Afrique de l'Ouest: Le Niger et le Mali dénoncent les accords de non-double imposition avec la France - Les secteurs qui seront impactés

analyse

Le Mali et le Niger ont décidé de dénoncer les conventions visant à la non-double imposition avec la France. Pour justifier cette décision, les deux pays dirigés par des militaires évoquent "l'attitude hostile persistante de la France" et le "caractère déséquilibré" de ces conventions qui constituent "un manque à gagner considérable pour le Mali et le Niger".

le chercheur Amadou Ousmane, chef du département Economie de l'université Abdou Moumouni de Niamey au Niger, explique à The Conversation Afrique, les tenants et les aboutissants de cette décision.

Qu'est-ce qu'incluent ces accords et comment ils fonctionnaient?

La France est liée avec le Mali et le Niger respectivement depuis 1972 et 1965 par des conventions tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance réciproque en matière d'impôts.

Signée le 1er juin 1965, la convention de non double imposition entre la France et le Niger entre en vigueur le 1er juillet 1966. Cependant, la dernière monture de cette convention compte un avenant du 16 février 1973.

Bamako et Niamey ont dénoncé ces accords de non-double imposition le 5 décembre dernier. Les deux pays ont conjointement annoncé à l'opinion publique la dénonciation des conventions fiscales tendant à éliminer les doubles impositions signées avec le gouvernement fançais respectivement.

Le communiqué justifie cette dénonciation en soulignant que ces accords sont déséquilibrés et préjudiciables aux intérêts économiques des deux pays.

Plusieurs arguments justifient cette dénonciation. Ainsi, peut-on retenir que d'un côté ces engagements sont de nos jours considérés comme déséquilibrés et préjudiciables aux intérêts économiques du Mali et du Niger, et de l'autre, les éléments fondateurs de ces conventions, en l'occurrence la coopération internationale et d'amitié, ne sont plus d'actualité compte tenu des tensions géopolitiques entre les différents pays.

Que visent ces deux conventions?

Ces deux conventions visent l'impôt des particuliers et des sociétés, l'impôt sur les successions ou encore les droits d'enregistrement.

Ces dispositions juridiques permettaient aux ressortissants ou entreprises de ces pays d'éviter de payer les impôts à deux reprises : dans leur pays d'origine et dans leur pays de résidence. Les administrations fiscales de ces pays coopéraient à cet effet par des échanges d'informations. La décision de les abroger, qui prendra effet dans trois mois, impactera aussi bien les particuliers que les entreprises françaises actives au Mali et au Niger, et inversement.

En dénonçant cette convention de coopération fiscale avec la France, le Niger et le Mali emboîtent le pas au Burkina Faso qui l'avait déjà fait en août dernier.

Les deux pays sahéliens expliquent leur décision de révoquer ces conventions par "l'attitude hostile persistante de la France" et le "caractère déséquilibré" de ces dispositifs qui constituent "un manque à gagner considérable" pour pour eux.

Cette décision consacre encore plus la distanciation des relations avec la France, l'ancienne puissance coloniale, tout en marquant le rapprochement entre ces trois États sahéliens qui ont créé en septembre dernier l'Alliance des États du Sahel (AES).

Dès le début, il s'agissait d'un jeu de dupes, en ce sens que la France avait proposé elle-même la situation de double imposition. Par la suite, elle décide unilatéralement de ne pas imposer les sociétés maliennes et nigériennes exerçant en France. Mieux, elle demande le même traitement pour ses sociétés exerçant dans ces pays à la travers la signature de cet accord de non double imposition.

Bien qu'en apparence équitable, il est en réalité défavorable aux pays africains signataires en entrainant un important manque à gagner fiscal pour eux. Dans une première approximation cette convention peut paraître égalitaire, mais il n'en est rien car le manque à gagner fiscal est essentiellement pour les pays africains qui ont signé ces conventions fiscales.

Dans la réalité des choses, combien d'entreprises nigériennes, maliennes exercent en France ? Et pour quel chiffre d'affaires ? A l'inverse, les entreprises françaises sont omniprésentes dans presque tous les secteurs économiques de nos pays à savoir les télécommunications, le secteur bancaire, le secteur minier, les activités portuaires et les infrastructures, les grands travaux, la distribution d'eau dans les centres urbains, l'importation et la distribution des carburants, le transport aérien, la grande distribution, etc.

