaise est claire en ses termes. Nous considérons qu'actuellement, c'est une situation de non-droit, que nous allons attaquer par les voies normales : la Cour suprême pour le décret pour excès de pouvoir et également le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de la loi qui vient d'être votée pour reporter les élections, parce que dans notre Constitution, il n'est pas prévu de modifier le mandat du président de la République. Pratiquement tous les opposants ont attaqué le décret et tous les opposants attaqueront la loi.

Aly Ngouille Ndiaye, candidat de l'opposition

Amélie Tulet Des députés de l'opposition qui prévoient de saisir le Conseil constitutionnel dès ce 7 février, le temps de récupérer le projet de loi.

C'est en revanche un tout autre point de vue du côté de la coalition au pouvoir. Pour Abdou Mbow, député de la coalition BBY, il n'y a pas de violation de la Constitution mais plutôt une dérogation temporaire.

Les députés, dans leur majorité, ont décidé d'organiser les élections le 15 décembre, c'est-à-dire faire un réaménagement temporel, je le dis bien circonstanciel, de l'article 31, parce que l'article 27 qui parle de la durée du mandat du président de la République n'a pas été touché. L'article 103 alinéa 7 qui parle de nos révisions et nos prolongations du mandat du président n'a n'a pas été touché, ce qui fait que la dérogation à l'article 31, c'est une séquence temporelle qui disparaîtra le lendemain de l'élection présidentielle du 15 décembre 2024, parce que aussi, on a voulu ne pas sortir de l'année électorale pour que les gens comprennent que ce sont des questions de temps pour organiser une élection transparente, libre, démocratique et inclusive.

Abdou Mbow, président du groupe parlementaire de la coalition au pouvoir

Léa-Lisa Westerhoff Ce matin, Dakar s'est donc réveillé avec une nouvelle date pour la présidentielle. La capitale est calme depuis ce mardi matin, avec l'Internet mobile toujours coupé et des rues globalement quadrillées par les forces de l'ordre. Sur tous les axes stratégiques, les camions de gendarmes sont visibles. Beaucoup d'écoles sont fermées et la circulation des bus réduite. Beaucoup semblent déjà résignés.

Mais la contestation s'organise et notamment du côté de la société civile : les Sénégalais sont invités à porter un brassard rouge en signe de contestation et à faire usage de klaxons, de sifflets et de casseroles dès ce soir et demain entre 20h et 20h30, vu qu'il n'est pas possible de manifester.

Un appel à la grève générale est en outre lancé pour jeudi 8. Dans un communiqué, la Coalition des confédérations syndicales sénégalaises s'inquiète d'une crise politique sans précédent et de ce report qui « sape les fondements de la démocratie » et appelle à la tenue d'une élection présidentielle.

Les syndicats enseignants, eux aussi, condamnent et mettent en garde contre les conséquences de ce report avec l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar toujours fermée...

Enfin, les candidats de l'opposition devaient se réunir ce matin pour parler de la suite : les recours devant la Cour suprême et le Conseil constitutionnel et l'organisation de la mobilisation.

Au Sénégal, la mobilisation de la société civile se met en place pour s'opposer au report de l'élection présidentielle et au fait que le Président Macky Sall reste au pouvoir jusqu'au scrutin annoncé pour le 15 décembre prochain.

Le chanteur Youssou N'Dour a par exemple indiqué « s'opposer au report de l'élection » : « Nos rendez-vous démocratiques s'imposent à nous tous et le peuple souverain sera le dernier juge. »

Une tribune a également été diffusée. Elle vise directement le chef de l'État.

« Restaurer la république », c'est le titre de ce texte publié par des universitaires de tout le Sénégal et de la diaspora, notamment des juristes renommés. En s'appuyant sur les textes de droits, constitution et lois, les signataires estiment que Macky Sall a mis en place « un plan de liquidation de la démocratie », que sa décision de stopper le processus électoral, « viole littéralement plusieurs dispositions constitutionnelles », que la Constitution prévoit justement des voies de résolution qui ne peuvent pas s'accommoder « de l'attitude despotique du président Macky Sall ». Les juristes signataires de cette tribune estiment ainsi que le président a notamment piétiné les articles 27 et 103 de la Constitution qui interdisent au président de faire plus de deux mandats et de modifier la durée de ces mandats. Ces universitaires ajoutent : « Il est inadmissible de vouloir, pour le bénéfice d'un homme, d'un parti, d'un groupe de courtisans d'une autre époque, compromettre l'avenir d'une nation. » Dans la conclusion de sa tribune, ce collectif appelle « les Sénégalais à s'ériger contre cette forfaiture, à faire rétablir le droit par le Conseil constitutionnel et à restaurer la République. »

Le chercheur et écrivain Felwine Sarr, signataire de cette tribune, affirme, au micro de Guillaume Thibault : « Le président a prétendu qu'il y avait une crise institutionnelle, un différend entre deux institutions, qu'il arbitre en reportant les élections, ce qui n'est pas vrai, c'est lui-même qui crée la crise : il y a une crise interne dans son parti, avec des problèmes de légitimité du candidat qu'ils ont choisi, avec la crainte de perdre les élections. Et il reporte cette crise interne sur tout le pays. Hier, on a vu les conditions dans lesquelles le vote a été réalisé à l'Assemblée nationale, c'est absolument inacceptable. On se devait au moins d'éclairer le réel, de rétablir des vérités et de montrer en quoi juridiquement, constitutionnellement, il n'a pas le droit de faire ce qu'il a fait. »

Il ajoute : « Il y a un double-sentiment : une profonde peine, mais en même temps un sentiment de responsabilité, nous ne devons pas croiser les bras et nous lamenter, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir individuellement et collectivement pour que ce pays redevienne un espace où il y a des règles du vivre-ensemble qui sont respectées, parce que c'est un coup de force, en fait, et l'idée, c'est de ne pas accepter que la gouvernementalité du Sénégal soit régie par la force. Ce pays, on le lui a confié en paix, avec des institutions qui fonctionnaient, [Macky Sall] doit nous le rendre en paix. Il nous installe dans une crise dont on ne sait pas quand et comment on va en sortir, et ça, c'est sa responsabilité devant l'Histoire, et nous, nous ne devons pas laisser faire. »

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