Ile Maurice: «Que la météo se soit trompée ou pas, il y aurait eu la même quantité d'eau dans la capitale»

La circonscription n°2 (Port-Louis Sud - Port-Louis Centre) a été l'une des plus touchées par les inondations du 15 janvier. Le Dr Farhad Aumeer, député de la circonscription, est descendu sur le terrain dès le début. Il revient sur le calvaire que vivent ses mandants depuis...

Quel a été votre constat de la situation après les inondations et le passage de Belal ?

Le 15 janvier est un de ces jours qui m'a marqué, tout comme après les inondations de 2013 et 2009. Mais en pire. C'était un tsunami inversé. L'eau a déferlé de la terre vers la mer, emportant tout sur son passage. La capitale a été envahie par les eaux boueuses, torrentielles, débordantes, rageuses et dévastatrices. J'utilise tous ces qualificatifs car j'ai fait un constat de visu. C'était l'apocalypse. Plusieurs artères de la capitale, dont plusieurs tombent dans ma circonscription, ont été recouvertes. Je vous parle de la rue La Poudrière, La Chaussée, la rue Labourdonnais, les ruelles qui partent de la rue Madame, de Tranquebar au ruisseau du Pouce, Vallée-Pitot et le ruisseau de la Paix. Si on a une once d'humanisme, ces scènes ne devraient pas nous laisser indifférents. La cuisine, les chambres à coucher, les toilettes, la nourriture, les matelas, les meubles... Tout était ensemble. Ils ne savaient pas par où commencer à déblayer. Ne parlons pas du PortLouis Waterfront, tout le monde a vu les photos de ce qui s'est passé.

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Vous pensez aussi que c'est la faute de la météo ?

Soyons sérieux. Tout d'abord, il faut savoir que la sécurité des citadins et de ceux qui viennent travailler à Port-Louis doit primer. Mais ce jour-là, cela a été pris à la légère. Est-ce que je fais confiance à la météo ? Non. Mais pas à cause du 15 janvier, mais ce qui s'est passé après. On prédit des pluies, on a beau temps. On maintient la classe II pendant des jours alors que les risques sont minimes. Les écoles sont fermées pour cause de soleil. C'est devenu une farce.

Maintenant, venons-en à votre question. La météo a pour rôle de prédire le temps, si on aura des cyclones, de la pluie, des averses torrentielles ou du beau temps. Mais que la météo se trompe ou pas, il y aurait la même quantité d'eau dans la capitale ! Donc, ce qui s'est passé est directement la faute de ceux qui gèrent les caisses du gouvernement. Ils n'ont tiré aucunes leçons de 2013. Ce gouvernement a eu dix ans pour changer la situation, il n'a absolument rien fait. Nous avons un énorme problème d'évacuation d'eau et de drains. La Land Drainage Authority (LDA) a failli à sa tâche, et j'espère que tous les Mauriciens, y compris ceux qui étaient à Port-Louis ce jour-là, se rendent compte de comment les fonds de la LDA sont gérés. Il ne faut pas oublier qu'il y a eu mort d'homme. Il ne faut pas oublier qu'en 2009, Navin Ramgoolam avait instauré un Fact Finding Committee suite aux inondations du cyclone Lola en 2009 et qu'en 2013, il y avait une enquête judiciaire. On attend un sursaut d'orgueil du Premier ministre pour qu'il en fasse de même cette fois-ci.

Donc, c'était évitable ?

J'ai posé des questions au Parlement sur l'état du ruisseau du Pouce à deux reprises. J'ai demandé la construction d'un mur en béton armé. J'ai demandé le drainage du ruisseau. J'ai demandé qu'il soit creusé plus profondément. J'ai demandé le nettoyage et d'enlever les débris. Si cela avait été fait, toute cette eau n'aurait pas débordé dans la capitale. Mais il n'y a pas que moi. En 2015, nous avons pris connaissance du rapport de la magistrate sur les inondations de mars 2013, et il y avait pas mal de recommandations. Rien n'a été fait, évidemment.

