La report de l'élection présidentielle par le régime en place, avec l'abrogation par le président de la République du décret portant convocation du corps électoral et l'adoption de la nouvelle loi constitutionnelle n°04/2024 portant dérogation aux dispositions de l'article 31 de la Constitution par les députés de la majorité et leurs alliés du Pds est loin de sceller le sort de cette élection. En effet, alors que des langues commencent à se délier sur les vraies motivations de cette décision de report des élections, le Conseil constitutionnel qui s'était déjà prononcé sur la question de la durée du mandat du président de la République en 2016 dispose aujourd'hui de toutes les cartes pour relancer la machine du processus électoral.
Les langues commencent à se délier sur les vraies motivations de la tentative en cours de reporter l'élection présidentielle du 25 février 2024 au 15 décembre prochain engagée par les responsables du régime place avec leurs nouveaux alliés du Parti démocratique sénégalais (Pds). En effet, près d'une semaine après le déclenchement de ce processus par le président de la République, à travers son annonce de l'abrogation du décret portant convocation du corps électoral lors de son adresse à la nation du samedi 3 février et l'adoption par les députés du groupe parlementaire de la majorité, Benno bokk yakaar (Bby) et ceux du Pds, le député-maire de Tivaouane passe à l'aveu. Invité de l'émission «la matinale de la Tfm» hier, mercredi 7 février, Demba Diop, par ailleurs porteur de l'amendement qui fixe la présidentielle au 15 décembre prochain en lieu et place de la date du 25 août initialement retenu dans la proposition de Loi, nie toute responsabilité de l'Assemblée nationale dans la crise en cours et qui a fini de placer le Sénégal sous les projecteurs du monde. «C'est le président lui-même qui a pris la décision unilatérale de reporter l'élection, en abrogeant le décret qui convoque le corps électoral», a tenu à préciser l'homme d'affaire.
Loin de s'en tenir-là, le député-maire de Tivaouane a également formellement réfuté l'argument de crise institutionnelle entre le parlement et le Conseil constitution sur fond d'accusations de corruption soulevées contre les deux magistrats du Conseil constitutionnel. «Il n'y a pas de crise entre les institutions, même avec la mise en place de la Commission d'enquête parlementaire visant deux membres du Conseil Constitutionnel pour des faits de corruption, de concussion et de collusion. Je considère qu'il n'y a pas eu de corruption», a-t-il précisé avant d'ajouter dans la foulée. «Dès l'instant que le magistrat Cheikh Ndiaye a déposé sa plainte auprès du Procureur de la République, on devait initier une instruction judiciaire qui allait mettre fin à la mission de cette Commission d'enquête parlementaire. Mais, il (le président de la République) ne l'a pas fait parce qu'il a préféré la commission, alors qu'il pouvait demander au Parquet de traiter cette plainte. S'il y a donc des comptes à demander, c'est à lui, président, qu'il faut s'adresser. Moi, je fonctionne sur la base des principes et personnes ne peut me faire renier. Je suis donc quitte avec ma conscience sur cette affaire. Je ne suis pas comme des politiciens à qui on demande d'exécuter une commande».
DES INTERROGATIONS SUR LE CIBLAGE DE CHEIKH TIDIANE COULIBALY ET SON COLLÈGUE CHEIKH NDIAYE
Cette sortie du député-maire de Tivaouane, Demba Diop, qui non seulement pointe du doigt la responsabilité personnelle du président de la République dans cette tentative de report de l'élection présidentielle mais aussi réfute les accusations de corruption contre les deux magistrats du Conseil Constitutionnel, soulève plusieurs interrogations. Qu'est-ce qui se cache derrière ces accusations contre ces hauts magistrats qui totalisent plus de quarante ans de riche carrière dans la magistrature ? Le régime en place et ses alliés du Pds, dans le cadre leur stratégie de création des conditions d'un report de la présidentielle chercheraient-ils à toucher l'orgueil de Cheikh Tidiane Coulibaly et son collègue Cheikh Ndiaye pour les amener à démissionner du Conseil constitutionnel, ouvrant ainsi la voie à la nomination de deux nouveaux juges plus «dociles» aux directives du Palais ? En effet, composé de sept (7) membres, le Conseil constitutionnel prend ses décisions en formation collégiale de ses 7 membres le composant. Dans ce cas, on se demande en quoi la position de deux magistrats pourrait impacter sur les décisions du Conseil constitutionnel ?
