Nous devrions nous atteler à rechercher des solutions durables qui agissent directement sur les capacités de production et sur l'efficacité des facteurs de production.
La Tunisie prête à impliquer la Banque centrale pour contenir une partie de son déficit budgétaire de l'année 2024 à travers le financement du trésor. Quelle est votre lecture à propos de cette décision?
Il est crucial de souligner que la Tunisie traverse une crise économique profonde, exacerbée depuis la pandémie Covid-19. La récession de -8,6 % en 2020 n'a pas été surmontée jusqu'à la fin de 2023. La manifestation la plus alarmante de cette crise est la faible croissance qui prive l'Etat de ressources fiscales et non-fiscales significatives, à hauteur de 1.000 DT pour chaque point de croissance perdu. En parallèle, les dépenses de l'Etat s'alourdissent, principalement à cause des retards dans les réformes des politiques économiques, et de l'alourdissement de la mission sociale de l'Etat face à une population de plus en plus vulnérable.
Le déficit budgétaire, qui ne devrait pas excéder 3 % du PIB, s'est élevé en moyenne à 7,5 % durant l'après-Covid 19, entraînant un recours accru à l'endettement extérieur et intérieur, faute de ressources propres. En 2024, si les prévisions de la loi de finances se concrétisent, les besoins d'emprunt atteindront un montant record de 28.708 MDT, avec un service de la dette s'élevant à 24.901 MDT.
Dans ce contexte difficile, exacerbé par l'impossibilité d'accéder aux marchés financiers internationaux, la Tunisie a néanmoins réussi à honorer ses engagements de remboursement, sans aucun incident de paiement. L'appel à la BCT pour financer en urgence une partie des besoins de l'Etat est venu parce que les négociations avec les bailleurs de fonds peuvent tarder au-delà de l'échéance d'un emprunt obligataire international arrivant à maturité le 17 février 2024. Cette opération présente des risques économiques, bien qu'elle soit envisagée comme mesure exceptionnelle. En effet, elle suscite des inquiétudes quant à ses effets inflationnistes dans un contexte de croissance atone.
Le gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abbasi, a averti récemment que le financement direct du Trésor public par la BCT entraînerait une diminution des réserves de change et affecterait également le taux de change. Qu'en pensez-vous ?
Le financement du Trésor sera effectué comme annoncé à travers l'utilisation des réserves en devises. A la date du 2 février 2024, le pays dispose selon la Banque centrale de Tunisie de réserves s'élevant à 2.5761 MDT, garantissant ainsi 117 jours d'importation. Le remboursement, prévu pour fin février, d'un montant de 3.000 MDT, diminuerait les réserves de devises de 14 jours d'importation et pourrait, de façon plausible, mener à une dévaluation du dinar tunisien dans les mois suivants. Pour les 4.000 MDT restants, il serait prudent de différer leur paiement autant que possible au cours de l'année, en attendant une reconstitution des réserves de devises. En l'absence de changement dans la politique de la Banque centrale et afin d'éviter la reprise de l'inflation vers la hausse, nous pourrions assister à une hausse du taux directeur, ce qui freinerait l'investissement privé et la croissance économique. Cette approche de facilité pourrait se révéler coûteuse pour l'économie tunisienne. Nous devrions nous atteler à rechercher des solutions durables qui agissent directement sur les capacités de production et sur l'efficacité des facteurs de production. Il est essentiel de stimuler la croissance par une libéralisation économique et par un soutien à l'initiative privée, en éliminant les barrières qui entravent l'accès des investisseurs. Compter sur les réserves en devises comme bouée de sauvetage pourrait s'avérer périlleux si les conditions sur les marchés internationaux venaient à se détériorer.
Quelle est votre perception sur le texte de loi présenté à une plénière de l'ARP prévoyant d'accorder des facilités au Trésor public d'une valeur de 7 milliards de dinars ?
Face aux pressions budgétaires, notamment pour le remboursement de la dette extérieure, il est attendu que l'ARP approuve cette facilité exceptionnelle pour le Trésor. Cela prendra la forme d'un crédit sans intérêt sur 10 ans, incluant une période de grâce de 3 ans. Bien que de telles mesures exceptionnelles aient été déjà mises en oeuvre en 2020, avec un montant de 2.800 MDT, nous espérons que l'histoire ne se répétera pas, afin d'éviter des conséquences économiques désastreuses. Toutefois, dans le contexte actuel de croissance faible et d'investissement timide, rien ne garantit que cette mesure ne soit pas utilisée, notamment que le 30 janvier 2025 nous devons rembourser un crédit obligataire levé sur le marché financier depuis 2015 et dont le montant est 717 millions d'euros. Ceci bien évidemment à part les autres engagements en matière de crédits bilatéraux et multilatéraux. En tout état de cause, il faut reconnaître que cette situation d'autorisation spéciale de financement direct du déficit budgétaire met en évidence des défis réels pour préserver l'indépendance de la Banque centrale de Tunisie...