Pendant que se déroule la plus grande compétition sportive africaine, la Coupe d'Afrique des nations (Can), il se joue une forme inédite de coopération internationale qui pourrait faire date.
Voir des supporters d'un pays totalement acquis à la cause d'un autre pays compétiteur, au point de prolonger cet élan dans la vie quotidienne, laisse croire qu'une voie pourrait s'ouvrir pour écrire une nouvelle page de l'histoire des peuples. Celle des alliances interethniques.
C'est du jamais vu. Ce n'est qu'en Côte d'Ivoire que des journalistes et animateurs de la télévision nationale peuvent s'habiller en maillot d'équipes nationales étrangères, pendant leur temps d'antenne.
Ce n'est qu'en Côte d'Ivoire que des supporters étrangers animent les « tribunes » des différentes émissions radio et télé. Ce n'est qu'en Côte d'Ivoire que le quotidien national, Fraternité Matin, peut consacrer des pages entières, sur plusieurs publications, aux Onze nationaux participant à la 34e édition de la Coupe d'Afrique des nations (Can).
Pour finir sur ces particularités, ce n'est qu'en Côte d'Ivoire que la chanson de l'évènement sportif fédère les trois langues officielles de la Can, avec trois artistes d'horizons différents : le français, l'anglais et l'arabe. C'est la Côte d'Ivoire des exceptions positives. Avec plus de 22% d'étrangers sur son sol, cette 34e Can ne pouvait être que celle de l'hospitalité.
Nous le disions bien avant le début de la compétition, les premiers supporters étaient déjà là. Allusion faite aux fortes communautés burkinabè, malienne, sénégalaise, camerounaise, guinéenne, ghanéenne, marocaine, tunisienne... installées en Côte d'Ivoire depuis des décennies.
Mais, au-delà de tout ceci, il se passe quelque chose d'extraordinaire. Tout commence un jour, une date. Le mercredi 24 janvier 2024. Un lieu, San Pedro, au Sud-Ouest de la Côte d'Ivoire. Un fait, la rencontre Zambie-Maroc, bouclant la phase tournoi de la compétition. Score final un but à zéro pour le Maroc.
La victoire du Maroc qui qualifiait aussi la Côte d'Ivoire est en passe d'être la première ligne d'une nouvelle histoire qui est en train de s'écrire. Celle de l'alliance.
Dans nos traditions, l'alliance interethnique ou la parenté à plaisanterie naît d'un fait historique marquant les peuples impliqués. Elle prend l'allure d'un pacte de non-agression, d'assistance sociale mutuelle et de coopération culturelle.
Ce pacte est sacré. Cela paraît anodin, mais il faut s'y attarder, concernant les peuples marocain et ivoirien. Jamais le football n'a suscité autant d'empathie entre deux peuples. C'est vrai que sur la toile, les vidéos les plus fantaisistes ont circulé.
Les manifestations de reconnaissance de toutes sortes ont alimenté les causeries et les activités des Ivoiriens et des Marocains. D'aucuns diront que c'est passager. Que non. Quelque chose est en train de se passer. Sans qu'on y fasse forcément attention. Prenons quelques exemples en illustration. Le message des pancartes marocaines prenant fait et cause pour les Éléphants, le 24 janvier.
L'arrivée spéciale de supporters marocains, ce même jour, alors que leur l'équipe avait déjà un pied dans les matchs à qualification directe. Le stade Laurent Pokou de San Pedro, glacé par la défaite des Lions de l'Atlas, en huitièmes de finale le 30 janvier. La manifestation de joie des Ivoiriens, à l'obtention du pénalty en faveur du Maroc. Le silence observé sur toute l'étendue du territoire après le match contre l'Afrique du Sud.
Les gestes de sympathie des supporters marocains envers les populations de la ville portuaire. Le salut des Lions de l'Atlas aux Ivoiriens venus les soutenir au stade, à la fin du match, malgré la défaite. Il est clair que l'effet Can passera, mais quelque chose restera désormais entre les populations marocaine et ivoirienne. Quelque chose de plus fort liera dorénavant ces deux peuples.
La victoire des Éléphants contre les Aigles du Mali, samedi dernier, est aussi perçue comme un hommage aux Lions de l'Atlas, tombés au combat.
Au-delà des excellentes relations diplomatiques, ce sont les peuples qui donneront une autre allure aux liens entre les deux pays. Une autre forme de coopération qui part de la base. Lors d'un passage au Maroc, il nous a été donné d'entendre, par des Ivoiriens régulièrement installés, qu'ils font l'objet, avec les ressortissants sénégalais, de considération dans l'administration marocaine.
Il appartient aux deux communautés (marocaine et ivoirienne) de consolider ces acquis et de donner aux dirigeants un autre coup d'accélérateur diplomatique. Surtout que le visa n'existe pas entre les deux pays.
Si le visa existe pourtant entre le Cameroun et la Côte d'Ivoire, les populations, elles, n'ont aucune entrave à se parler. Ce qui avait commencé par des mésententes est devenu aujourd'hui une querelle de foyer.
Les deux populations font vivre l'adage qui dit « qui aime bien, châtie bien ». C'est fréquent de voir Ivoiriens et Camerounais s'appeler « beau ». On peut se souvenir de ce post d'une activiste camerounaise, regrettant cet attachement soudain des communautés marocaine et ivoirienne.
Comme quoi, l'amour et la jalousie sont voisins. Une bonne partie de la population camerounaise s'intéresse à tout ce qui concerne la Côte d'Ivoire et vice versa. Tout ceci représente une autre forme de manifestation de l'alliance à plaisanterie.
La Can 2023, en Côte d'Ivoire, aura permis de voir les relations humaines autrement. Il est dit que le sport rassemble les peuples. En Côte d'Ivoire, pendant la « Can de chez nous », ce concept a évolué. Le sport a uni des peuples.