Tunisie: Affaire du martyr Chokri Belaid - L'étau se resserre de plus en plus autour des commanditaires

8 Février 2024

Le Comité de défense des deux martyrs a démontré que l'alibi avancé par la justice de l'ancien ministre Noureddine Bhiri et par le ministère de l'Intérieur dirigé par Ali Laârayedh en 2013 dans l'affaire de l'assassinat de Belaid ne tenait pas debout . Les forces démocrates et progressistes dérangeaient au moment où certains pays soutenaient l'islam politique en Tunisie.

Chokri Belaîd avait eu vent des menaces d'assassinat qui le visaient. Le ministère de l'Intérieur avec à sa tête à cette époque le dirigeant du parti Ennahdha, Ali Laârayedh, avait à son tour été informé de ce vil projet. De hauts cadres sécuritaires avaient à leur tour reçu plusieurs informations confidentielles autour de l'élimination physique imminente du martyr. Mais, aussi bizarre que cela puisse paraître, rien n'a été fait pour intervenir à temps et éviter l'assassinat de Belaîd. Les commanditaires ont laissé faire les salafistes mais doivent aujourd'hui rendre des comptes. 11 ans après sa mort, et grâce à la ténacité et à la persévérance des membres du comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, la peur a changé de camp après la mise en place d'une commission créée et présidée par la ministre de la Justice en personne, chargée du suivi des dossiers de l'assassinat de Belaïd et de Brahmi.

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Le comité de défense remet tout en cause

Lors d'une conférence organisée hier, mercredi 7 février, par le comité de défense et l'Ordre national des avocats en Tunisie, consacrée aux récents développements dans cette affaire, le bâtonnier Hatem Meziou a rendu un vibrant hommage à l'avocat-martyr Belaïd. Il a, à cet effet, déclaré qu'un progrès a été réalisé 11 ans après dans le cadre de cette affaire qui a impacté la sécurité du pays. Des progrès ont été réalisés dans le cadre de cette affaire en dépit des tentatives du pouvoir politique qui était en place de faire taire les voix libres.

Le bâtonnier a fait état de la séance de plaidoiries tenue ce mardi 6 février avec l'interrogatoire de quatre accusés dans le cadre de la même affaire, tout en émettant le voeu que toute la vérité soit dévoilée autour, notamment, des commanditaires, aussi bien de l'assassinat de Belaïd que de Brahmi, puisqu'il s'agit d'un agenda et d'une politique qui visaient les militants démocrates et progressistes.

Lors de cette conférence, l'avocat Abdennaceur Aouini a déclaré que les zones d'ombre commencent à s'éclaircir dans cette affaire. Il a évoqué l'audition depuis ce mardi 6 février 2024 des accusés et des témoins et a expliqué que c'est le tribunal qui a choisi cette date qui coïncide avec celle de l'assassinat de Belaïd et non le comité de défense. Il ajoute que les salafistes, et selon le dossier de l'affaire, ont perpétré cet assassinat pour déstabiliser le pays et en guise d'acte de vengeance suite à la mort de l'épouse de l'un des éléments terroristes abattue par des sécuritaires lors d'une opération antiterroriste. Mais il s'est avéré qu'aucun jugement n'a été prononcé dans ce cadre. Quelle relation entre Belaïd, l'unité sécuritaire qui a mené le raid et les salafistes qui ont ordonné l'assassinat ? a mis en doute l'avocat en question.

L'affaire de l'organisation a-t-elle un lien avec l'assassinat de Belaïd ?

Abdennaceur Aouini a argumenté la plainte déposée par le comité de défense contre le juge d'instruction Bechir Akremi et pointé certains vices de forme durant l'enquête menée par ce dernier concernant la saisie du véhicule ayant servi à la filature motorisée de Belaïd et à propos de l'audition puis de la libération d'une personne qui constituait pourtant l'un des maillons de la chaîne dans cette grave affaire. Toutefois, depuis 2017 et jusqu'à 2019 aucune plainte déposée à ce titre par le comité de défense n'avait abouti, regrette-t-il.

