Ile Maurice: La complexité de l'alcool et la drogue dans les écoles

11 Février 2024

La semaine dernière, deux élèves de grade 6, âgés de 12 ans, ont été surpris en état d'ébriété par leur enseignant dans une école des Plaines-Wilhems. Ils ont commencé à vomir après avoir consommé de l'alcool et l'on a trouvé du rhum, de la bière et une boisson énergisante dans leur sac.

Ils auraient également menacé leurs camarades de classe avant que l'enseignant n'appelle la directrice de l'établissement. L'un des élèves fut même hospitalisé.

Ce n'est pas la première fois qu'un problème d'alcoolisation de jeunes élèves surgit. L'année dernière, trois ados avaient été interpellés avec de la drogue et leurs cas référés au bureau du DPP. L'ADSU avait fait une descente dans un collège. En 2015, après être sortis de chez eux, 30 collégiens avaient caché leur uniforme dans leur sac et s'étaient rendus à Flacq avant d'être interpellés par des policiers dans la matinée. Lors d'une fouille, des bouteilles d'alcool avaient été découvertes dans leur sac. À quel point ce problème prend-il de l'ampleur et comment le gérer ?

Elbrun (prénom fictif), 17 ans, fréquente un collège d'État du centre de l'île et est en grade 11. D'un caractère timide, il relate des scènes courantes et quotidiennes auxquelles il assiste dans son collège. «Il n'y a pas de prévalence de bullying dans notre collège. Mais ce qui est courant, ce sont les cigarettes et l'alcool. La quasi-totalité des élèves fument dans l'enceinte de l'établissement et certains consomment même parfois de l'alcool», explique l'adolescent. Où le font-ils ? «Dans les toilettes.» Et d'où vient ce qu'ils consomment ? «Je ne sais pas exactement, mais il semblerait que les plus jeunes les obtiennent des plus grands, qui achètent eux-mêmes les produits et les amènent...»

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Face à cette situation, il est de sa responsabilité individuelle de ne pas fréquenter ces élèves pour éviter toute tentation ou d'être victime de peer pressure, confie Elbrun. Pourquoi ce problème persiste-t-il dans son collège ? «Nous étudions différentes matières avec différents professeurs et nous sommes nombreux dans une classe. La plupart du temps, les enseignants n'ont pas le temps de se concentrer sur autre chose que leurs tâches académiques. Ils ne savent donc pas ce qui se passe et ne peuvent pas le signaler. Parfois, lorsqu'ils sont au courant, rares sont ceux qui agissent (...) Mais l'école organise des séances de sensibilisation. L'année dernière, un policier est venu faire de la sensibilisation, mais pour être honnête, je ne pense pas que cela fasse une différence pour ceux qui s'obstinent à se livrer à de telles pratiques à l'école. L'important, c'est que je m'assure de ne pas être distrait lorsque je suis à l'école ou après les heures de classe. Je vais immédiatement suivre des leçons particulières après l'école et mon père vient me chercher par la suite pour me ramener à la maison», confie notre interlocuteur.

«Responsabilité de l'enfant d'agir correctement»

Si la pression sociale ou la vulnérabilité des élèves peuvent être des facteurs causant ces problèmes, ce n'est pas toujours le cas et un tel comportement des élèves prend souvent sa source hors de leur établissement, puis se transporte dans l'enceinte de l'école, estime un habitant de Rose-Hill. Ce dernier relate «qu'après les heures de classe, une scène dure, mais fréquente, est celle d'élèves qui fument en public aux gares d'autobus ou dans les rues, en uniforme et sans gêne, ni peur d'être réprimandés, ni conscience de nuire aux valeurs de l'établissement où ils étudient».

N. J., enseignante dans un collège privé, relate un constat similaire. «Dès que nous sortons de l'enceinte de l'école, les élèves sont conscients que, même si nous sommes toujours leurs profs, nous ne pouvons pas les réprimander ou leur dire de ne pas se comporter d'une certaine manière, comme nous le ferions en classe. Certains en profitent pour fumer ouvertement à l'arrêt de bus après avoir acheté des cigarettes à la tabagie du coin.» Au sein de l'établissement, plusieurs cas se sont produits, dit-elle.

