Au Sénégal, c'est la mobilisation générale contre le report de la présidentielle initialement prévue pour le 25 février prochain. Un ajournement décidé par le président Macky Sall et entériné par l'Assemblée nationale au cours d'une session parlementaire houleuse qui a vu l'expulsion manu militari des députés de l'opposition de l'hémicycle. Depuis lors, les actions se multiplient pour faire reculer le chef de l'Etat par rapport à cette décision qui a créé consternation et colère au sein du peuple et qui, des politiques aux religieux en passant par la société civile et les syndicats, suscite de vives réactions.
Au nombre de celles-ci, la mise en garde ferme de la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal au chef de l'Etat contre tout parjure tout en l'invitant à renoncer à son initiative visant à interrompre le processus électoral. Dans la même dynamique, l'archevêque de Dakar s'est prononcé en faveur du respect de la Constitution tout en exprimant sa forte préoccupation. Pendant ce temps, des candidats à la présidentielle sont dans la dynamique de lancer leur campagne et de suivre le calendrier électoral établi tandis que d'autres se sont engagés dans une procédure de contestation de ce report devant la Justice.
Macky Sall gagnerait à être à l'écoute de son peuple
Ce, au moment où la société civile et les syndicats affûtent leurs armes pour entrer aussi dans la danse. C'est dans ce contexte de fortes tensions que l'opposition a appelé, le 8 février dernier, les différentes forces sociales et politiques à se coaliser au sein d'un large front réunissant les candidats admis à la présidentielle, les syndicats, les leaders religieux, pour amener le chef de l'Etat à revoir sa copie. C'est dire si au lendemain de cette décision fortement contestée, c'est la mobilisation tous azimuts au Sénégal.
C'est le signe que même s'il n'est pas candidat à sa propre succession, la décision du chef de l'Etat de différer la présidentielle, est loin de rencontrer l'assentiment de ses compatriotes. Dans ces conditions, on peut nourrir des craintes que le dialogue national inclusif qu'envisage le chef de l'Etat et qui semble être le socle de la relance du processus électoral, ne serve pas à grand-chose si son principe ne bénéficie pas de l'adhésion et de la participation de tous les acteurs.
Toujours est-il qu'avec une opposition qui ne veut rien entendre, des leaders religieux et coutumiers qui appellent au respect de la Constitution, une société civile et des syndicats qui se mettent sur le pied de guerre, tout porte à croire que la crise de confiance entre le président Macky Sall et son peuple, n'est pas loin du point de rupture. La question qui se pose est de savoir si le natif de Fatick saura lire les signes des temps. La question est d'autant plus fondée que même au sein de ses partisans, l'opportunité de cette décision est sujette à caution au point de susciter des défections dans ses rangs.
Et pour ne pas arranger son image au niveau international, une dizaine de candidats à la présidentielle constitués en collectif, ont, à la faveur d'un point de presse tenu le 7 février dernier à Dakar, demandé aux organisations régionales et internationales, de ne plus reconnaître le président Macky Sall comme représentant du Sénégal au-delà du 2 avril, date officielle de la fin de son mandat avant le vote, par l'Assemblée nationale, du report de la présidentielle qui a pour effet induit de le maintenir en poste jusqu'à la prise de fonction de son successeur.
Le seul combat qui vaille pour Macky Sall, c'est de savoir négocier au mieux sa sortie de scène
C'est dire toute la détermination de ses compatriotes à obtenir gain de cause dans ce bras de fer qui les oppose à leur président. Et Macky Sall gagnerait d'autant plus à être à l'écoute de son peuple qu'il doit savoir tirer leçon de l'histoire de certains de ses pairs africains à l'image des anciens présidents nigérien, Mamadou Tandja, et burkinabè Blaise Compaoré, qui, avant lui, ont eu maille à partir avec leurs peuples respectifs sur la question de leur succession.
Le premier a été déposé par un coup d'Etat et le second, emporté par une insurrection populaire. C'est pourquoi on espère que le président sénégalais saura garder toute sa lucidité pour décrypter la situation à l'effet de prendre la bonne décision qui lui permettra de sauvegarder son honneur et de préserver la paix sociale.
Car, comme l'enseigne la sagesse populaire, en politique, il faut savoir quitter les choses avant que les choses ne vous quittent. En tout état de cause, au crépuscule de son règne, le seul combat qui vaille encore pour le président Macky Sall, c'est de savoir négocier au mieux sa sortie de scène. C'est dire s'il importe pour le président sénégalais de se retirer dans la dignité, en ne courant pas le risque d'être jeté avec boubou, chéchia et sandales dans la poubelle de l'Histoire. Et dans le cas d'espèce, son salut pourrait venir du Conseil constitutionnel si la juridiction supérieure se montre encore en capacité de casser sa décision. Ce serait le moindre mal.