Le manque à gagner fiscal se situe essentiellement du côté des pays africains qui ont signé ces conventions fiscales.

En résumé, les entreprises et les citoyens français payaient des impôts à la France sur les revenus qu'ils gagnaient au Mali et au Niger et étaient exemptés de nombreux éléments fiscaux dans ces deux pays. Cette loi permettait aux multinationales françaises d'avoir des avantages comparatifs. Ceci avait aussi pour conséquence la fin des échanges d'informations et de collaboration des administrations pour le recouvrement des recettes fiscales (impôts).

Quelles sont les retombées pratiques de ces dénonciations pour l'économie et les finances des deux pays?

Il n'y a pas de doute que le Mali et le Niger reconnaissent avoir subi des pertes fiscales importantes et anticipent qu'il y en aura davantage s'ils maintiennent ces conventions en l'état. Dans une première approximation, cette dénonciation est un acte plein de courage et marque la volonté de faire rentrer ces pays dans leur droit en matière de coopération économique d'un côté avec la France et de l'autre avec tout autre pays qui souhaite échanger avec eux.

Une fois ces dénonciations effectives, quelles en seront les conséquences ?

Tout d'abord, il y aura une campagne d'information pour bien sensibiliser les opérateurs économiques et les individus résidant dans ces trois pays, sur les conséquences économiques et financières de la suppression de cette non double imposition.

Ensuite, sachant pertinemment qu'ils seront doublement imposés et dans le pays de résidence et dans le pays d'origine, libre à eux seuls de décider à travers un simple calcul économique s'ils ont à gagner ou à perdre en continuant leur activité dans le pays de résidence.

En fin, en fonction des résultats de ces différents calculs économiques, on peut assister d'un côté à une baisse des activités économiques des entreprises et opérateurs économiques dans ces pays en raison de la surcharge fiscale. Et de l'autre, on peut aussi noter un ralentissement voire un arrêt de nouvelles implantations réciproques d'entreprises entre ces pays.

Aussi, étant donné qu'il y a plus d'entreprises et de multinationales françaises dans ces deux pays que d'entreprises nigériennes ou maliennes en France, si ces multinationales souhaitent continuer à exercer sur le sol malien et nigérien, alors ils doivent payer leurs impôts dans ces deux pays. Ce qui va certainement rehausser le volume des recettes fiscales recouvrées par an, autrement dit réduire le manque à gagner du fait de l'activité de ces multinationales dans ces pays.

Le cas d'un pays comme le Niger où AREVA (devenue ORANO) a effectué des investissements importants dans les mines d'uranium pendant plus de quarante ans mérite une attention particulière. Rappelons que pendant toutes ces décennies d'exploitation de l'uranium, l'application de cette convention a privé le pays de ressources importantes sous forme d'impôt sur le revenu, de taxe sur les investissements réalisés, mais aussi de taxes sur les intrants directs dans l'exploitation de ce minerai. Il a fallu attendre le deuxième mandat du défunt président Tandja Mamadou pour demander la renégociation de ces contrats. Ce qui a permis d'avoir des retombées financières importantes sur certains des aspects évoqués ci-dessus.

Ces renégociations de contrat ont permis à l'État du Niger de bénéficier de ressources financières substantielles, dont l'utilisation est attestée dans divers secteurs économiques du pays, tels que l'enseignement supérieur (acquisition de dizaines de bus pour l'université Abdou Moumouni et les instituts universitaires de Technologies, construction de nouveaux bâtiments), l'éducation nationale (création de milliers de classes), la santé, et d'autres domaines.

Pour le Niger, le manque à gagner en matière de recettes fiscales toutes ces années peut représenter près du tiers voire la moitié des recettes fiscales potentiellement mobilisables chaque année.

En résumé, les retombées pratiques de ces dénonciations pour l'économie et les finances des deux pays sont multiples. La plus importante est que plus rien de sera plus comme avant.

Enseignant-chercheur, Université Abdou Moumouni de Niamey (UAM)

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