Fait nouveau aujourd'hui, la majorité des accusés ont pour la première fois enregistré leur présence lors de l'audition de ce mardi 6 février 2024. Les auditions reprendraient vendredi prochain, a informé l'avocat Abdennaceur. Ce dernier ajoute que le dossier de l'organisation secrète a été transféré au pôle judiciaire antiterroriste en 2023 et des accusations ont été adressées dans le cadre des auditions à l'encontre des dirigeants et membres du parti Ennahdha (Mustapha Khedher et Ridha Barouni) et des cadres sécuritaires dont le directeur général des services spéciaux Atef Omrani. L'enquête et les auditions se poursuivent dans le cadre de cette affaire qui a un lien avec le dossier de l'assassinat de Belaïd, d'autant qu'un mandat de dépôt a été émis dans le cadre de cette affaire à l'encontre de Rached Ghannouchi en juin 2023.

Dossier Fethi Dammak, l'autre énigme

L'avocat en question a expliqué que l'autre dossier qui revêt une grande importance est celui de Fethi Dammak. Cette affaire a débuté en février 2012. A cette date, Belaïd avait envoyé une lettre au doyen des avocats dans laquelle il lève le voile sur de réelles menaces de mort qui pèsent sur sa personne.

øÒLe doyen avait à son tour transmis ces informations au ministre de l'Intérieur Ali Laârayedh et lui a demandé d'ouvrir une enquête à ce propos. Mais voilà qu'une semaine après, la réponse fut cinglante. Le verdict des services du ministère de l'Intérieur se passe de tout commentaire. « Ce ne sont là que des prémonitions issues de différends entre Belaïd et le parti Ennahdha, et l'enquête n'a pas révélé l'authenticité de ces informations». Quoi de plus étrange pour des cadres sécuritaires choisis selon leur allégeance au parti Ennahdha plus que pour leur compétence professionnelle en cette période.

Pour revenir à Fethi Dammak, l'avocat a rappelé les enregistrements audio réalisés à l'insu de ce dernier par deux dirigeants du parti Ennahdha à Ben Arous (Ali Ferchichi et Belhassen Nakach) concernant le projet d'assassinat de plusieurs personnes dont des hommes d'affaires et des juges.

Depuis 2012 et jusqu'à cette date, ce dossier n'a pas été clos, commente l'avocat Abdennaceur en dépit du fait que le nom de Chokri Belaid ait été prononcé par l'un de ces deux dirigeants nahdhaouis et non par Fethi Dammak durant l'enregistrement.

Lors de leur audition, ces deux dirigeants du parti Ennahdha avaient présumé que c'était le ministère de l'Intérieur qui leur a donné l'ordre de réaliser cet enregistrement, mais en 2022, ce dernier a réfuté officiellement ces allégations. Selon l'avocat Abdennaceur, l'un des agents du service des renseignements relevant du ministère de l'Intérieur a été arrêté dans le cadre de cette affaire, il s'agit de K.B. qui a déclaré que l'assassinat de Belaid a fait l'objet d'un rapport qu'il a rédigé et transmis à ses supérieurs et que c'était Tahar Boubahri, conseiller au cabinet du ministère de l'Intérieur sous Ali Laârayadh, qui lui a ordonné d'accomplir cette mission.

Toutes ces personnes sont aujourd'hui impliquées dans l'affaire Fethi Dammak. Le comité de défense a pu se procurer une copie de ce rapport signé par le directeur général des services spéciaux Mehrez Zouari (en état d'arrestation). Ce rapport a été ajouté au dossier de l'organisation secrète, rapporte la même source .

Pour résumer cette question: l'agent des renseignements généraux avait rédigé son rapport concernant le projet d'assassinat de Belaid, mais son rapport n'a pas été pris en compte par ses supérieurs sur injonctions, il va sans dire, de leurs supérieurs. Le but était peut-être de fausser la route aux enquêteurs. Le rapport en question a été établi avant l'attaque des unités sécuritaires de lutte antiterroriste qui a provoqué la mort de l'épouse de l'un des éléments terroristes lors d'une opération antiterroriste, ce qui, par conséquent, discrédite la version avancées par les salafistes appartenant au groupe Ansar Echariaa concernant la raison qui les a conduits à prendre la décision d'assassiner Belaïd.

Il existe des ramifications anormales dans l'affaire Fethi Dammak, souligne l'avocat Abdennaceur qui ajoute que l'ancien procureur Bechir Akremi est auditionné aujourd'hui par le pôle judiciaire de lutte antiterrorisme pour son implication présumée dans quatre affaires A la fin de la conférence, Abdennaceur Aouini a évoqué le cas de Kamel Bedoui, l'un des principaux accusés dans l'affaire de l'organisation secrète du parti Ennahdha et ses relations présumées avec Rached Ghannouchi et certains juges.

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