Afrique de l'Ouest: CEDEAO - Pourquoi le retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso annonce de nouvelles difficultés pour le Sahel

analyse

Le 27 janvier 2024, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé leur intention de se retirer de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), malgré des efforts répétés de réconciliation.

Le spécialiste de la diplomatie Nicholas Westcott explique que cette décision pourrait être le dernier symptôme d'une crise qui s'aggrave au Sahel, la région située au sud du désert du Sahara et qui s'étend de la Mauritanie à l'ouest jusqu'au Tchad à l'est.

Pourquoi leur décision représente-t-elle une menace pour la région ?

Les États côtiers de la Cedeao craignent la contagion du djihadisme et du désordre politique au Sahel. Si les trois pays du Sahel quittent la Cedeao, ce risque augmente. Il en va de même pour le risque d'hostilité potentielle à l'égard des migrants maliens et burkinabé au Ghana, en Côte d'Ivoire et au Sénégal. L'arrêt de la libre circulation entre ces trois pays et le reste de l'Afrique de l'Ouest aurait de graves conséquences économiques pour toutes les parties concernées.

D'autres gouvernements de la région craignent également que leurs propres démocraties ne soient mises à mal,que ce soit par le biais de coups d'Etat ou de populistes anti-occidentaux.

La Guinée a déjà un gouvernement militaire. D'autres, comme le Cameroun, le Togo et la Sierra Leone, pourraient être vulnérables.

Avec les élections à venir au Ghana des élections au Sénégal, cette année mettra à l'épreuve la démocratie dans la région.

Ce schisme au sein de la Cedeao représente également un risque pour les partenaires de l'Afrique en Europe et aux États-Unis. Une étude récente publiée dans le African Affairs journal a montré que le ressentiment à l'égard de la présence militaire française accrue était une des principales raisons pour lesquelles les militaires nigériens ont soutenu le coup d'État mené par le général Abdourahmane Tchiani plutôt que le président élu Mohamed Bazoum.

D'autres pays occidentaux risquent de se retrouver dans la même situation néocoloniale s'ils ne réforment pas les institutions internationales pour tenir compte des préoccupations africaines. Ils doivent accélérer les changements nécessaires pour que le système multilatéral fonctionne au profit des petits pays pauvres.

Dans le cas contraire, le discours de la Chine selon lequel le système existant ne fonctionne qu'au profit de "l'Occident" gagnera du terrain sur le continent.

Quels sont les moteurs ?

Tous les pays d'Afrique de l'Ouest sont confrontés à une crise multidimensionnelle. Celle-ci découle de plusieurs facteurs, notamment des années de stagnation économique à la suite de la crise financière de 2008, du COVID, de la guerre d'Ukraine, de l'impact du changement climatique et de la croissance démographique.

Les gouvernements élus éprouvent de plus en plus de difficultés à répondre aux attentes de leurs citoyens. C'est particulièrement vrai pour le nombre croissant de jeunes chômeurs qui ont perdu confiance en la démocratie et sont ouverts à un changement de régime violent, que ce soit par le biais du djihad ou d'un coup d'État.

Il s'agit presque d'une réédition des années 1970, lorsque la sécheresse, la corruption et les échecs du développement ont entraîné une série de coups d'État dans la région. Les personnes qui ne peuvent gagner leur vie légitimement trouveront d'autres moyens de le faire.

Le djihadisme et le banditisme ont progressé malgré les efforts occidentaux pour les combattre. Le soutien occidental a donc perdu de sa crédibilité, même si le véritable échec est avant tout politique et économique.

Pourquoi les instances régionales comme la Cedeao n'ont-elles pas été en mesure d'apporter leur aide ?

Face à la menace de sécession des juntes, les organisations régionales africaines, en l'occurrence la Cedeao et l'Union africaine, sont confrontées à un dilemme. Doivent-elles s'en tenir à leurs principes et exclure les États qui ont connu des changements de gouvernement anticonstitutionnels jusqu'à ce qu'ils rétablissent des gouvernements responsables devant leurs citoyens ? Ou bien doivent-elles compromettre leurs principes pour préserver au moins l'unité nominale et permettre à des gouvernements autoritaires de revenir dans le club ?

