Sénégal: Macky Sall persiste et défend son lenga (1)

analyse

Une semaine après l'annonce surprise de Macky Sall, qui a reporté l'élection présidentielle sine die, le Sénégal retient toujours son souffle : jusqu'où iront l'opposition et ces associations de la société civile dans leur contestation de ce qu'elles dénoncent comme un recul démocratique sans précédent au pays de Teranga ?

Quelle sera la décision du Conseil constitutionnel, saisi à travers une vingtaine de plaintes sur l'inconstitutionnalité du décret présidentiel du 2 février 2024 ? Que va faire la CEDEAO, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, devant ce cas de violation flagrante de son Protocole additionnel de décembre 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance ?

Toutes ces questions montrent à souhait que ce pays, jadis considéré comme un exemple de stabilité institutionnelle et de démocratie pluraliste en Afrique subsaharienne, est à la croisée des chemins. De quoi demain sera-t-il fait dans le pays de Léopold Sédar Senghor ? Une chose est certaine, les conjectures à ce propos vont bon train et les scenarii les plus invraisemblables sont échafaudés.

La vérité du terrain, c'est que l'opposition sénégalaise tout comme ces nombreuses associations de la société civile sont divisées sur la question. Et si les partisans du report sont plutôt peu diserts, ils ne sont pas pour autant inactifs. Du reste, c'est sur saisine du Parti démocratique sénégalais (PDS) de Karim Wade que le Parlement a statué sur la loi qui avalise le report du scrutin présidentiel au 15 décembre 2024 et voté ledit texte. Un vote qui s'est, du reste, déroulé dans un tohu-bohu indescriptible, symptomatique des divisions de la classe politique sénégalaise. En effet, pour une première, des députés ont été exfiltrés de l'hémicycle manu militari pour permettre le vote d'une loi, celle de la nouvelle date du scrutin.

Si l'opposition politique n'a pu se faire entendre à l'Assemblée nationale sur sa désapprobation du report impromptu du scrutin présidentiel, elle compte bien le faire par la rue, où elle travaille à mobiliser les Sénégalais depuis une huitaine de jours. Des échauffourées sont en effet quotidiennement signalées, aussi bien dans les rues de Dakar que dans des villes de l'intérieur. Les croquants y dressent des barricades de fortune, brûlent des pneus et ripostent aux gaz lacrymogènes et aux tirs des forces de l'ordre par des jets de pierres. Un manifestant a même perdu la vie vendredi dernier à Thiès, tandis que diverses sources évoquent la mort de deux autres manifestants hier samedi.

En attendant la confirmation officielle de ces pertes, on peut se risquer à dire qu'une escalade est à craindre, d'autant plus que Macky Sall persiste et signe à se donner raison dans la prolongation querellée de son mandat présidentiel. En effet, pendant que des croquants criaient à tue-tête « non au Sall coup » du report de l'élection présidentielle, vendredi dernier, le locataire du palais de la République déclarait, dans une interview, que le pays avait besoin de plus de temps pour résoudre les controverses sur la disqualification de certains candidats et un conflit entre le pouvoir législatif et celui judiciaire. Pour le président sortant, qui dit ne pas se muer en dictateur, mais travailler plutôt « pour un processus inclusif, transparent et apaisé » qui lui permette de passer le relais en douceur et en toute sérénité, c'est l'opposition qui, par son intransigeance, menace la stabilité du Sénégal.

Le Conseil constitutionnel, saisi pour statuer sur l'inconstitutionnalité du décret qui reporte l'élection présidentielle, est donc de nouveau sur la brèche. Sera-t-il à la hauteur des attentes ou bien avalisera-t-il la position de Macky Sall, qui persiste à défendre le prolongement de son bail à la tête de l'Etat sénégalais ? Bien malin qui saura y répondre. Quoi qu'il en soit, la situation sociopolitique du Sénégal depuis 2 ans met en relief le triste avatar d'une Afrique de l'Ouest dans le déni de la vision obamienne d'un continent qui n'a pas besoin d'hommes forts mais d'institutions fortes.

La Rédaction

(1) Lenga, expression en mooré qui signifie « un plus », « un bonus ».

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