Ile Maurice: «Les drains ne résoudront pas toutes les tragédies environnementales traversées»

10 Février 2024
interview

Le cyclone Belal a mis au jour la fragilité de l'île face au dérèglement climatique et révélé l'ampleur du je-m'enfoutisme des Mauriciens face à la préservation de l'environnement.

Dans l'optique de parer à d'autres catastrophes environnementales et humaines, le gouvernement compte dépenser plus de Rs 350 millions dans l'aménagement de drains à Port-Louis. Est-ce la solution ? Nicolas Richard, Managing Partner à Juristconsult Ltd, cabinet d'avocats d'affaires, qui s'intéresse de près à la préservation de l'environnement, et qui a écrit un texte très intéressant sur l'artificialisation des sols, publié dans notre édition d'hier, pense que la multiplication de drains n'est pas la panacée et offre des pistes de solutions.

Quel est le lien entre Juristconsult Ltd et la préservation de l'environnement ?

Juristconsult Chambers est un cabinet d'avocats d'affaires, membre de DLA Piper Africa, qui est sensible à la protection de l'environnement. Notre cabinet se compose d'une équipe d'avocats qualifiés et spécialisés, notamment en termes de règlementation environnementale, sociale et de gouvernance (ESG/RSE). Nous avons commencé humblement, il y a quelques années, à mettre en place une Green office policy et nous avons aussi participé à des projets tels que la 'revégétalisation' de la Citadelle avec Friends of the Environment. Nous sommes d'avis que s'agissant de la protection de l'environnement, chaque petit geste compte. Depuis un certain temps et dans le cadre de nos activités pro bono, nous accompagnons des organisations telles que le Durrell Wildlife Conservation Trust dont la mission est de sauver les espèces les plus menacées d'extinction ou encore la Mauritian Wildlife Foundation d'un point de vue du droit local. Nous assistons aussi des entreprises à travers divers projets durables comme la mise en place de fermes photovoltaïques à Maurice ou d'autres projets en Afrique. Nous avons aussi organisé un Investment summit à Andrea Lodges afin de sensibiliser les acteurs économiques à la cause environnementale. Notre prochain sommet aura lieu le 18 Avril 2024.

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En qu'elle capacité avez-vous participé à la 28e Conférence des Parties (COP28) à Dubaï ?

Dans le cadre de ses activités pro bono, DLA Piper a signé un Memorandum of understanding avec le gouvernement mauricien pour notamment assister et accompagner l'île Maurice à travers les négociations internationales sur le climat, la biodiversité et l'environnement.

Les avocats de DLA Piper ont assisté plusieurs gouvernements lors de nombreuses COP afin de mieux défendre les positions de ces derniers dans les forums internationaux. Annabelle Ribet, Associate Barrister, et moi étions tous deux présents à la COP28 à Dubaï en novembre/décembre dernier en tant que spécialistes du droit mauricien, en soutien à nos collègues de DLA Piper.

Quelles leçons en avez-vous tirées pour Maurice ?

Ce fut une expérience très enrichissante où nous avons notamment eu l'occasion d'échanger avec des individus de divers pays soumis aux mêmes problématiques que Maurice et avons assisté à diverses conférences telles que celle traitant de la question des réfugiés climatiques. Nous avons constaté que les avancées diplomatiques sont trop timides par rapport à la vitesse du dérèglement climatique et que Maurice en tant que Petit État Insulaire Indépendant (PIED) n'a pas d'autre choix que de prendre des mesures fortes afin de préserver, non seulement l'environnement mais aussi l'économie (le tourisme) et le social. Certaines mesures nécessitent bien sûr des investissements conséquents et il est juste que les pays pollueurs soient mis à contribution pour nous aider, bien qu'il y ait d'autres mesures sur le plan national que Maurice pourrait adopter afin de préserver notre écosystème.

Quelles sont justement les mesures que Maurice pourrait adopter à cet effet ?

