Afrique: Report de la présidentielle par Macky Sall - Le Sénégal compte ses morts

11 Février 2024
analyse

Il n'était point besoin d'être un grand marabout mouride du Sénégal pour savoir que le président Macky Sall, en reportant in extremis, la présidentielle initialement prévue pour le 25 février 2024, plaçait son pays dans une zone de turbulences.

En effet, le 9 février dernier, des manifestants sont descendus dans la rue pour clamer, haut et fort, leur opposition à ce qu'ils qualifient de « coup d'Etat institutionnel ». Mais, comme il fallait s'y attendre, ils ont eu en face d'eux, les forces de l'ordre qui n'y sont pas allées de main morte pour réprimer la manifestation. L'on dénombre, en effet, pour cette première journée déjà, 3 morts et de nombreux blessés.

On oublie volontiers les nombreux dégâts matériels. Le Sénégal a donc renoué avec les violences politiques après l'épisode consécutif à l'affaire Sonko Ousmane, du nom du leader du Pastef que l'on soupçonnait le pouvoir de manoeuvrer pour l'écarter de la course à la présidentielle.

Ce week-end sanglant vient s'ajouter aux nombreuses pressions exercées tant de l'intérieur que de l'extérieur sur le président Macky Sall. Mais cela suffira-t-il à faire reculer l'homme ? Rien n'est moins sûr. Car le chef de l'Etat, tout en se défendant de toute velléité à se cramponner au pouvoir, semble convaincu du bien-fondé de sa décision qu'il justifie par le souci de donner du temps au pays pour résoudre le différend concernant la disqualification de certains candidats et le devoir pour lui de transmettre à son successeur, un pays stable.

Le bras de fer avec l'opposition, promet de se durcir dans les jours à venir

La probabilité pour le président Macky Sall de faire machine arrière est d'autant plus mince que l'homme est soutenu par certains acteurs de la scène politique sénégalaise et pas des moindres comme Karim Wade dont les députés du parti, le PDS, soutenus par certains députés de la majorité présidentielle, ont oeuvré à l'éclatement du conflit avec le Conseil constitutionnel.

Mieux, Macky Sall s'est entouré de la légalité en faisant adopter par l'Assemblée nationale, fût-ce au forceps, le projet de loi prolongeant son bail de 10 mois supplémentaires à la tête de l'Etat sénégalais. C'est dire donc que le bras de fer avec l'opposition, promet de se durcir dans les jours à venir quand on sait que le Collectif « Aar Sunu Election » (Protégeons notre élection en langue wolof) a déjà prévu une nouvelle mobilisation pour le 13 février prochain. Dans le même temps, les rassemblements de la diaspora se poursuivent aussi à l'étranger comme ce fut le 10 février dernier, à Paris, Bordeaux, Grenoble, Rennes ou encore Nice.

Le volcan est donc loin de s'éteindre et il faut craindre que le Sénégal ne continue de compter ses morts. Qui donc pour faire entendre raison aux acteurs politiques sénégalais face à la dégradation de la météo politique ? A l'intérieur du pays, pour répondre à cette question, les regards sont tournés vers Touba, du nom de la ville sainte des Mourides dont la prise de parole est importante dans un pays qui compte 95% de musulmans. Même si le Khalife général des Mourides dit ne pas se mêler de politique, il pourrait avoir son mot à dire en jouant les médiateurs entre les deux camps.

La CEDEAO a l'occasion de redorer son blason

Mais ce rôle de médiateur est d'ores et déjà rendu très délicat à partir du moment où plusieurs organisations religieuses dans le pays ont clairement pris position en dénonçant le report de la présidentielle du 25 février 2024. Toujours à l'intérieur, le Conseil constitutionnel a un rôle déterminant dans le retour au calme et ce d'autant plus que c'est sa responsabilité qui est entièrement engagée dans la présente crise.

Cela dit, il lui appartient de se donner les moyens d'abord de se laver de l'opprobre dont il s'est recouvert mais aussi en prenant une position claire qui respecte l'esprit et la lettre du constituant.

A l'extérieur, les organisations internationales comme la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et l'Union africaine (UA) qui se sont aussi invitées très prudemment au débat, devraient pouvoir prendre leurs responsabilités. Cela est particulièrement vrai pour la CEDEAO qui se trouve dans une mauvaise passe en raison de sa politique de « 2 poids, 2 mesures » face aux coups d'Etat, qu'ils soient militaires ou constitutionnels.

Elle a là, l'occasion de redorer son blason, même si la mission est des plus périlleuses pour une organisation qui joue sa survie. Mais en attendant, il appartient aux Sénégalais dont on connait la maturité politique, d'éviter de se faire tuer pour des hommes politiques qui sont prêts à marcher sur des cadavres pour assouvir leurs desseins.

Ce faisant, tout en affirmant leur attachement à la démocratie et aux libertés individuelles, les manifestants devraient s'exprimer en arrachant aux forces de l'ordre tout motif de répression violente. C'est à seul prix que les générations actuelles préserveront le flambeau des grandes victoires démocratiques qui ont été remportées respectivement en 2000 sous Abdou Diouf et en 2012 sous Abdoulaye Wade, et dévier ainsi leur pays de la mauvaise trajectoire sur laquelle l'a mis Macky Sall.

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