Les efforts de réconciliation déployés par le Togo, par le biais de son Forum pour la paix et la sécurité à Lomé en novembre dernier, et par les dirigeants islamiques nigérians n'ont pas porté leurs fruits. Néanmoins, il est possible que l'annonce du départ soit une monnaie d'échange pour obtenir des conditions plus clémentes pour leur réintégration dans la Cedeao.

La Cedeao a répondu en disant qu'elle n'avait pas encore reçu de notification formelle. Ce qui signifie, selon les règlements, que les pays ne peuvent partir que dans un an. Cela permet à toutes les parties de disposer d'un temps de négociation. L'UA a également appelé à la négociation pour maintenir la cohésion de la Cedeao. En revanche, la réponse du Nigeria a été moins conciliante.

Qu'est-ce qui se cache derrière l'annonce des régimes militaires ?

La survie du régime est devenue leur objectif primordial. Leur intention explicite semble être de saper le principe selon lequel les nations africaines devraient appliquer des normes les unes aux autres. Le fait que les gouvernements africains ont eux-mêmes signé ces principes a peu d'importance pour les insurgés qui veulent conserver le pouvoir, tout comme pour les djihadistes qui veulent s'en emparer.

Les justifications de leur retrait sont les suivantes :

  • la Cedeao n'a fourni aucun soutien contre les djihadistes
  • la Cedeao a imposé des sanctions "illégales" qui nuisent à la population
  • la Cedeao est tombée sous l'influence de gouvernements étrangers.

Ces arguments sont peu convaincants et semblent être une tentative une tentative de passer pour des défenseurs des pauvres et des opposants à l'influence occidentale.

Cela semble porter ces fruits, car les populations sont mobilisées et armées pour combattre les djihadistes.

Les juntes semblent revêtir le manteau de Thomas Sankara. Le vénéré ancien président du Burkina Faso, qui s'est lui-même emparé du pouvoir, est considéré comme un héros pour son opposition aux élites corrompues et à l'influence française, pour sa modestie et ses principes, et pour son attention portée aux citoyens ordinaires burkinabé.* pour son souci du Burkinabé ordinaire.

Il s'inscrit également dans le cadre d'un discours que la Chine et la Russie promeuvent : les institutions mondiales actuelles ont été créées pour défendre les intérêts néocoloniaux de l'Occident, l'adhésion aux "valeurs occidentales" (telles que la démocratie et les droits de l'homme) prive les pays de leur droit à se développer à leur manière, et seules la Chine et la Russie sont de véritables défenseurs des intérêts du sud de la planète.

La Russie joint le geste à la parole. On estime à 1 000 le nombre de soldats russes au Mali - anciennement Wagner, aujourd'hui géré par l'État et rebaptisé Africa Corps - et les 100 premiers, qui seront suivis d'autres, sont arrivés au Burkina Faso.

D'autres sont en cours de recrutement pour le Niger. Leur justification officielle peut être la lutte contre le terrorisme, mais leur véritable objectif est de protéger le régime contre d'autres menaces de mutinerie, de coup d'État ou d'invasion.

Le danger est que les États du Sahel deviennent des régimes qui n'ont pas de comptes à rendre, protégés par la Russie en échange d'or, et vivant du trafic illicite de personnes et de marchandises à travers le Sahara.

Le trafic de migrants est déjà de nouveau florissant à Agadez, le principal point de transit du nord du Niger vers la côte méditerranéenne. Et rien n'inquiète plus les pays européens qu'une augmentation spectaculaire des migrations africaines. Ils suivront donc l'évolution de la situation avec inquiétude.

Professor of Practice in Diplomacy, Dept of Politics and International Studies, SOAS, University of London

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