Madagascar: Le double crime des remblais

Cherche 15 millions de mètres cubes en bassin-tampon contre les crues et inondations.

C'est combien de mètres cubes en moins ce va-et-vient incessant de camions sur le bypass pour remblayer rizières et marais entre Iavoloha et Ambohimangakely ? Potemkine avait inventé les villes en carton-pâte. Sur le bypass, ce sont des clôtures en tôles ondulées qui annoncent le prochain forfait qui se commet, de jour comme de nuit.

«Mise en oeuvre du Pudé de la plaine du bypass en ce qui concerne les travaux de remblai» : glisse subrepticement le jargon technique. J'ai même retrouvé un décret (2019-1543 d'août 2019) «portant régulation des travaux de remblaiement dans les zones d'intervention de l'APIPA» : «sauf dérogation spéciale, tout transport de matériaux pour remblaiement est interdit dans l'agglomération du Grand Tana, du 1er décembre au 15 avril». En 2023, c'est au mois de septembre que l'APIPA (Autorité pour la Protection contre les inondations de la Plaine d'Antananarivo) avait rappelé l'interdiction des remblais. Il faut espérer qu'aucune «dérogation spéciale», et encore moins d'autorisation tout court, n'ait plus lieu décembre à avril, et d'avril à décembre.

Les textes sont connus, comme cet article 2 dudit décret 2019-1543 : «Conformément aux dispositions de l'article 179 de la loi n°2015-052 du 03 février 2016, relative à l'urbanisme et l'habitat, tous les travaux modifiant la configuration du sol dans une agglomération dotée d'un plan d'urbanisme doit au préalable obtenir une autorisation délivrée par les autorités compétentes. Pour une agglomération non dotée d'un plan d'urbanisme, l'autorisation est traitée au cas par cas (...) Sont notamment considérés comme travaux modifiant la configuration du sol, au sens du présent décret, toutes les opérations de remblaiement, de déblaiement, de construction sur remblai et de transport de terre. Les travaux de remblaiement consistent au fait de transporter des terres en vue d'un remblaiement et au fait de remblayer un terrain».

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Nicolas Mayeur, un voyageur d'il y a trois siècles, raconte avoir assisté à une bataille dans la plaine d'Alasora, le 21 septembre 1785 : les combats furent arrêtés, dit-il et à son grand étonnement, dès l'apparition d'un essaim de sauterelles, ennemi commun et appoint alimentaire également apprécié des deux camps belligérants. Je me demande si cette vaste plaine rizicole n'est pas celle qui sépare Imerimanjaka d'Alasora ? Les travaux d'archéologie préventive, qu'on a oubliés de mener avant la déclaration d'utilité publique de la «route bypass reliant la RN7 au PK12 Iavoloha et la RN2 PK11+070 à Amboromanina», auraient permis de s'en faire une idée. Depuis juillet 2003, on a systématiquement évité de faire appel aux archéologues : où se trouvent aujourd'hui les marais d'Imerimanjaka dans lesquels on a enfoui les pirogues-cercueils de Rangita et Rafohy ? Au lieu dit Ifarihy, qui dépend de la Commune d'Ankarabato, s'élève désormais une usine : mais, si les remblais ont comblé «Ifarihy» (le lac), du vrai Coca-Cola coulera à flots.

Quant aux historiens, qu'auraient-ils eu à redire après avoir rappelé ces pages du Tantara Ny Andriana : «dia nilatsaka teny Ambohinieràna izy hihevitra izay hahavary ny heniheny, dia hoy Andrianjaka : Tsy avelako tsy ho vary io, any am-parany any» (TA, 238) ; Ary dia niloka ny zanany roalahy, ka nozarain'Andriantsimitoviaminandriandehibe : ny vakiny atsimon'ny rano, tari-dalan'Andrianjakanavalondambo ; ny vakiny avara-drano, tari-dalan-dRazakatsitakatrandriana. Ary ny fefiloha iny vakiny atsimo, Ambivy iny : an'Andrianjakanavalondambo. Ary ny vakiny avaratra hatreo Ankadimbahoaka ka hatreo Anosizato : an-dRazakatsitakatrandriana kosa. Ary Andriantsimitoviaminandriandehibe nitoetra teo Ankadimbahoaka nizaha ny vahoaka sy ny zanany eo amin'ny fandaharana ny vahoaka manao fefiloha (...) Dia Andriantsimitoviaminandriandehibe no nahavary an'andrefan'Ankadimbahoaka (TA, 282) ; «Dia nitoetra teo Ambohinieràna sy teo Ankadimbahoaka Andriamasinavalona ka nataony hatreo andrefan'i Mahitsy ka hatreo avaratr'Ilanivato, dia azo vary i Betsimitatatra» (TA, 297).

Dans la mémoire collective, qu'est aujourd'hui Ankadimbahoaka ? Un vulgaire hub de taxibe, une banale bretelle vers Ankadihevo, des lotissements sur remblais... Et personne pour se souvenir, aucune pierre-levée pour rappeler les premiers aménagements hydrauliques pour gagner les rizières du Betsimitatatra...

Nous n'aurons que trop tardé à mettre en oeuvre la loi sur l'urbanisme et l'habitat : «Le plan d'urbanisme directeur contient notamment les territoires à préserver tels que les sites naturels, historiques ou archéologiques» (article 31) ; un plan (dans le Pudé) indiquant le périmètre des zones de protection du patrimoine architectural et paysage urbain historique» (article 35). Déjà, actualisée seulement en février 2016, cette loi elle-même survenait après des millions de mètres cubes de remblais dans les rizières.

Peut-être parce qu'on n'a pas le droit de se décourager, mais on se sent moins seul quand le nouveau Ministre de l'Aménagement du Territoire annonce d'emblée sa volonté de lutter contre le remblaiement. Je lui conseille de retirer de la décentralisation à des communes qui pondent des «zones de développement mixte», concept vague pour mieux remblayer le «dobon'i Callixte» à Imerimanjaka, ou livrer Ankadihevo (au-champ-bêché) et Amoronankona (proche-marécage) aux appétits fonciers. Même la nomenclature officielle se trompe : en oubliant le «H» de «hevo» et le «N» de «Ankona». Une consonne escamotée peut dénaturer un site, faire perdre sa mémoire à un lieu, et lui inventer une destination en contradiction avec sa configuration qu'avoue sa toponymie.

Signataires, propriétaires et prestataires doivent être sanctionnés à la mesure du double crime commis : une première fois en arasant une colline (un comble au pays des «Douze collines royales»), une deuxième fois en faisant disparaître un plan d'eau. C'est le paysage qu'ils assassinent ! Une peine pécuniaire définitivement dissuasive, la remise à l'état initial de la parcelle, et sa domanialisation par expropriation pure et simple au profit du Ministère du Paysage.

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