Ouganda: Des excuses, mais toujours pas de procès pour l'ex-LRA Kwoyelo

Grace Matsiko est un journaliste qui cumule 26 années d'expérience. Il a couvert les conflits armés en Ouganda, au Sud-Soudan, au Soudan, en République Démocratique du Congo, au Burundi, en République centrafricaine et en Somalie. Il se spécialise dans le journalisme d'investigation, avec un accent sur la sécurité, la défense, la justice et la politique. Il travaille depuis 2006 avec les principaux réseaux d'information internationaux tels que l'Agence France Presse (AFP).

De sa prison de haute sécurité à 300 km de là à Kampala, l'ancien colonel de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), Thomas Kwoyelo, a comparu par vidéo le 19 janvier devant la Division des crimes internationaux. Cette dernière a tenu une nouvelle audience stérile dans une salle d'audience de sa ville natale de Gulu, dans le nord du pays, suivie d'une séance de sensibilisation hors du temps à laquelle notre reporter a assisté.

Comparaissant depuis la prison de haute sécurité de Luzira, dans la capitale Kampala, Thomas Kwoyelo pose un regard inquisiteur sur la salle d'audience à moitié vide située à Gulu, nord de l'Ouganda. Représenté au tribunal par une batterie d'avocats chevronnés, Kwoyelo, bien qu'il ait abandonné l'école primaire en 1992 lorsqu'il a été enlevé par l'Armée de résistance du Seigneur (LRA), porte un costume de businessman trop grand pour lui.

Lors de cette séance du 19 janvier, organisée en milieu de matinée, la greffière adjointe de la Haute Cour, Juliet Hatanga, lit la litanie des chefs d'accusation retenus contre lui. Premier et unique commandant de la LRA à être jugé par un tribunal ougandais, il doit répondre de pas moins de 78 chefs d'accusation, dont meurtre, pillage, traitement cruel, atteinte à la vie, outrage à la dignité humaine, torture, viol, réduction en esclavage, emprisonnement, enlèvement dans l'intention de tuer et vol aggravé.

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Devant la Division des crimes internationaux de l'Ouganda (ICD), un panel de quatre juges entend l'affaire, qui s'éternise sur une durée record de 15 années depuis sa capture en 2008. Les retards de la procédure, difficilement compréhensibles, sont dus à de « multiples facteurs » et à « la nature complexe du procès », a tenté d'expliquer la justice ougandaise.

Les excuses de la sensibilisation

Cette fois-ci, au moins, il s'est passé quelque chose. Après une brève séance d'audience à Gulu, qui n'a pas permis de faire avancer l'affaire, les représentants de la Cour, notamment les juges Susan Okalany et Richard Wabwire Wejuli, se sont rendus à quelque 70 km au nord, dans le cadre d'un programme de sensibilisation visant à rencontrer des victimes de la guerre contre la LRA, d'anciens combattants et des témoins potentiels de la défense. Ils ont visité plusieurs villages, dont celui d'Abera à Pabbo, situé dans le district rural d'Amuru de Kwoyelo et un autre dans un district plus au nord.

Cette campagne rurale est peu peuplée, les maisons éparses, principalement couvertes de chaume, séparées par de petits jardins plantés de maïs, de sorgho, de millet, de bananes, de haricots, de papayes, de manioc, de café et de coton. On y voit peu d'élevage de chèvres ou de vaches, ces dernières étant surtout utilisées pour le labourage. La population locale attribue cette situation aux effets de la guerre menée par la LRA, lorsque des milliers de têtes de bétail ont été volées ou chassées dans le cadre de la politique de la terre brûlée.

Arrivé sur place, la juge Okalany commence par présenter ses excuses : « Je tiens à m'excuser au nom de l'Ouganda, et pas seulement du système judiciaire, pour le retard du procès de Thomas Kwoyelo. C'est une chose particulièrement honteuse pour nous en tant que tribunal. Je ne cherche en aucun cas à le cacher », déclare-t-elle devant une foule attentive. Certains spectateurs essuient à mains nues la sueur due à la chaleur tropicale de l'après-midi. A Abera, des garçons vendent des légumes et des fruits frais à proximité du lieu où la délégation de juges et d'avocats est assise confortablement.