Selon les Contributions déterminées au niveau national (CDN ou DNC), c'est-à-dire le plan d'action climatique de Maurice visant à réduire les émissions et à s'adapter aux effets des changements climatiques, le pays s'est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre par 40 % et à produire 60 % de son électricité avec des énergies vertes. S'agissant de l'adaptation au changement climatique, il faut impérativement renforcer notre réponse aux catastrophes naturelles en adaptant nos infrastructures. Cela peut consister en des travaux pour combattre l'érosion côtière comme sur la côte est mais aussi en revoyant notre politique de développement du littoral en décrétant certaines zones inconstructibles. Il faut changer d'état d'esprit et peut être notre vocabulaire en revoyant le sens des mots «développement» ou «progrès» qui, s'ils sont associés à des projets qui vont à l'encontre de la nature, mériteraient une autre appellation.

À quoi vous ont fait penser les images du Port-Louis Waterfront jonchés de déchets en plastique après le passage du cyclone Belal ?

Ces images nous ont tous profondément attristés et reflètent une réalité alarmante quant à la vulnérabilité de nos infrastructures urbaines. Elles mettent aussi en lumière la nécessité urgente d'une action immédiate afin de renforcer notre résilience face aux catastrophes naturelles. Sur le plan juridique, cela soulève des questions cruciales en matière de gestion des déchets, de prévention de la pollution plastique et l'urgence de repenser la planification urbaine avec, en particulier, l'importance de prendre des mesures législatives robustes qui favorisaient la création de villes résilientes et durables. La référence aux Sponge cities (villes éponges) qui permettent l'absorption, le stockage et la réutilisation de l'eau de pluie, réduisant ainsi les risques d'inondations et de pollution, devient particulièrement pertinente dans ce contexte. La mise en oeuvre de concepts similaires à Maurice pourrait certainement contribuer à atténuer les effets néfastes des cyclones et à minimiser l'accumulation de déchets plastiques dans les zones urbanisées. La construction de drains ne résoudra malheureusement pas toutes les tragédies environnementales que le pays a traversées dernièrement !

Parlez-nous de ces villes éponges et comment Maurice pourrait-elle les mettre en place

Au lieu de vouloir à tout prix canaliser l'eau à travers des drains, nous pourrions jouer sur les revêtements et leur perméabilité (incluant les chaussées), augmenter la végétalisation des sols, créer des espaces verts urbains, des zones de rétention d'eau tels que le Water square de Rotterdam ou des toits verts afin de permettre une meilleure infiltration des eaux de pluies. Rendre les villes plus perméables (Sponge Cities) est tout à fait possible. Nous pouvons nous inspirer de la ville de Wuhan en Chine, tristement célèbre pour d'autres raisons, qui a engagé d'importants travaux afin de créer des rigoles, des étangs artificiels et de rendre les revêtements perméables dans le but de pouvoir absorber et stocker l'eau dans des réservoirs souterrains ou encore de la ville Lyon en France, qui a pour projet de dés-imperméabiliser des surfaces importantes d'ici à 2026, aussi bien dans des espaces publics que privés.

Comment arrêter le Mauricien qui pollue chez les autres et pas chez lui et l'atteindre là où cela lui fait le plus mal pour qu'il comprenne qu'il doit se départir de son égoïsme et de ses mauvaises habitudes ?

Cela doit tout d'abord passer par une prise de conscience majeure de la situation climatique dramatique, qui ne se limite pas à un simple changement météorologique. Malgré le scepticisme visible qui entoure le concept de changement climatique, ces changements tangibles ne peuvent être ignorés et ce n'est que le début...Il suffit de suivre l'actualité pour réaliser que de nombreuses régions du monde connaissent des phénomènes météorologiques extrêmes: des records de températures, une accélération de la montée du niveau des mers, l'extinction d'espèces, des villes et des populations menacées et bien d'autres dommages irréversibles pour notre planète. Le changement climatique modifie littéralement la vie sur terre. La sensibilisation/l'éducation environnementale seule ne suffit malheureusement pas et cette prise de conscience doit absolument être combinée à une réglementation et des sanctions plus sévères et vraiment dissuasives afin de prévenir les comportements négligents. L'adoption du principe pollueur-payeur devrait être encouragée.

L'érosion des plages est flagrante mais le problème le plus important est le réchauffement planétaire et la montée des eaux avec la fonte des principaux glaciers ?