Puis, il ne faut pas être expert en inondation pour comprendre la situation. Il y a trois sources d'eau. Tout d'abord, il y a l'eau de Marie-Reine-de-la-Paix, qui part du Ward IV jusqu'au ruisseau du Pouce. Puis, il y a le ruisseau du Pouce, qui part de la montagne jusqu'au Caudan. Là, il y a un autre cours d'eau, toujours du ruisseau du Pouce, qui descend le long de la rue La Poudrière jusqu'à la mer. Et il y a le ruisseau la Paix, qui part de la montagne, traverse Vallée-Pitot et PlaineVerte. On sait que l'eau descend de ces canaux. Lorsque je suis allé sur le terrain, j'ai lu que les drains de Marie-Reine-de-la-Paix n'ont pas été nettoyés. Évidemment que l'eau va déborder ! Le ruisseau du Pouce est dans un état lamentable, tout comme celui de la Paix. Des maisons, commerces, lieux de cultes ont été endommagés uniquement parce que ce problème a été pris à la légère.

Trois semaines après, quelle est la situation ? J'ai des mandants qui «pe trasé». Prenons l'exemple de cette famille de Tranquebar. Le membre gagne-pain, pour avoir un minimum de confort, a acheté un four à micro-ondes, une moto et une télé à crédit. Il paye Rs 9 000 par mois pour que sa famille vive bien. Aujourd'hui, il continue à payer, même s'il n'a plus les objets. Je fais un appel au ministre des Finances. Payer pour les voitures est une bonne chose, mais il ne faut pas oublier ceux au bas de l'échelle.

Et ne venez pas me dire qu'il y a déjà de l'aide. J'ai d'ailleurs informé le commissaire de police, à travers son secrétariat, du problème que ces gens ont au poste de police de Pope Hennessy. Sur place, les policiers sont réticents à prendre leurs doléances, ils sont traités comme des «roder bout». Mes mandants me l'ont raconté eux-mêmes. Évidemment, il n'y a pas qu'eux. On a vu les habitants de Riche-Mare, de Cotteau-Raffin, de Mare d'Albert entre autres dans la même situation. Est-ce qu'il y a eu un constat des lieux, d'ailleurs ? Ou le gouvernement attend que le public et l'opposition mettent des photos sur Facebook pour prendre connaissance de la situation ? Il est temps de faire preuve de compassion.

Revenons à Port-Louis. Cela aurait été différent si ce que vous aviez préconisé avait été mis en oeuvre ?

Définitivement. J'ai envoyé des lettres, j'ai parlé aux ministres concernés, mais rien n'a été fait. Est-ce "red tape" qui bloque ? Mais on a vu que pendant le confinement, cela n'a pas été un problème lorsqu'il a fallu commander le Molnupiravir à travers la procédure d'urgence et le prix est passé de Rs 7 à Rs 79. Les autorités ne peuvent pas faire pareil, mais avec de la transparence ? À quel point est-ce compliqué d'avoir quatre ou cinq JCB pour fouiller le ruisseau du Pouce de deux mètres de plus ? Cela aurait diminué l'eau qui a inondé la capitale. Il existe aussi d'autres solutions préconisées par les experts en matière de changement climatique depuis des années, et personne ne les écoute.

Et ne nous arrêtons pas aux infrastructures. Je suis médecin, j'avais dit sur ma page, dès le début, que cette situation était propice aux épidémies. J'ai demandé au ministère de la Santé de prendre des précautions et de commencer la prévention. Si cela avait été fait, nous n'aurions pas et tant de cas de dengue. D'ailleurs, je suis passé à Tranquebar aujourd'hui (NdlR : mercredi), et la fumigation n'avait toujours pas été faite.

Est-ce que la capitale est prête à faire face à une deuxième averse similaire ?

Nous savons où sont les cours d'eau à risque. Mettre la police aux encolures ne sert absolument à rien. Il faut dégager l'entrée et la sortie de l'eau. On nous a parlé de drains pendant deux budgets. Montrez-moi où est-ce qu'il y a des travaux d'envergure dans la capitale. Là, vous avez annoncé vous-même (NdlR : l'express du 1er février) que des drains sont construits à la rue Raoul Rivet pour un coût de Rs 353 millions. Pourquoi ? Est-ce qu'il y a eu une étude de faisabilité ? Est-ce que ce contracteur a déjà fait des projets d'une telle envergure ? On n'en sait rien. Il est évident que ce sera une catastrophe si on a de nouvelles averses.

Dernière question. Pravind Jugnauth a déclaré que ce ne serait pas la fin du monde s'il n'est plus Premier ministre...

Je dirais que c'est quelqu'un qui comprend très bien la politique.

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