Afrique Centrale: Comment la gestion du patron de la CEEAC a plongé cette organisation dans la crise

Décisions autoritaires et illisibles, tensions avec ses agents : le management de Gilberto da Piedade Verissimo au sein de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC) est contesté. L'Angolais, président de la commission de la CEEAC, est largement critiqué depuis sa prise de poste, en 2020. Des tensions internes avec, en toile de fond, un bras de fer entre le Gabon et l'Angola.

« Verissimo est vomi. Il guette la moindre opportunité pour créer des problèmes. » Propos peu diplomatiques d'un observateur à Libreville au sujet du président de la commission de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), Gilberto da Piedade Verissimo.

Il faut dire que depuis quelques années l'ambiance s'est passablement dégradée au sein de l'organisation sous-régionale. Une situation qui a pourri peu à peu, avec des premières frictions dès la prise de fonction du diplomate angolais en septembre 2020.

Certains sont en effet choqués par le management brutal de l'ancien général de l'armée angolaise. À peine arrivé, le nouveau président veut imposer sa marque et lance une remise à plat de tous les contrats de travail. Un audit interne est réalisé. Mais, selon un agent, « seuls lui et le secrétaire administratif l'ont vu. Des membres du personnel ont été déclassés. D'autres ont perdu leurs droits acquis. Des salaires ont été réduits de 5 à 15%. C'est une atteinte au droit des fonctionnaires », s'insurge un responsable touché par la réforme.

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Quant au recrutement, plusieurs sources s'interrogent sur certaines pratiques et pointent un manque de transparence. « Des textes ont été contournés. Des personnes ont été embauchées avec des critères subjectifs, sans appels à candidature ni respect des procédures », indique un responsable administratif.

Étendre son pouvoir

Paradoxalement, c'est l'inaction de Gilberto da Piedade Verissimo qui lui est reprochée dans d'autres dossiers, notamment celui de la réforme de l'institution. Un projet lancé dès 2015 nécessitant un nouveau cadre institutionnel dont l'adoption peine sous son mandat. « On s'est retrouvés avec une difficulté majeure, celle d'un vide juridique. Il a par exemple refusé de faire élaborer le règlement intérieur », confie une source haut placée. Un texte toujours pas adopté à ce jour.

Des manques qui permettraient au nouveau président d'étendre son pouvoir sur l'organisation. C'est le président Verissimo qui, par exemple, déciderait des projets dans les différents départements. « Il a volontairement choisi de ne pas combler les lacunes réglementaires, pour exercer un contrôle total. Les commissaires ne sont plus autonomes », estime un responsable de la Commission.

La gestion de l'organisation est ainsi décrite comme autoritaire mais également solitaire. L'Angolais se serait ainsi entouré d'un petit groupe de collaborateurs de confiance. Ainsi des tensions sont apparues avec la nomination d'un secrétaire administratif, Alberto Cassonga Cabongo, angolais également. Tous les services administratifs et financiers lui sont rattachés, et il ne répondrait qu'à l'autorité du président qui en a fait une sorte de « bras droit ». « Cela lui permet, là encore, de garder le contrôle. La vice-présidente et les commissaires sont traités comme des assistants. Les décisions ne sont plus prises en groupe. Il ne réunit même plus le collège des commissaires », indique un cadre.

Ces épisodes auraient, au fil du temps, passablement dégradé l'ambiance de travail. Inquiets, les employés de la CEEAC ont alors envoyé à Gilberto da Piedade Verissimo un mémorendum. Dans ce document du 5 avril 2022, dont RFI a pu lire des extraits, ils se disent « surpris et très préoccupés de la manière discriminatoire et parfois arbitraire dont certains textes sont mis en application. Cette situation créé un malaise et un climat de travail délétère », peut-on lire.

Puis, un élément de taille vient aggraver la crise : le coup d'État du 30 août 2023 à Libreville. La tension interne à la CEEAC prend alors une dimension internationale. Réunie le 4 septembre en Guinée équatoriale, l'organisation décide de suspendre le Gabon, et de déménager temporairement son siège de Libreville à Malabo.

