La crise politique consécutive au report de la présidentielle au Sénégal, n'en finit pas de faire des vagues aussi bien à l'intérieur du pays où la mobilisation contre la mesure ne faiblit pas, qu'à l'extérieur où la situation reste fortement préoccupante. C'est dans ce contexte de forte crispation que le président nigérian, Bola Tinubu, avait planifié de se rendre, le 12 février dernier, à Dakar à l'effet de discuter avec le président Macky Sall, de la crise qui secoue le Sénégal depuis le début du mois et explorer les pistes de solutions en vue d'un dénouement heureux. Et à en croire plusieurs sources, l'action du président en exercice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), visait aussi à sensibiliser le président sénégalais sur la nécessité du respect du calendrier électoral comme indiqué dans un communiqué de l'organisation sous-régionale.
Et cela, dans le but d'éviter au Sénégal, de s'enfoncer d'autant plus dans une crise durable que depuis l'annonce du report, le pays connaît des manifestations qui ont déjà laissé trois morts sur le carreau. Mais la visite du président en exercice de la CEDEAO a finalement été reportée sine die, suscitant de nombreuses interrogations. Est-ce le président Macky Sall qui n'était pas disposé à écouter son homologue nigérian, sachant la raison de sa visite ?
On attend de voir si Macky Sall se montrera coopératif ou s'il continuera de raidir la nuque
Ou bien, est-ce, au regard de la délicatesse de la mission et surtout de la radicalisation des positions suite à la montée des tensions, que le président en exercice de la CEDEAO s'est rétracté au dernier moment en attendant une meilleure occasion de revenir à la charge ? Quoi qu'il en soit, la CEDEAO ne peut pas rester inactive dans le dossier sénégalais où elle est attendue au tournant. Et elle doit d'autant plus faire montre de fermeté que la décision de reporter la présidentielle à la veille de l'ouverture de la campagne électorale, est en porte-à-faux avec l'esprit et la lettre de son Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance. Lequel stipule que toute modification dans le processus électoral doit intervenir au moins six mois avant la tenue du scrutin.
Toujours est-il que si ce report est une façon, pour la CEDEAO, de reculer pour mieux sauter, tout le mal qu'on lui souhaite est de trouver le plus vite possible le moyen de faire reculer le président sénégalais par rapport à cette décision querellée qui a mis son pays dans l'oeil du cyclone des violences pré-électorales. Cela est d'autant plus impératif que face à la clameur populaire, le locataire du palais de la République est jusque-là resté aussi sourd aux appels à la raison qu'il se veut intraitable sur le report de cette consultation populaire qui a reçu, soit dit en passant, l'onction du parlement et qui lui tient à coeur, à en juger par la fermeté dont il fait montre face aux manifestants. Et dans ce contexte de mobilisation tous azimuts contre la mesure, le collectif de la société civile « Aar Sunu Elections » (Protégeons notre élection), a sonné le rassemblement des mouvements citoyens et religieux ainsi que des organisations socio-professionnelles ce 13 février, pour exiger le rétablissement du calendrier électoral.
La crise politique au Sénégal est un autre test grandeur nature pour la CEDEAO
Et l'on peut d'autant plus nourrir des appréhensions que le pouvoir semble dans la logique de répression systématique des manifestations. C'est dire si la CEDEAO joue gros dans ce dossier sénégalais où elle est appelée à prendre ses responsabilités pour éviter les traitements à géométrie variable qui pourraient être fortement préjudiciables à son image et à sa crédibilité. Toujours est-il que si l'organisation communautaire réussissait à convaincre Macky Sall à revoir sa copie, ce serait une grande victoire qui redorerait un tant soit peu son blason. A contrario, si elle échoue à faire entendre raison au natif de Fatick, cela fragiliserait davantage sa position et accentuerait sa descente aux enfers dans son espace géographique où elle est déjà à la peine avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger, pour maintenir sa cohésion.
C'est dire si la CEDEAO marche sur des oeufs dans le dossier sénégalais. C'est dire aussi si la situation au Sénégal, apparaît comme la crise de trop pour l'organisation communautaire qui est aujourd'hui à la croisée des chemins, avec la volonté affichée des pays de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) de se retirer de l'organisation communautaire. En tout état de cause, la crise politique au Sénégal est un autre test grandeur nature pour la CEDEAO. Et on attend de voir si Macky Sall se montrera coopératif ou s'il continuera de raidir la nuque dans ce bras de fer qui l'oppose à son peuple, qui augure de lendemains incertains pour le Sénégal. En attendant, c'est la veillée d'armes et le Sénégal retient son souffle.