«J'ai été confrontée à des cas de bullying ou à des jurons en classe. Je les ai signalés au responsable de la section ainsi qu'au recteur ; lorsque nous estimions que l'élève avait besoin d'un encadrement pour changer de comportement car il avait vraiment du potentiel, le cas était traité au niveau du comité disciplinaire de l'école. Nous avons également convoqué les parents et trouvé ensemble des solutions adaptées à l'élève. Mais nous avons eu des cas graves où des élèves ont apporté et consommé de l'alcool à l'école. Ils ont été suspendus. Certains cas ont également été référés à la Brigade de protection de la famille.»

Notre interlocutrice estime qu'«il existe une idée stéréotypée selon laquelle la plupart ou tous les enfants ayant des problèmes de comportement à l'école seraient issus de familles abusives ou vulnérables. Dans certains cas, c'est vrai et nous faisons en sorte que l'école devienne un lieu de sécurité pour l'enfant. Mais cela ne doit pas être généralisé ou utilisé comme une excuse pour masquer les fautes des élèves. Nombreux sont les enfants issus de familles aisées et stables qui fument ou consomment délibérément de l'alcool à l'école, simplement pour éprouver le plaisir adolescent de défier les règles et de se sentir supérieurs, afin d'accroître leur sens de l'identité».

Elle ajoute que «des élèves ont été transférés de collèges publics à notre école privée parce qu'ils avaient agressé physiquement des enseignants et que leurs parents espéraient que le niveau de discipline serait plus élevé dans notre école et que leurs enfants auraient un meilleur comportement après avoir reçu des enseignements appropriés (...) Nous faisons de notre mieux, tout comme les parents, mais il ne peut y avoir un enseignant dédié à chaque élève de la classe pour prévenir des problèmes de comportement, tout comme il ne peut y avoir un policier pour chaque citoyen afin d'empêcher des vols. Il est aussi de la responsabilité de l'enfant d'agir correctement».

Ally Lazer : «Il faut une politique nationale de prévention»

Ally Lazer, président de l'Association des travailleurs sociaux de Maurice et éducateur de prévention, évoque le phénomène de rajeunissement des consommateurs de drogues dans le pays qui s'est intensifié, tirant une fois de plus la sonnette d'alarme et faisant état de cas où il a été appelé à sensibiliser des jeunes par la suite. «Le problème principal qui touche la nation aujourd'hui est celui de la drogue et il y a un rajeunissement des consommateurs. Un enfant de 10 ans a été retrouvé avec de la drogue dans une école primaire et le responsable m'a appelé pour parler de la prévention et encadrer l'élève. En 2022, deux écoles primaires différentes ont fait appel à moi après avoir surpris des élèves dans les toilettes avec de la drogue. Après les heures de classe, on voit plusieurs élèves acheter des cigarettes dans les boutiques, alors que les gérants ne sont pas censés en vendre. Le problème persiste et souvent après mes causeries sur la prévention, les élèves se confient à moi et me demandent de l'aide pour se libérer du problème de la drogue.»

La pression des pairs comme facteur conduisant les élèves à la tentation est également soulignée. «D'une part, il y a des parents qui envoient eux-mêmes leurs enfants à la boutique pour leur acheter des cigarettes et de l'alcool, et qui disent ensuite à l'enfant, lorsqu'il est adolescent, qu'il ne doit pas fumer ou boire car c'est nocif. D'autre part, il y a aussi la pression des pairs, ou comme je le dis en kreol, «kamarad kamaron». Beaucoup de parents sensibilisent et protègent leurs enfants du mieux qu'ils peuvent, mais plus tard, une fois que l'enfant est avec ses amis, il est victime de leur influence.»

Ally Lazer prône l'introduction d'un cours obligatoire sur la toxicomanie et la prévention dès les grades 5 et 6 au niveau primaire, qui doit être continué aux niveaux secondaire et tertiaire. Entre autres, «les enseignants sont souvent les cibles mais ils ne peuvent pas tout faire car leur emploi du temps est déjà chargé. Par ailleurs, alors que les trafiquants de drogue ruinent moralement les familles, certaines cliniques privées et centres de désintoxication en profitent pour ruiner financièrement les parents d'un jeune victime de la toxicomanie. Cela, alors qu'il existe des centres qui offrent gratuitement des services de qualité pour la désintoxication mais souvent, des parents ne sont pas au courant (...) il faut une politique nationale de prévention. Moi ainsi que d'autres travailleurs sociaux sommes disposés à partager nos connaissances gratuitement avec les enseignants et dans les écoles», ajoute-t-il.

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