Conflit Gabon-Angola

Un bras de fer Angola-Gabon s'engage alors. L'ambassadeur angolais à Libreville refuse d'abord d'afficher le portrait du général Brice Oligui Nguema, nouvel homme fort du pays. En représailles, les autorités gabonaises n'envoient aucun officiel aux cérémonies de l'indépendance de l'Angola, le 11 novembre.

De son côté, Gilberto da Piedade Verissimo décide d'accélérer le départ du siège de la CEEAC. Le 15 novembre, il commence à mettre en place les conditions de la délocalisation. Le 23, il envoie donc aux employés, une liste du personnel essentiel censé partir. Ce courrier préoccupe fortement les agents. Au point que, courant novembre, ils lui envoient une lettre officielle.

Dans ce document, obtenu par RFI, cinq représentants du personnel font part de leur inquiétude concernant la méthode de M. Verissimo pour enclencher le départ. Pourquoi les agents n'ont pas été notifiés de cette décision ? Sur quels critères le personnel essentiel a été choisi ? Quid du maintien de leur statut, des frais et de la scolarisation des enfants ? Des précisions que Gilberto da Piedade Verissimo n'a pas données.

Cette délocalisation à venir cristallise les tensions et le climat devient de plus en plus exécrable. Le 28 novembre, la contestation gagne le haut de l'organigramme, car c'est au tour des cinq commissaires de l'organisation d'écrire à Gilberto da Piedade Verissimo. Dans cette lettre que RFI a pu se procurer, ils reprochent le flou dans lequel leur supérieur les maintiendrait. Ils « déplorent de ne pas avoir été associés » au projet, de ne « pas avoir accès à la décision signée ». Les commissaires s'inquiètent ainsi du coût financier d'un tel déménagement, du statut du personnel, et au final « du risque d'impact négatif sur la performance du personnel ». Déjà, ils ont noté la « démobilisation » des agents. Pour conclure, les commissaires demandent une réunion avec leur patron, pour le « maintien d'un climat apaisé ».

Mais cette rencontre n'aura pas lieu, d'autant que l'Angolais semble briller par son absence à Libreville. « Il ne fait que voyager. Il n'est jamais au bureau. Il va directement chez les États-membres. Il court-circuite le comité des ambassadeurs et les commissaires. Il ne les convoque jamais, ne les consulte pas », confie un de ses collaborateurs.

Lanceurs d'alerte

Mais la contestation exprimée par courriers au style diplomatique change de ton. Une lettre anonyme au caractère beaucoup plus frontal est diffusée. Ce texte, signé par des « lanceurs d'alerte » et obtenu par RFI, dénonce dérives, violations des textes, interprétations biaisées des principes, acharnement contre certains employés. Bref, le document enfonce Gilberto da Piedade Verissimo. Le diplomate est accusé de gérer la commission « sans partage », de prendre des décisions « sans consultation », de « manipuler » les commissaires, de réaliser des recrutements « arbitraires, illégaux et clientélistes ». Et de dénoncer une « gestion désastreuse du personnel ».

Cette fois, les critiques s'étendent à des questions d'argent. Les lanceurs d'alerte évoquent une « gouvernance entachée de graves irrégularités », avec une absence de transparence et des risques de détournements de fonds. En conclusion, les dénonciateurs demandent un audit administratif, institutionnel et financier urgents.

Dans le fond, beaucoup reprochent à Gilberto da Piedade Verissimo de ne pas travailler pour la CEEAC et ses 11 États-membres, mais plutôt pour son pays, l'Angola. « Il applique la politique de Luanda qui tente d'imposer ses décisions à l'organisation. Lui-même se comporte comme un chef d'État en ne rendant compte de ses décisions à aucune de nos instances », confie un haut responsable de la commission

Coup de théâtre

Malgré les alertes, le diplomate poursuit le projet de délocalisation. Lui-même laisse sa résidence du 1er arrondissement et déménage dans le centre de Libreville. Certains de ses plus proches collaborateurs sont envoyés à Malabo en prévision du déménagement.