Ces problématiques sont toutes interconnectées - le réchauffement planétaire entraîne la fonte des glaciers, qui à son tour contribue à l'élévation du niveau de la mer, exposant nos côtes à des risques accrus d'érosion. Sur le plan national, cette lutte contre l'érosion des plages et la montée des eaux devrait passer par un renforcement de notre législation environnementale et des mesures d'adaptation. Néanmoins, pour avoir participé à la COP28, je peux dire avec certitude qu'une approche globale avec la réduction de gaz à effet de serre et l'augmentation des flux de financement climatique par les plus grands pays émetteurs est primordiale. J'ai été au coeur des débats entre pays développés, émergents et vulnérables à cette conférence et il faudrait aussi garantir la justice climatique à ceux qui ont le moins contribué à la crise mais qui en paient le prix le plus élevé, tout comme Maurice qui doit faire face à la menace croissante du changement climatique, bien que nous ne contribuons que très peu aux émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Sommes-nous condamnés en tant que petit état insulaire à voir notre littoral submergé et y a-t-il de possibles solutions pour arrêter cela ?

La triste réalité est que le changement climatique n'est plus une préoccupation lointaine pour Maurice : le niveau des mers qui augmente plus rapidement que les moyennes mondiales, les inondations de plus en plus dévastatrices, l'intensification des cyclones, les températures qui augmentent drastiquement et nos côtes qui s'érodent à un rythme alarmant... des phénomènes météorologiques extrêmes et de plus en plus fréquents qui menacent notre écosystème. Des solutions existent, notamment l'adoption de technologies de protection côtière et la préservation des écosystèmes côtiers mais nous avons bien évidemment besoin de financement afin de mettre en place ces mesures et avoir accès aux technologies appropriées. Le mécanisme international de financement par les pays développés s'est malheureusement avéré inadéquat avec des critères d'éligibilité de plus en plus contraignants et des engagements inaboutis, bien que cet objectif constitue une partie essentielle du compromis que soutient l'Accord de Paris.

La population n'augmente pas mais on continue à bétonner pour faire des morcellements et des centres commerciaux. Quel devrait être le rôle d'un gouvernement et d'un secteur privé responsables ?

Il est important de mettre l'accent sur le fait que construire en fonction du changement climatique n'est plus une option mais un impératif, surtout après les récents évènements causés par le cyclone Belal. Le gouvernement se doit de jouer un rôle central dans l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques de planification durable. Une approche collaborative entre l'État, les autorités locales et le secteur privé reste tout de même primordial afin d'aborder cette problématique du bétonnage excessif. L'imperméabilisation liée à la bétonisation massive empêche le phénomène naturel d'absorption des pluies par les sols et les rivières et il est donc important de rendre à la nature la place qu'elle mérite ! En plus de l'adoption de normes environnementales strictes pour le développement urbain, des incitations fiscales pour les projets respectueux de l'environnement pourraient être appliquées et d'autres projets innovants pourraient être considérés. Les normes de responsabilité sociale des entreprises sont devenues de plus en plus primordiales pour celles-ci, et on constate que certaines compagnies, à l'instar de Rogers et de son projet à Bel-Ombre, proposent un développement responsable comprenant même une zone réserve de biosphère de l'UNESCO.

Avons-nous encore besoin de Smart Cities à Maurice ?

Le développement de Smart Cities peut être compatible avec la durabilité environnementale s'il est planifié de manière responsable, en intégrant des technologies vertes, en préservant les espaces naturels et en favorisant la mobilité durable. Cependant, cela nécessite une approche mesurée afin d'éviter les impacts négatifs sur l'environnement. Vu l'exiguïté de notre territoire, le nombre de Smart Cities devra néanmoins être limité. Au lieu de créer de nouvelles Smart Cities, pourquoi ne pas rendre smart nos villes existantes comme par exemple, Quatre-Bornes, la ville des fleurs, afin qu'elle soit digne de son surnom ? Cela a été fait dans de nombreuses villes dans le monde en augmentant le nombre d'espaces verts urbains, en «ré-végétalisant» les avenues ou en promouvant des modes de transport durables. Du reste, le projet de Smart City à Roches-Noires est une belle occasion pour le gouvernement et le secteur privé de démontrer qu'ils ont à coeur la protection de l'environnement. Un projet écologique alternatif a été présenté par plusieurs groupes privés, mettant en avant leur engagement de durabilité et leurs soucis de préservation de l'environnement. Il serait souhaitable que le sauvetage de cette région connaisse le même succès que celui de la Vallée de Ferney.

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