Dans un message de témoignage publié à la suite de ces accusations du Pds contre sur le juge Cheikh Tidiane Coulibaly, le Colonel Aziz Ndao a laissé entendre que le magistrat Cheikh Tidiane Coulibaly avait sauvé Me Abdoulaye Wade de prison, en 1994, après avoir annulé «sans hésiter, toute la procédure incriminant le Pds dans l'enquête concernant l'assassinat de maître Seye. Président de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar, Cheikh Tidiane Coulibaly avait pris cette décision suite à des accusations de tortures contre des personnes arrêtées par la Gendarmerie lors de cette enquête», rappelle l'officier de la Gendarmerie à la retraite.
MACKY SALL, PRÉSIDENT JUSQU'EN MARS 2025 AU MOINS
C'est un secret de polichinelle, le Sénégal est à la croisée des chemins avec cette tentative en cours de report de l'élection présidentielle du 25 février jusqu'au 15 décembre prochain, engagée par les députés de la majorité Bby et ceux du Pds. En effet, la nouvelle loi constitutionnelle n°04/2024 portant dérogation aux dispositions de l'article 31 de la Constitution qu'ils ont adopté en procédure d'urgence, le lundi 6 février dernier, lors d'un vote sans débat, sous la surveillance des gendarmes, après l'évacuation de leurs collègues de l'opposition par le Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale (Gign), constituent une véritable brèche dans la digue de la Constitution. Et en cas de promulgation, elle va non seulement faire sauter le verrou qui sécurise le mandat du président de la République, en donnant ainsi à l'actuel chef de l'Etat une occasion en or de «rester» encore plus longtemps au pouvoir mais aussi de dissoudre l'actuelle Assemblée nationale, qui aura 2 ans en septembre prochain, pour avoir les «pleins pouvoirs» de régner en maître.
D'ailleurs, dans une publication sur sa page Facebook, Alioune Souaré, spécialiste du droit parlementaire n'est pas allé par quatre chemins pour alerter sur le fait que cette nouvelle loi constitutionnelle n°04/2024, va maintenir le président Macky Sall en fonction jusqu'en mars 2025, en cas de deuxième tour. Soulignant que «ce n'est pas fortuit de retrouver dans le texte de la proposition de loi votée pour le report de la présidentielle, l'article 2 qui dit ceci : «le président de la République reste en fonction jusqu'à l'installation de son successeur». L'ancien député renseigne qu'«en cas de 2ème tour, le président Macky Sall restera au pouvoir jusqu'en mars 2025 ! Autrement dit, il ajoutera 1 an de plus et fera 6 ans de mandat présidentiel, au lieu de 5 ans prévus par l'art 27 de la constitution !»
Pour justifier son argumentaire, Alioune Souaré a évoqué l'hypothèse des 15 jours prévus par le Code électoral pour la campagne électorale des deux candidats arrivés en tête, à l'issue du premier tour, à compter, pour le démarrage de la campagne, du jour de l'affichage des résultats du premier tour par Conseil constitutionnel. Ensuite, les 4 jours habituellement de travaux des Commissions départementales de recensements des votes et autres 4 jours pour les travaux de la Commission nationale de recensements des votes, avant la proclamation provisoire des résultats par la Cour d'appel de Dakar. Et enfin, les 7 jours habituellement consacrés pour la phase contentieuse et la proclamation définitive des résultats par le Conseil constitutionnel.