Une opération poussée par l'Angola. Le 15 décembre, lors d'un nouveau sommet de la CEEAC à Djibloho plusieurs observateurs affirment que le chef de l'État angolais, Joao Lourenço, a fait un passage éclair en Guinée équatoriale, simplement pour voter en faveur du maintien des sanctions contre le Gabon. Sauf que, coup de théâtre, les États-membres annulent le projet de déménagement et maintiennent le siège à Libreville.

Gilberto da Piedade Verissimo fait alors revenir en catastrophe son assistante administrative, son garde du corps et les installe dans sa résidence.

C'est dans ce contexte qu'un nouvel événement complique encore la donne : une intrusion à la résidence du président de la commission, le 17 janvier. Cinq personnes, dont certaines en treillis et équipées d'AK47, seraient entrées dans sa maison. Interrogé, Gilberto da Piedade Verissimo a envoyé à RFI une vingtaine de photos montrant quelques serrures et portes cassées, des valises ouvertes, des affaires éparpillées par terre.

Le lendemain, l'affaire qui aurait pu restée privée devient diplomatique. Le diplomate saisit le gouvernement gabonais par une note verbale, obtenue par RFI. Il y dénonce « de graves incidents de sécurité », une « effraction », du « vandalisme » des « menaces » contre lui. Il demande au Gabon de garantir sa sécurité et son immunité diplomatique.

Le gouvernement angolais convoque le chargé d'affaires gabonais pour faire part de son « profond mécontentement ». Côté gabonais, cette séquence passe très mal. « M. Verissimo se comporte comme s'il était ambassadeur. Pendant plusieurs mois, l'agence immobilière lui a demandé de rendre les clés, mais ça n'a jamais été fait. Depuis qu'il vit à Libreville, il a au moins résidé dans plus de cinq résidences, et les ruptures de contrats ont souvent été houleuses », confie une source proche de l'enquête.

Mystère

Fin janvier, la diplomatie gabonaise contre-attaque et révèle des éléments de l'enquête. Les intrus étaient en fait les propriétaires de la maison avec leurs aides de camp. M. Verissimo avait résilié son bail le 30 novembre et devait libérer la résidence le 5 janvier. Officiellement, l'Angolais n'était donc plus locataire.

Ce dernier résidait dans un appartement du centre-ville. « Cette nouvelle résidence n'avait pas été signalée aux Affaires étrangères », ce qui serait contraire aux conventions internationales, d'après les autorités gabonaises.

Cette séquence comporte encore sa part de mystère et un responsable de la CEEAC évoque une manipulation. Il soupçonne Gilberto da Piedade Verissimo d'avoir envoyé sa note verbale afin de monter l'affaire en épingle. « Il veut utiliser cet incident privé pour faire croire qu'il y a de l'insécurité et relancer la question de la délocalisation », estime une source interne. « Il sent qu'il n'est plus bienvenu au Gabon et cherche à se faire exfiltrer du pays », interprète un observateur à Libreville.

Joint par RFI pour répondre aux critiques, l'Angolais n'a pas accordé d'interview. Via WhatsApp, Gilberto da Piedade Verissimo a néanmoins justifié sa gestion de la commission : « Vous savez que la CEEAC n'existait pas avant mon arrivée. Pensez-vous qu'un mauvais ménagement pourrait faire renaître une organisation qui était comme morte ? N'est-ce pas le contraire ? Essayer d'exagérer sur les situations pour la reconduire là où elle était pour bénéficier la corruption ? »

Aujourd'hui, à la CEEAC, l'ambiance reste détestable. Angola et Gabon n'ont toujours pas calmé le jeu. Joao Lourenço reste le seul chef d'État de la sous-région que le président Oligui Nguema n'a pas encore rencontré. « À mon avis, Verissimo va finir par être remplacé », analyse un observateur. Le diplomate angolais pourrait ainsi servir de fusible aux deux États voisins.

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