La juge Okalany rappelle certains obstacles ayant conduit aux retards du procès de l'ancien soldat de la LRA. « Il y a quelques explications, comme le fait que Kwoyelo a contesté la loi d'amnistie devant la Cour constitutionnelle pour savoir pourquoi certains de ses supérieurs ont bénéficié de l'amnistie alors que sa demande à lui n'a pas été acceptée. Cela a pris un certain temps avant d'être déterminé. Puis il y a eu la Covid-19, et des problèmes de ressources qui ne peuvent pas être ignorés », déclare la juge Okalany, par l'intermédiaire d'un interprète. « Nous espérons conclure cette affaire vers le milieu de l'année, mais je m'excuse vraiment pour ce retard ; c'est un échec pour notre système judiciaire. »

Citant des témoignages de fonctionnaires de la prison, elle indique à l'assemblée que Kwoyelo a à un moment tenté de « se suicider » en raison des retards de son dossier.

« Mais la bonne nouvelle, c'est que l'affaire est sur le point d'aboutir, le tribunal ayant récemment décidé que Kwoyelo avait des comptes à rendre en confirmant 78 chefs d'accusation sur les 93 qui avaient été retenus contre lui. Ainsi, sous réserve de la disponibilité des ressources, cette affaire devrait être clôturée d'ici le milieu de l'année », promet pour sa part le juge Wabwire, sans parvenir à rassurer.

Exhumations et inhumations retardés

Hatanga, le nouveau greffier, déclare que le procès a retardé l'exhumation et la réinhumation des corps de certaines victimes de la guerre, dont les proches souhaitent quitter les camps de personnes déplacées disséminés dans le nord de l'Ouganda. Le gouvernement a déplacé temporairement des milliers de personnes en 1996 pour les protéger contre les attaques des rebelles. Aujourd'hui, les familles souhaitent que les funérailles de leurs morts se déroulent dans leurs villages d'origine. Hatanga explique que le gouvernement ne pouvait pas autoriser l'exhumation des corps avant la fin du procès de Thomas Kwoyelo, les tombes ayant été qualifiées de « scènes de crime ».

L'avocat principal de Kwoyelo, Caleb Alaka, précise à Justice Info qu'il prévoit de convoquer plus de 50 témoins pour sa défense. « Notre visite ici a pour but d'informer la population de l'avancement de l'affaire et d'obtenir des témoins ou des personnes disposant d'informations essentielles que nous pourrons utiliser pour la défense de Kwoyelo », déclare le pénaliste chevronné.

Les habitants, s'exprimant dans la langue locale Luo, expriment leur inquiétude quant à leur sécurité s'ils venaient témoigner. « En venant témoigner (pour la défense) de Kwoyelo, ne serions-nous pas perçus comme des sympathisants de la LRA ? », demande l'un des habitants âgés qui refuse d'être cité du fait de la sensibilité de sa question.

« Nous préférons rester à l'écart »

« Les gens ne veulent pas être liés de quelque manière que ce soit à cette guerre. De nombreuses familles, dont la mienne, ont été détruites et nous vivons dans le traumatisme », déclare à Justice Info Moses Akena, un oncle de Kwoyelo et l'un des plus hauts fonctionnaires de Pabbo. « Certains d'entre nous ont été arrêtés et détenus pendant longtemps à cause de Kwoyelo. Nous préférons nous tenir à l'écart de l'affaire. » Et d'ajouter que « les stéréotypes et la stigmatisation » ont pris racine dans les communautés en raison de la perception du rôle de Kwoyelo dans la LRA, malgré les appels des chefs communautaires à la réintégration et à l'harmonie entre les anciens combattants de la LRA qui ont renoncé à la rébellion et la population en général.

Dans le district rural de Kwoyelo, la communauté se connecte à travers un canevas de sentiers de village par lesquels on visite les amis et les parents dans ce paysage plutôt idyllique. Le chant des oiseaux étonne et enchante ceux qui visitent pour la première fois cette partie de l'Ouganda où les habitants accueillent tout le monde avec un large mais curieux sourire. Peut-être parce que le procès Thomas Kwoyelo leur paraît hors du temps.

(notre envoyé spécial à Gulu, Ouganda)

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