Ainsi, alors que la fin de son mandat en cours est prévue le 2 avril prochain, Macky Sall pourrait donc rester en poste jusqu'en mars 2025, si la présidentielle du 15 décembre résulte sur un second tour. Toutefois, il faut également relever que cette date pourrait également être reconsidérée et remplacée par un nouveau calendrier, dans le cadre du dialogue auquel il a appelé. Ce qui va d'avantage favoriser le maintien de Macky Sall au pouvoir, conformément aux dispositions de ce deuxième article de cette nouvelle loi constitutionnelle n°04/2024 qui dispose : «Le président de la République en exercice poursuit ses fonctions jusqu'à l'installation de son successeur».
Dans l'un ou comme dans l'autre cas, on va inéluctablement vers un rallongement d'au moins un an du mandat de Macky Sall, si cette tentative passe, en violation totale des dispositions déclarées intangibles des articles 27 et 103 de la Constitution. En effet, ces articles précisent respectivement que «La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs» mais aussi que «La forme républicaine de l'Etat, le mode d'élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du président de la République ne peuvent faire l'objet de révision».
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL POUR MAINTENIR LA DATE DE LA PRESIDENTIELLE ET RELANCER LE PROCESSUS ELECTORAL
Le vote sans débat par les députées de Benno bokk yakaar et ceux du Parti démocratique sénégalais (Pds) de la loi constitutionnelle n°04/2024 portant dérogation aux dispositions de l'article 31 de la Constitution, sous la surveillance des gendarmes, après l'évacuation de leurs collègues de l'opposition par le Gign, est loin de sceller le sort de la prochaine élection présidentielle. Cette dérogation aux dispositions de l'article 31 de la Constitution votée va forcément impacter le champ d'application des articles 27 et 103 de la Constitution déclarés intangibles et frappés par une clause d'éternité qu'on ne peut plus retoucher, sauf à changer de Constitution. Si donc le Conseil constitutionnel qui est l'unique organe chargé par la Constitution de connaître de la constitutionnalité des lois est saisi sur cette loi, il aura toutes les cartes pour mettre fin à cette tentative de report de l'élection présidentielle par le régime en place, en déclarant cette loi inconstitutionnelle, comme il l'avait fait avec le projet de révision constitutionnelle de mars 2016.
Pour rappel, dans son considérant 32, le Conseil constitutionnel avait indiqué sur le point relatif à l'engagement de Macky Sall à réduire son mandat de 7 à 5 ans que «la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés ne pouvait, quel que soit au demeurant l'objectif recherché, être réduite ou prolongée». Poursuivant, les sages avaient également précisé que «ni la sécurité juridique, ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l'occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances».
D'ailleurs, dans une série de 8 messages publiés le 13 novembre 2023 dénier sur compte X (ex Twitter), l'actuel ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'Extérieur, Ismaïla Madior Fall, par ailleurs professeur agrégé en droit constitutionnel, avait également attiré l'attention des partisans du report de la présidentielle sur le «caractère impossible de toute modification du calendrier électoral pour la présidentielle du 25 février prochain». Dans ces publications, Ismaïla Madior Fall avait commencé par préciser, au sujet de cette idée de report, qu'elle était «juridiquement difficile à envisager, sauf à réviser la Constitution qui fixe l'intervalle temporelle de tenue de celle-ci. Ce qui explique les cas de report de législatives et de locales, mais jamais d'une présidentielle». Poursuivant son argumentaire, le professeur agrégé en droit constitutionnel d'ajouter, toujours au sujet de cette idée de report, qu'elle était «historiquement injustifiable car, en dehors des cas de glissement calendaire (présidentielle de 1968 devant se tenir en décembre comme en 1963 décalée progressivement en janvier en 1973, puis en février à partir de 1978), la date de la présidentielle a toujours été respectée».